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AÎNÉ, -ÉE, adjectif et substantif.

Publié le 18/10/2015

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AÎNÉ, -ÉE, adjectif et substantif.  

I.—  Adjectif. 

A.—  GÉNÉALOGIE.  langue commune.  [En parlant d'une personne ou par extension d'un groupe de personnes] 

1. Fils aîné, fille aînée. Né(e) le premier (la première), le plus âgé ou la plus âgée par rapport aux autres enfants de la même famille. Synonymes : premier-né; antonymes : cadet, puîné, second :  

Ø 1. Cette malheureuse femme a péri sur l'échafaud avec un de ses fils; l'autre s'est noyé; son mari a été massacré le 2 septembre; sa fille aînée a péri dans l'hôpital d'une prison; sa fille cadette, Madame de Beaumont, personne spirituelle et généreuse, a succombé sous le poids de ses regrets avant trente ans;...

GERMAINE NECKER, BARONNE DE STAËL, Considérations sur les principaux événements de la Révolution française, tome 1, 1817, page 151. 

Ø 2. Le jeune Louis, à peine âgé de seize ans, hérita de son père dont il était le fils aîné; ses deux frères puinés, Henri Raspon et Conrad reçurent chacun un apanage, le titre de comte, et le gouvernement d'une partie des états du landgrave, selon l'usage de la maison de Thuringe.

CHARLES, COMTE DE MONTALEMBERT. Histoire de Sainte Elisabeth de Hongrie, duchesse de Thuringe (1207-1231),  1836, page 20. 

Ø 3. La famille de mon grand-père donnait peu de prétextes à la persécution. Aucun de ses membres n'avait émigré. Mon grand-père lui-même était un vieillard de plus de quatre-vingts ans. Son fils aîné, ainsi que son second fils, l'abbé de Lamartine, élevés l'un et l'autre dans les doctrines du dix-huitième siècle, avaient sucé, dès leur enfance, le lait de cette philosophie qui promettait au monde un ordre nouveau.

ALPHONSE DE LAMARTINE, Les Confidences,  1849, page 35. 

Ø 4. Et moi je dis que ta fraternité est récompense de ta hiérarchie et du temple que vous bâtissez l'un par l'autre. Car je l'ai découvert dans les foyers où le père était respecté et où le fils aîné protégeait le plus jeune. Et où le plus jeune se confiait à l'aîné. Alors chaudes étaient leurs soirées, leurs fêtes et leurs retours.

ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY, Citadelle,  1944, page 828. 

—  Par extension. Branche aînée, monarchie aînée (vieux). Qui descend du fils aîné : 

Ø 5. Nos souverains avaient le sentiment de la dignité nationale; ils furent surtout rois à l'étranger, lequel ne voulut jamais avec franchise le rétablissement, et ne vit qu'à regret la résurrection de la monarchie aînée.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Mémoires d'Outre-Tombe, tome 4, 1848, page 261. 

Ø 6.... au temps où les ancêtres des Grecs, des Italiens et des Hindous vivaient encore ensemble dans l'Asie centrale, la religion avait dit : « l'aîné fera la prière ». De là était venue la prééminence de l'aîné en toutes choses; la branche aînée dans chaque famille avait été la branche sacerdotale et maîtresse. La religion comptait néanmoins pour beaucoup les branches cadettes, qui étaient comme une réserve pour remplacer un jour la branche aînée éteinte et sauver le culte.

NUMA-DENIS FUSTEL DE COULANGES, La Cité antique,  1864, page 303. 

2. Frère aîné, soeur aînée. Plus âgé(e), par rapport à la personne considérée (frère ou soeur de la même famille). Synonyme : grand; antonyme : petit :  

Ø 7.... il me lisait toujours pour finir des sermons si doux qu'il semblait que c'était un frère aîné qui parlait à ses petits frères, et des paraboles si simples, si près de terre, qu'il semblait que c'était une mère qui baissait la branche pour faire cueillir des noisettes à son enfant!

