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Raisons politiques et raison morale

Publié le 30/03/2014

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morale

Raisons politiques et raison morale

 

Quoique cette proposition : L'honnêteté est la meilleure politique, contien¬ne une théorie trop souvent, hélas ! démentie par la pratique, cette proposi 

 

tion, également théorique : L'honnêteté est meilleure que toute politique, n'en est pas moins placée infiniment au-dessus de toute objection : elle est la condition absolue de la politique même.

[...] Or je puis bien concevoir un politique moraliste, c'est-à-dire un homme d'État n'admettant d'autres principes politiques que ceux que la morale peut avouer ; mais je ne conçois pas un moraliste politique, qui se forge une moralité d'après les intérêts de l'homme d'État.

[...] La maxime quelque peu emphatique, mais vraie : Fiat justicia, pereat mun-dis, cette maxime, qui est passée en proverbe et qu'on peut traduire ainsi : Que la justice règne, dussent périr tous les scélérats que renferme le monde «, est un principe de droit hardi et qui coupe tous les chemins tortueux tracés par la ruse ou la violence. Seulement il faut bien l'entendre : il ne nous auto¬rise point à user de notre propre droit avec une extrême rigueur (ce qui serait contraire au devoir moral), mais il oblige les puissants à ne porter atteinte au droit de personne par aversion ou par commisération pour d'autres, ce qui exige avant tout une constitution intérieure de l'État, fondée sur de purs prin¬cipes de droit, et ensuite une union établie entre cet État et les autres États voisins et même éloignés pour terminer légalement leurs différends.

Cette proposition ne veut pas dire autre chose, sinon que les maximes poli¬tiques ne doivent pas se fonder sur le bien-être et le bonheur que chaque État peut espérer en retirer, [...] mais sur la pure idée du devoir de droit (en partant du devoir dont le principe est donné a priori par la raison pure), qu'elles qu'en puissent être d'ailleurs les conséquences physiques . [...]

Il n'y a donc pas objectivement (en théorie) d'opposition entre la morale et la politique. Subjectivement, au contraire (par une suite du penchant égoïs¬te des hommes, je dirais dans la pratique, si cette expression ne supposait pas une conduite fondée sur les maximes de la raison), il y a et il y aura tou¬jours une opposition de ce genre, car elle sert d'aiguillon à la vertu . [...] La vraie politique ne peut donc faire un pas sans avoir auparavant rendu hommage à la morale ; et, si la politique est par elle-même un art difficile, jointe à la morale, elle cesse d'être un art, car celle-ci tranche les noeuds que celle-là ne peut délier, aussitôt qu'elles ne sont plus d'accord.

E. Kant, Projet de paix perpétuelle, appendice I, Hatier, 1988.

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