• Est-il possible et légitime d'accorder sa confiance à l'évidence, c'est-à-dire, stricto sensu, à ce qui s'impose à l'esprit avec une telle force qu'il n'est besoin d'aucune autre preuve pour accéder à la vérité ? Évidence vient du latin videre, voir, et désigne ce qui se manifeste avec une telle transparence que nous le voyons littéralement. • Peut-on accorder sa confiance à ce qui entraîne immédiatement l'assentiment de l'esprit ? L'évidence ne peut-elle être trompeuse dans la mesure où elle apparaît comme un critère bien subjectif de vérité ? L'évidence, c'est une présence, certes, mais de quoi exactement ? Si elle signifie le clair et le distinct, ces derniers sont-ils réellement marques de vérité ? Tel est l'un des problèmes essentiels. Et si le clair et le distinct étaient trompeurs, et ce en raison de leur dimension subjective ? • L'enjeu de la question, ce qu'elle enveloppe pour nous de décisif, nous apparaît manifeste : la confiance en l'évidence peut nous conduire à commettre des fautes graves et à marcher contre la vérité. L'acte de reconnaître l'évidence n'est-il pas gros de périls multiples ? Évidence et vérité finissent-elles vraiment par se confondre ? Selon la réponse apportée, notre méthode pour chercher le vrai sera de style bien différent.
C'est le point de vue de Spinoza (« Ethique »,
II, 43). « La vérité est à elle son propre signe » (« verum
index sui »). « Celui qui a une idée vraie sait en même
temps qu'il a cette idée et ne peut douter... Quelle règle de
vérité trouvera-t-on plus claire et plus certaine qu'une idée
vraie ? De même que la lumière se montre soi-même et montre avec
soi les ténèbres, ainsi la vérité est à elle-même son critérium
et elle est aussi celui de l'erreur. » Pour Descartes,
comme pour Spinoza, une idée claire & distincte qui
apparaît évidente est une idée vraie et il n'y a point à
chercher au-delà. « Les idées qui sont claires & distinctes
ne peuvent jamais être fausses » dit Spinoza. Descartes écrit de son côté : « Et remarquant que cette
vérité : je pense donc je suis était si ferme et si assurée que
toutes les plus extravagantes suppositions étaient incapables de
l'ébranler, je jugeais que je pouvais la recevoir, sans
scrupule, pour le premier principe de la philosophie.... Après
cela je considérai en général ce qui est requis à une
proposition pour être vraie et certaine, car puisque je venais
d'en trouver une que je savais être telle, je pensais que je
devais aussi savoir en quoi consiste cette certitude. Et ayant
remarqué qu'il n'y a rien du tout en ceci : je pense donc je
suis, qui m'assure que je dis la vérité sinon que je vois très
clairement que pour penser il faut être : je jugeais que je
pouvais prendre pour règle générale que les choses que nous
concevons fort clairement et fort distinctement sont toutes
vraies.
La notion d'esprit revêt plusieurs sens. Elle désigne d'une part l'intellect, la raison, la pensée. Elle désigne d'autre part l'âme, l'être immatériel qui constitue notre intériorité, notre personnalité. Les philosophes classiques ne faisaient pas de différence entre les deux: l'âme, qui relève du sentiment que nous avons de nous-mêmes, est aussi le siège de la pensée. C'est peut-être une indication qu'affectivité et raison sont plus étroitement unies qu'on ne le croit, dans l'esprit, précisément.
Eléments du langage qui associent d'une façon conventionnelle une suite de sons et un concept.