ALPHONSE DE LAMARTINE, Le Tailleur de pierre de Saint-Point, 1851, page 512. 

Ø 8. Le bercement des nourrices, les câlineries maternelles, les chatteries des soeurs, surtout des soeurs aînées, espèce de mères diminutives, transforment, pour ainsi dire, en la pétrissant, la pâte masculine.

CHARLES BAUDELAIRE, Les Paradis artificiels, Un Mangeur d'opium, 1860, page 444. 

Ø 9.... le canon, ce rude niveleur, enleva peu après un des sept frères aînés de mon père.

ALFRED DE VIGNY, Mémoires inédits,  1863, page 49. 

3. Par extension.  [En parlant d'un autre membre de la famille]  Plus âgé : 

Ø 10. Après avoir lu ce dernier ouvrage, j'en fus tellement frappé que j'en fis la traduction. Je la commençai au mois de mai 1827, pendant que mon neveu aîné Eugène était près de moi, retenu à la maison par un mal de pied.

ÉTIENNE-JEAN DELÉCLUZE, Journal,  1827, page 469. 

B.—  Au figuré. 

1. Emploi figuré de l'adjectif. 

a) [En parlant d'un groupement humain]  Qui est à l'origine d'autres groupements, qui joue un rôle essentiel dans l'évolution d'autres groupements : 

Ø 11. Au pied des côtes de Meuse, entre Neufchâteau et Vaucouleurs, les villages s'alignent aussi, unis ensemble par un lien de ressemblance, parfois de filiation : Domrémy de Greux, disait Jeanne d'Arc en parlant de son village natal, qu'elle ne séparait pas du village aîné et voisin.

PAUL VIDAL DE LA BLACHE, Principes de géographie humaine,  1921, page 178. 

Ø 12. Une perspective s'ouvre ainsi sur la collaboration comportant le minimum d'inégalité, ou plus précisément admettant des inégalités requises et justifiées du point de vue de l'intérêt commun du pays aîné et du pays à croissance retardée. La France développée au nord et à l'est est comparativement vide à l'ouest et au sud-ouest.

FRANÇOIS PERROUX, L'Économie du XXe.  siècle.  1964, pages 266-267. 

b) Rare.  [En parlant d'une chose concrète]  Qui prime par l'ancienneté : 

Ø 13. Il reste bien peu de chose aujourd'hui, grâce à cette catastrophe [l'incendie du Palais de justice en 1618] , grâce surtout aux diverses restaurations successives qui ont achevé ce qu'elle avait épargné, il reste bien peu de chose de cette première demeure des rois de France, de ce palais aîné du Louvre, déjà si vieux du temps de Philippe le Bel qu'on y cherchait les traces des magnifiques bâtiments élevés par le roi Robert et décrits par Helgaldus. Presque tout a disparu.

VICTOR HUGO, Notre-Dame de Paris,  1832, page 16. 

2. Emploi figuré des syntagmes fils aîné, fille aînée, frère aîné. 

a) [En parlant d'une personne ou d'un groupe de personnes n'ayant pas un rapport physique de parenté avec les autres personnes] 

—   [Par allusion au comportement protecteur du fils aîné, de la fille ou soeur aînée]  Celui qui joue un rôle de premier plan, important pour la vie des autres membres d'un groupe (confer exemple 4, 8) : 

Ø 14. Chaque religion et chaque philosophie a prétendu avoir Dieu à elle, toiser l'infini et connaître la recette du bonheur. Quel orgueil et quel néant! je vois, au contraire, que les plus grands génies et les plus grandes oeuvres n'ont jamais conclu. Homère, Shakespeare, Goethe, tous les fils aînés de Dieu (comme dit Michelet) se sont bien gardés de faire autre chose que représenter. 

GUSTAVE FLAUBERT, Correspondance,  1863, page 111. 

