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Y a-t-il de l'indicible ?

Publié le 06/01/2006

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« Mais Hegel nous met en garde contre cette représentation : ce qui ne peuts'exprimer, dit-il, n'est pas une réalité trop singulière ou subtile pour êtremanifestée au dehors, mais un ensemble confus, évanescent.

Doué deconscience, l'homme doit pouvoir tout exprimer - du moins tout ce qu'il a prisla peine d'humaniser, de hisser des méandres de son psychisme jusqu'à laconscience. Il n'est donc guère étonnant que ce soit à l'occasion d'une critique del'ineffable que Hegel ait écrit : « C'est dans les mots que nous pensons ». Dire que nous pensons en mots, comme on paye en francs ou en dollars, c'estdéfinir le mot comme l'unité de la pensée.

Loin d'être deux mondesradicalement extérieurs, « incommensurables » comme le disait Bergson , le langage et la pensée apparaissent ici comme absolument consubstantiels. Que reproche Hegel à l'ineffable ? Il lui reproche de n'offrir, en fait de pensée, qu'une matière de pensée sans la forme que seule la formulation parle langage pourrait lui conférer.

L'ineffable en effet, c'est la pensée informe,c'est-à-dire une pensée usurpée, une pensée qui n'en est pas vraiment une.Pour mériter ce nom, pour être vraiment la pensée, celle-ci doit en passer parl'épreuve de l'explicitation. Il y a ici un malentendu possible contre lequel il faut mettre en garde le lecteur de Hegel : c'est le malentendu de l'énonciation.

Le problème de Hegel n'est pas de savoir s'il faut se taire ou parler, ni de savoir si les vérités sont ou non bonnes à dire : l'enjeu de l'exigeante conception de Hegel est de savoir à partir de quoi, à partir de quel critère on peut réellement considérer qu'on a affaire à de la pensée, à partirde quel critère la pensée mérite le nom de pensée.

Ce critère, c'est la « forme objective » (le mot) qui rend ma pensée publiable, identifiable même par moi seul (tant encore une fois il ne s'agit pas ici de rapport à autrui).Pourquoi faire un brouillon avant une dissertation ? Justement pour expliciter le flux d'abord confus de l'inspirationqui nous traverse à partir d'un sujet, pour incarner cette manière, cette pensée virtuelle en une réalité palpable &travaillable, réalité que les mots que nous écrivons lui donnent. Il s'agit là, pour la pensée, d'une véritable épreuve, de l'épreuve de ce que Hegel appelait le « négatif » : pour devenir ce qu'elle est, la pensée doit en passer par ce qui n'est pas elle : le langage.

Dans cette épreuve parlaquelle elle devient ce qu'elle est, la pensée fait donc face à d'apparents périls qui peuvent nous faire prendre lelangage pour un inconvénient.

Au premier rang de ces périls, celui qui apparemment menace ce que nous pourrionsappeler la subjectivité, notre singularité : ne risquons-nous pas, en incarnant notre intériorité dans une formeobjective, d'en perdre irrémédiablement ce qui en elle nous appartient le plus ? Le mot peut, ainsi, être perçu commecommun et galvaudable : nous savons bien que chacun peut transformer nos paroles comme il l'entend, que les « je t'aime » que nous prononçons ont été cent fois, mille fois, prononcés et entendus, que nos pensées dans nos paroles deviennent anonymes comme une rumeur sourde.

Puisque « tout est dit depuis huit mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent » (La Bruyère ), le refus des mots ne serait-il pas le dernier refuge de l'intériorité ? Ce sont ces appréhensions que la pensée hégélienne entend conjurer avec la dernière énergie. Le présupposé qui est ici en jeu a quelque chose à voir avec la question de la propriété de la parole. Ce dialogue constant de la pensée avec le langage, cette lutte entre l'ineffable et les mots, bref ce passage, pourla pensée, du non-être à l'être prend donc évidemment, comme on l'a vu, un sens particulièrement aigu enlittérature et spécialement en poésie.

Si le passage par la parole marque la vraie naissance de la pensée, c'est qu'ilfaut concevoir le langage comme quelque chose de plus haut qu'un simple instrument.

Ce qui se conçoit bien nes'énonce clairement, pour paraphraser Boileau , que dans la mesure où l'énonciation claire est elle aussi à son tour la condition de la bonne conception. La fonction essentielle du langage, selon Hegel , est de tirer l'esprit du monde complexe et confus que lui présente la perception brute et de le faire accéder à un monde plus intellectuel, purifié, celui des mots:"L'intelligence se trouve comme remplie par l'objet qui lui est donné immédiatement et qui entraîne avec lui lacontingence, l'inanité et la fausseté qui sont le propre de l'existence extérieure" .

Mais, le rôle de l'intelligence est de "purifier le contenu de l'objet qui s'offre à elle d'une façon immédiate, en y effaçant tout ce qu'il a d'extérieur, d'accidentel et d'insignifiant" .

Or c'est le son articulé, le mot qui accomplit cette fonction, car d'un côté le mot est une forme externe mais il est aussi l'oeuvre de l'esprit: il est un signe et il est par là une forme interne. "Le son s'articulant suivant les diverses représentations déterminées, c'est-à-dire la parole et son système le langage,donne aux intuitions et aux représentations une seconde existence, plus haute que leur existence immédiate, en unmot, une existence qui a sa réalité dans la sphère de la représentation". Par exemple, "en entendant le mot lion, nous n'avons besoin ni de l'intuition, ni même de l'image de cet animal, le mot une fois compris est lareprésentation simple sans image.

C'est en mots que nous pensons", c'est-à-dire non en images. C'est pourquoi Hegel considère, en opposition à Leibniz , que le langage alphabétique est supérieur au langage hiéroglyphique, trop près des choses.

Celui-ci "désigne les représentations par des figures spatiales; mais l'écriture alphabétique exprime des sons qui sont en eux- mêmes déjà des signes.

Cette langue consiste donc en signes de signes; elle ramène les signes concrets de la langue des sons, les mots, à leurs. »

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