RÈGLES ET CONTRAINTES
Publié le 29/03/2015
Extrait du document
Ce philosophe imagine une colombe pensant qu'elle volerait mieux dans le vide que dans l'air qui offre une résistance à sa progression. Or, le moindre physicien sait que, dans le vide, cette colombe ne pourrait pas voler.
11> On l'aura compris, pour Paul Valéry, le refus des règles de la prosodie conduit dans une impasse. Que les règles changent, évoluent, se transforment, il s'agit là d'un phénomène normal, l'art d'aujourd'hui s'opposant toujours à celui d'hier. Mais aspirer à une disparition de la difficulté conduit à la mort de l'art. L'artiste se définit autant par ses refus que par ses élans. La seule spontanéité, la seule sincérité, n'ont jamais réussi à produire un chef-d'oeuvre. Celui-ci naît toujours d'une difficulté surmontée. Dans son Journal (« Feuillets «, 1911, p. 345, tome I en Pléiade), André Gide s'arrête sur cette idée en évoquant, avec une pointe d'humour, le peintre qui voudrait s'étendre au-delà de sa toile :
«Je crois que jamais les "règles" ne gênèrent aucun génie, non plus celle des unités en France, que celle des trois acteurs en Grèce, et que ceux-ci l'ont bien prouvé, autant Racine et Corneille qu'Eschyle. (Que d'ailleurs elles n'ont aucune valeur absolue et que tout grand génie s'en rend maître, soit qu'il y trouve appui, soit qu'il les nie — et que venir prétendre que tel grand homme en fût gêné, c'est aussi absurde que si un peintre venait dire qu'en peignant il est gêné par son cadre et s'écrierait "Ah ! si je pouvais m'étendre plus loin !", et que ceux qui protestent contre elles sont comme la colombe de Kant qui croit qu'elle volera mieux dans le vide.) «
«
~ .
Règles et contraintes I 235
pas avant qu'il fût trouvé insupportable.
D'où vient
cette obéissance immémoriale
à des commandements
qui nous paraissent si futiles ? Pourquoi cette
erreur si
prolongée de la
part de si grands hommes, et qui avaient
un si grand intérêt à donner le plus haut degré de liberté
à leur esprit?»
Il va de soi que, lorsqu'il parle d'«erreurn ou de «futilité»,
il feint d'adopter les thèses de ses contradicteurs pour mieux
les combattre
par la suite .
.....
Pour faire comprendre son point de vue, Paul Valéry a
recours à une comparaison avec
l'art du sculpteur.
Nous ne
mettons jamais sur le même plan la statue modelée dans le
plâtre ou moulée dans une matière quelconque et celle née
de la lutte, ciseau et marteau en mains, du sculpteur et
d'un
matériau résistant comme le marbre :
«Cent figures d'argile, si parfaites qu'on les ait pétries,
ne
donnent pas à l'esprit la même grande idée qu'une
seule de marbre à peu près aussi belle.
Les unes sont
plus fragiles que nous-même;
l'autre l'est un peu moins.
Nous imaginons comme elle a résisté
au statuaire; elle
ne voulait
pas sortir de ses ténèbres cristallisées.
Cette
bouche, ces
bras, ont coûté de longs jours.
Un artiste a
frappé des milliers de coups rebondissants, lents interro
gateurs de la forme future.
L'ombre serrée et pure est
tombée en éclats, elle a fui en
poudre étincelante.
Un
homme s'est avancé, au moyen du temps, contre une
pierre; il s'est glissé difficilement le long d'une amante
si profondément endormie dans l'avenir, et il a
contourné cette
créature peu à peu circonvenue, qui se
détache enfin de
la masse de l'univers, comme elle fait de
l'indécision de l'idée.
La voici un monstre de grâce et de
dureté, né
pour un temps indéterminé, de la dureté et de
l'énergie
d'une même pensée.»
Il en va de même pour le travail sur ce matériau qu'est la
langue,
pour le poète :
«Les exigences d'une stricte prosodie sont l'artifice qui
confère
au langage naturel les qualités d'une matière
résistante,
étrangère à notre âme et comme sourde à nos.
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Jean-Claude Tournand écrit : «Il a fallu que s'élaborent au moyen d'une longue expérience les règles de chaque genre, que les écrivains apprennent à en dominer les contraintes et à conquérir à travers elles l'art de communiquer leurs plus intimes pensées. L'idéal classique exige à la fois une idée suffisamment claire pour être totalement communicable, et un langage suffisamment précis pour communiquer cette idée et elle seule : l'idée ne doit pas échapper au langage, mais le langage do
- RÈGLES ET CONTRAINTES: "Mais je ne puis m'empêcher d'être intrigué par l'espèce d'obstination qu'ont mise les poètes de tous les temps, jusqu'aux jours de ma jeunesse, à se charger de chaînes volontaires." Paul Valéry.
- Emile DURKHEIM : « Les Règles de la méthode sociologique »
- dissertation sur les règles de la poésie chez baudelaire
- Prénom : Date : Cycle 3 Secourir : les règles de base a.