Ø 15. La division des riches et des pauvres, ça doit répondre à quelque grande loi universelle. Un riche, aux yeux de l'Église, c'est le protecteur du pauvre, son frère aîné, quoi! Remarque qu'il l'est souvent malgré lui, par le simple jeu des forces économiques, comme ils disent. Un milliardaire qui saute, et voilà des milliers de gens sur le pavé.

GEORGES BERNANOS, Journal d'un curé de campagne,  1936, page 1122. 

—  Spécialement. Fils aîné de l'Église. Qualification du Roi de France : 

Ø 16. Quoique nos rois s'appelassent encore les fils aînés de l'Église, ils s'acquittaient fort négligemment de leurs obligations envers elle; ils montraient bien moins d'ardeur à la protéger qu'ils n'en mettaient à défendre leur propre gouvernement. Ils ne permettaient pas, il est vrai, qu'on portât la main sur elle; mais ils souffraient qu'on la perçât de loin de mille traits.

ALEXIS DE TOCQUEVILLE, L'Ancien Régime et la Révolution 1856, page 247. 

b) [En parlant d'un groupe de personnes, d'un organisme, etc.]  Celui qui est à l'origine d'autres groupements humains, qui joue un rôle essentiel dans l'évolution d'un mouvement intellectuel, spirituel, etc. : 

Ø 17. Fils aînés de l'Antiquité, les François, Romains par le génie, sont Grecs par le caractère.

FRANÇOIS-RENÉ DE CHATEAUBRIAND, Le Génie du christianisme, tome 2, 1803, page 92. 

Ø 18. Il était imbibé de l'idéologie vague et brûlante qui faisait délirer les bourgeois des premiers temps de la Révolution. Il croyait avec certitude à l'infaillibilité de la raison, au progrès illimité, —  quo non ascendam? —  à l'avènement prochain du bonheur sur la terre, à la science omnipotente, à l'humanité-Dieu, et à la France, fille aînée de l'humanité. 

ROMAIN ROLLAND, Jean-Christophe, Dans la maison, 1909, page 967. 

Ø 19. Ils avaient la plus grande dévotion, ils n'avaient que dévotion pour leurs frères les saints, pour leurs frères les premiers. Ils se proposaient timidement et humblement, ils ne se proposaient que de les imiter. Tous ensemble; tous ensemble comme eux; tous ensemble après eux; tous ensemble avec eux; d'imiter Jésus. Ils n'avaient que dévotion et imitation pour leurs frères; pour leurs frères aînés; pour leurs grands frères.

CHARLES PÉGUY, Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc, 1910, page 141. 

—  Spécialement. 

·    Fille aînée de l'Église. Qualification de la France : 

Ø 20. « Hors de l'Église, pas de salut. Ce mot que se passent les ironies, je vous le répète en historien. Le catholicisme peut se passer des races latines, mais les races latines ne peuvent pas se passer du catholicisme. Le jour où la France ne sera plus la fille aînée de l'Église, elle sera mûre pour la curée teutonne. »

JOSÉPHIN PÉLADAN, Le Vice suprême,  1884, page 257. 

Ø 21. C'est la France, fille aînée de l'Église, qui a inscrit dans l'histoire l'éblouissante succession de ses victoires; c'est la France sans Dieu qui a connu la défaite en 1940.

JEAN-PAUL SARTRE, La Mort dans l'âme,  1949, page 238. 

·    Fille aînée des rois de France. Qualification de l'Université de Paris. 

