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André MALRAUX (1901-1976) L'exécution Katow n'oubliait pas qu'il avait déjà été condamné

Publié le 21/10/2016

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malraux
André MALRAUX (1901-1976) L'exécution Katow n'oubliait pas qu'il avait déjà été condamné à mort, qu'il avait vu les mitrailleuses braquées sur lui, les avait entendues tirer… « Dès que je serai dehors, je vais essayer d'en étrangler un, et de laisser mes mains assez serrées pour qu'ils soient obligés de me tuer. Ils me brûleront, mais mort. » À l'instant même, l'un des soldats le prit à bras-le-corps, tandis qu'un autre ramenait ses mains derrière son dos et les attachait. « Les petites auront de la veine, pensa-t-il, allons ! Supposons que je sois mort dans un incendie. » Il commença à marcher. Le silence retomba comme une trappe, malgré les gémissements. Comme naguère sur le mur blanc, le fanal projeta l'ombre maintenant très noire de Katow sur les grandes fenêtres nocturnes ; il marchait pesamment, d'une jambe sur l'autre, arrêté par ses blessures ; lorsque son balancement se rapprochait du fanal, la silhouette de sa tête se perdait au plafond. Toute l'obscurité de la salle était vivante, et le suivait du regard pas à pas. Le silence était devenu tel que le sol résonnait chaque fois qu'il le touchait lourdement du pied ; toutes les têtes, battant de haut en bas, suivaient le rythme de sa marche, avec amour, avec effroi, avec résignation, comme si, malgré les mouvements semblables, chacun se fût dévoilé en suivant ce départ cahotant. Tous restèrent la tête levée : la porte se refermait. Un bruit de respirations profondes, le même que celui du sommeil, commença à monter du sol : respirant par le nez, les mâchoires collées par l'angoisse, immobiles maintenant, tous ceux qui n'étaient pas encore morts attendaient le sifflet. La Condition humaine, Paris, 1946, sixième partie.

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