Remarque : Attesté dans Dictionnaire de l'Académie Française 1798-1932, DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE LA LANGUE FRANÇAISE  (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845, DICTIONNAIRE DE LA LANGUE FRANÇAISE  (ÉMILE LITTRÉ), Nouveau Larousse illustré, Larousse du xxe.  siècle en six volumes, DICTIONNAIRE ALPHABÉTIQUE ET ANALOGIQUE DE LA LANGUE FRANÇAISE  (PAUL ROBERT), DICTIONNAIRE ENCYCLOPÉDIQUE QUILLET 1965. 

c) Rare.  [En parlant d'une chose concrète ou abstraite]  Qui prime par l'ancienneté : 

Ø 22. Nos adieux au pic du Midi. On se lève, mais en regardant ce qu'on allait quitter. L'enthousiasme renaît. On parle au pic chacun à sa manière. Assailli de nouvelles sensations, d'idées nouvelles et de sentiments tumultueux, je reste quelque temps la face tournée de son côté. L'ame donne du prix à tout, l'ame sait tout animer. Pour moi, je regardais en silence ce fils aîné de la nature, antérieur à l'histoire, et même aux traditions les plus reculées. Je ne me lassais point de le contempler cet auguste contemporain de tous les âges, et qui a vu tant de générations s'écouler aussi rapidement que les torrents qui l'environnent.

JEAN DUSAULX, Voyage à Barège et dans les Hautes-Pyrénées fait en 1788, tome 1, 1796, page 258. 

Ø 23. Si je ne sentais pas ma misère, comment pourrais-je sentir ma joie qui est fille aînée de ma misère et qui lui ressemble à faire peur?

LÉON BLOY, Journal,  1900, page 193. 

II.—  Substantif. 

A.—  GÉNÉALOGIE.  langue commune.  [En parlant d'une personne] 

1. Celui, celle qui est né(e) le premier (la première) par rapport aux autres enfants de la même famille, fils ou frère le plus âgé, fille ou soeur la plus âgée. Aîné(e) de la famille, des enfants; aîné des fils, des garçons; aînée des filles, des soeurs. Synonymes : premier-né; antonymes : benjamin, cadet, dernier, second :  

Ø 24. Les peuples les plus fortement constitués ont donné à l'aîné des mâles la survivance et l'expectative du pouvoir domestique. De là la consécration religieuse de l'aîné des mâles chez les Hébreux, et presque partout les prérogatives de la primo-géniture. Autrefois en France, la mère, à la mort du père, alloit saluer l'aîné, et lui présenter les clefs; et les enfans alors étoient plus soumis à leurs mères. Encore aujourd'hui, dans les provinces soumises à la loi romaine, l'aîné avoit une part plus forte dans le patrimoine, et même dans le respect des frères.

LOUIS-GABRIEL A. DE BONALD, Législation primitive considérée dans les derniers temps par les seules ténèbres de la raison, tome 2, 1802, page 68. 

Ø 25. Voici bientôt le moment d'établir nos enfants. Je compte envoyer mon Eugène à Paris, où, par votre influence, il sera reçu à l'École polytechnique. Vous savez ce que sont les jeunes gens loin de la surveillance paternelle. Ma femme ne se séparerait pas de son aîné, de son benjamin, si elle n'était pas certaine qu'il trouvera, auprès de vous et de Madame Paturot, une seconde famille. Si vous pouviez le loger sous le même toit que vous, ce serait pour sa mère un grand souci de moins. Quant au second, Jules, il serait bien que vous puissiez obtenir une bourse dans un collège.

LOUIS REYBAUD, Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale,  1842, page 346. 

Ø 26. La vieille religion établissait une différence entre le fils aîné et le cadet : « l'aîné, disaient les anciens Aryas, a été engendré pour l'accomplissement du devoir envers les ancêtres, les autres sont nés de l'amour. » En vertu de cette supériorité originelle, l'aîné avait le privilège, après la mort du père, de présider à toutes les cérémonies du culte domestique; c'était lui qui offrait les repas funèbres et qui prononçait les formules de prières; « car le droit de prononcer les prières appartient à celui des fils qui est venu au monde le premier. » L'aîné était donc l'héritier des hymnes, le continuateur du culte, le chef religieux de la famille. De cette croyance découlait une règle de droit : l'aîné seul héritait des biens. Ainsi le disait un vieux texte que le dernier rédacteur des lois de Manou insérait encore dans son code : « l'aîné prend possession du patrimoine entier, et les autres frères vivent sous son autorité comme ils vivaient sous celle de leur père. Le fils aîné acquitte la dette envers les ancêtres, il doit donc tout avoir. »

NUMA-DENIS FUSTEL DE COULANGES, La Cité antique,  1864, page 98. 

Ø 27. Maintenant, l'aînée des soeurs, montée sur le tabouret, tapait des coudes, et la petite, pour avoir le gratin, raclait la casserole avec une fourchette de fer.

ÉMILE ZOLA, Pot-Bouille,  1882, page 309. 

Ø 28. —  Combien sont-ils dans la famille?

—  Cinq enfants. Vous avez vu l'aîné des fils et le plus jeune. Il y en a encore un de seize ans, qui n'est pas fort, et qui veut se faire curé.

ANDRÉ GIDE, L'Immoraliste,  1902, page 446. 

2. Celui, celle qui est plus âgé(e) par rapport à la personne considérée (frère ou soeur de la même famille) : 

Ø 29. Sa mère était morte en couches, donnant le jour à un frère dont elle était l'aînée de huit ans. Toute petite, elle se fit, du plus petit qu'elle, la berceuse, la petite mère. Puis, lorsque ce frère eut grandi, il vint à la studieuse jeune fille qu'elle était déjà l'ambition d'être la maîtresse de son éducation, d'élever et de former cette naissante intelligence avec ce que les leçons de femme ont d'adresse persuasive, de douce insinuation, de tendre autorité.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Madame Gervaisais,  1869, page 46. 

Ø 30. Nous sommes cinq, encore assez drus à l'heure où j'écris ces lignes, Joseph et Ferdinand, mes frères, sont mes aînés, le premier de sept, l'autre de quatre ans. Ma soeur Cécile a juste deux ans de moins que moi...

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Le Notaire du Havre, 1933, page 23. 

B.—  Au figuré. 

1. [En parlant d'une personne, d'un groupe de personnes n'ayant pas un rapport physique de parenté avec les autres personnes] 

a)  [En parlant d'une personne] 

—   Personne plus âgée qu'une autre. Être l'aîné de quelqu'un. Être son aîné : 

Ø 31. Je reçus vers ce temps des nouvelles qui m'émouvaient toujours, de Mademoiselle Amélie et de sa grand'mère. Je les eus par une de leurs connaissances de campagne en Normandie, qu'elles m'adressèrent, un homme de dix ans au moins mon aîné, mais avec qui me lia du premier jour une conformité périlleuse de penchants et d'humeur.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Volupté, tome 2, 1834, page 75. 

Ø 32. Léon Schleiter est mon aîné de beaucoup. Si j'en crois les annuaires, il devait avoir vingt-sept ans à l'époque où prend mon récit.

GEORGES DUHAMEL, Chronique des Pasquier, Vue de la Terre promise, 1934, page 42. 

Remarque : Aîné(e) est fréquemment accompagné d'un déterminant quantitatif introduit par la préposition de : de beaucoup, de deux ans, de dix ans, etc. 

—   Personne qui a devancé une autre personne, d'autres personnes dans la connaissance de certaines sciences, dans un certain domaine, dans la vie. Traiter quelqu'un en aîné : 

Ø 33. Rotrou est de beaucoup inférieur à Corneille; mais quand il monte, c'est dans le même sens et sur les mêmes tons : il aide à mesurer l'échelle. Plus jeune d'âge que Corneille, mais son aîné au théâtre et dans le métier, il se fit son suivant, et comme son écuyer dans l'arène, depuis Le Cid. Corneille avait beau le tirer en avant et lui dire mon père, Rotrou s'obstinait à rester à sa place, et se contentait, fils ou frère, de l'honneur de la lignée.

CHARLES-AUGUSTIN SAINTE-BEUVE, Port-Royal, tome 1, 1840, page 157. 

Ø 34. Ne parle pas d'avenir muré; pour que l'avenir vous fût muré, mes enfants, il faudrait qu'il fût muré au progrès, à la démocratie, à la liberté. Est-ce que c'est possible? En attendant, vous m'avez. Ne dis pas que tu es en tutelle. Ne vous suis-je pas frère autant que père? Je suis votre aîné dans la vie. Je vous conseille, c'est tout simple. Mais tout ce qui est à moi est à vous, chers enfants.

VICTOR HUGO, Correspondance,  1852, page 89. 

Ø 35.... de temps en temps, dans une récrimination amère où il [Zola] nous répète et se répète qu'il n'a que vingt-huit ans, éclate, vibrante, une note de volonté âcre et d'énergie rageuse : « Et puis j'ai beaucoup à chercher... oui, vous avez raison, mon roman déraille : il ne fallait que les trois personnages. Mais je suivrai votre conseil : je ferai ma pièce comme cela... et puis nous sommes les derniers venus : nous savons que vous êtes nos aînés, Flaubert et vous. Vous! Vos ennemis eux-mêmes reconnaissent que vous avez inventé votre art; ils croient que ce n'est rien : c'est tout! »

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  décembre 1868, pages 475-476. 

Ø 36. Tous les morts sont nos aînés. Un enfant de dix ans qui meurt est mon aîné, à cause qu'il sait. 

JULIEN GREEN, Journal,  1942, page 226. 

Ø 37.... maintenant, il lui fallait s'avouer qu'il était un homme fait : les jeunes gens le traitaient en aîné, les adultes comme un des leurs, et certains lui témoignaient même de la considération.

SIMONE DE BEAUVOIR, Les Mandarins,  1954, page 137. 

Remarque : 1. Dans cet emploi, aîné(e) est fréquemment précédé d'un adjectif possessif 2. Aîné(e) est souvent affecté d'une marque de supériorité protectrice (exemple 37). 

b) [En parlant d'un groupe de personnes, d'un type humain]  Ceux qui précèdent dans le temps, qui jouent un rôle essentiel dans l'évolution d'un mouvement intellectuel, spirituel, etc. : 

Ø 38. C'est dans l'Asie que nous trouverons des empires dont le régime peut nous servir de modèle : tel est celui des Chinois qui a quatre mille sept cents ans d'antiquité. Ce peuple vieillard compte ses années par celles du globe; il est l'aîné de tous les peuples de la terre, qui viennent de toutes les régions lui rendre hommage. Pour nous qui parcourons l'âge viril avec les vices de la jeunesse et les défauts de l'enfance, nous devons chercher à raffermir la légèreté de notre constitution par les mêmes lois qui assurent la pondération de ce vénérable empire.

JACQUES-HENRI BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Harmonies de la nature,  1814, page 300. 

Ø 39.... l'indépendance plus grande dont les générations nouvelles jouissent par rapport à leurs aînés ne peut manquer d'affaiblir le traditionalisme de la profession; ce qui rend l'individu encore plus libre d'innover. Ainsi, non seulement la réglementation professionnelle, en vertu de sa nature même, gêne moins que toute autre l'essor des variétés individuelles, mais de plus, elle le gêne de moins en moins.

ÉMILE DURKHEIM, De la division du travail social,  1893, page 290. 

Ø 40. Mais enfin, mais enfin, ces saints que tu allègues contre les premiers saints, ces chrétiens que tu sors contre les premiers chrétiens, de Charlemagne à saint François et à notre sainte Claire, ces saints, ces chrétiens que tu retournes contre eux-mêmes, en les retournant contre les autres, ils n'en jugeaient pas comme toi. Ils ne se retournaient point contre leurs frères. Ils ne se retournaient point contre leurs aînés. Ils ne se retournaient point contre leurs premiers. Ils ne se retournaient point contre la source éternelle. Contre leurs modèles, contre leurs exemples, contre les objets de leur imitation.

CHARLES PÉGUY, Le Mystère de la charité de Jeanne d'Arc, 1910, pages 140-141. 

Ø 41.... le grand artiste est peut-être encore plus rare que le grand savant, quoi qu'ils soient l'un et l'autre les plus évolués des êtres humains; mais l'artiste est l'aîné.

FÉLIX LE DANTEC, Savoir! Considérations sur la méthode scientifique, la guerre et la morale,  1920, page 246. 

2. Rare.  [En parlant d'une chose]  Ce qui est antérieur à autre chose : 

Ø 42. Au fur et à mesure que celui-ci [le motif principal des sonates] se développe et se varie, il se dégage de cette floraison un deuxième thème qui, le plus souvent, prend vis-à-vis de son aîné une attitude contrastante.

LIONEL DE LA LAURENCIE, L'École française de violon,  1922, page 175. 

Ø 43.... cette pièce, encore que plus importante que Siegfried et qu'Amphitryon, ne me laisse pas la satisfaction de ses aînées. Même le très grave débat qui s'y joue semble un jeu d'esprit, un tournoi. L'émotion de certaines scènes se dégage mal du papillotement et du chatoiement dont un style trop précieux les revêt.

ANDRÉ GIDE, Journal,  1931, page 1092. 

III.—  Adjectif ou substantif.  [Après un nom propre]  Celui (celle) qui est né(e) le premier (la première) par rapport aux autres enfants d'une famille, ou qui a épousé le premier enfant d'une famille : 

Ø 44. Appris la mort de Mlle.  Voutier aînée.

JULES MICHELET, Journal,  mai 1859, page 470. 

Ø 45. C'était une bonne grosse personne [Mme.  Marron (aîné)] ; elle avait certainement franchi la quarantaine, mais nullement laissé de l'autre côté de cette frontière la prétention de séduire : du moins ses regards fort aiguisés l'affirmaient et tenaient le pied de guerre.

JOSEPH ARTHUR COMTE DE GOBINEAU, Nouvelles asiatiques, La Danseuse de Shamakha, 1876, pages 14-15. 

Ø 46. J'obtiens de faire remplacer : « remettez le cadavre », lorsque la reine parle de la couronne aux faux diamants, par cette phrase : « remettez ça là ». Ce cadavre doit être du sublime à la Coquelin aîné. Les gens qui ne possèdent pas la science équilibrée du style ne se doutent pas que dans les situations dramatiques, il faut que l'expression soit simple, ne savent pas que la passion emploie toujours l'expression commune et au grand jamais l'image.

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  novembre 1883, page 287. 

Ø 47. Et il avait senti le besoin d'aller raconter son impression à Coquelin l'aîné, en train de quitter dans sa loge son costume de mascarille et qui lui avait dit : « tu es saoul? »

EDMOND DE GONCOURT, JULES DE GONCOURT, Journal,  avril 1884, page 327. 

Ø 48. Ils se la coulent douce, les boulangers : deux vieux garçons, Merlavigne aîné et Merlavigne cadet, qui, chacun son tour, passent la nuit à enfourner les pains.

ROGER MARTIN DU GARD, Vieille France,  1933, page 1018. 

Remarque : Noter dans l'exemple 45 l'emploi de la forme masculine avec un nom propre féminin DICTIONNAIRE UNIVERSEL DE LA LANGUE FRANÇAISE  (LOUIS-NICOLAS BESCHERELLE) 1845 condamne cet emploi. 

 

 

STATISTIQUES : Fréquence absolue littéraire : 2 617. Fréquence relative littéraire : XIXe.  siècle : a) 3 189, b) 4 310; XXe.  siècle : a) 3 625, b) 3 918. 

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