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L'artiste voit-il mieux que les autres ?

Publié le 21/01/2004

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Ce à quoi s'oppose cet extrait: Ce texte de Bergson tente de définir la nature de l'artiste et le sens profond de son activité, l'art. D'entrée, l'auteur se place sur le terrain où la fonction de l'art a été problématisée depuis l'Antiquité : celui du rapport à la vérité.Contrairement à ce qu'affirmait Platon, qui ne voyait en l'artiste qu'un illusionniste, un imitateur expert dans la production de trompe-l'oeil et qui ne connaissait rien des objets qu'il représente, Bergson soutient ici une thèse tout opposée : pour lui, l'artiste est « un homme qui voit mieux que les autres, car il regarde la réalité nue et sans voile ».En quoi consiste cette nudité ? Quelle est la nature de ce voile ?  Ce que le texte défend Pour nous l'expliquer, Bergson doit alors soutenir une autre thèse qui ne peut manquer de nous surprendre, car elle nous implique tous, et pas seulement l'artiste. Lorsque nous regardons un objet, d'habitude, « nous ne le voyons pas ».Regarder n'est donc pas la même chose que voir. Voir, nous dit-il, c'est voir des conventions interposées entre l'objet et nous, c'est-à-dire toujours percevoir une chose à travers un écran ou une grille qui nous en masque la présence la plus authentique.Quelles sont ces conventions ?

L’artiste est un individu qui crée des œuvres d’art, mais la création de ses œuvres procède d’une faculté perceptive qui le distingue des autres hommes. Dans la conception occidentale de l’art, l’artiste est en effet considéré et se considère lui-même comme un voyant. Or le terme de voyant comporte une ambiguïté constitutive de la définition de l’artiste. si l’artiste se définit lui-même comme voyant, on pourrait lui objecter qu’il ne détient pas le monopole du champ optique : puisque la grande majorité des hommes jouissent de cette capacité de voir, il semble que ce critère soit insuffisant  pur définir la spécificité de l’artiste par rapport aux autres hommes. A cette objection les artistes se récrieront : l’artiste est un homme qui jouit de la vue  à l’instar de ses semblables, mais il est le seul à voir vraiment.

Autrement dit, les gens du commun et l’artiste voient un objet identique la réalité, mais quand les uns ne font que deviner ses contours, l’autre la voit telle qu’elle est. Ainsi il n’y aurait qu’une différence de degré dans la perception de la réalité entre nous et l’artiste. Dans la mesure où la théorie classique de l’art se fonde sur une reproduction conforme d’un modèle, c’est-à-dire à la théorie de l’imitation, il semble en effet que l’artiste se définisse par une vue acérée, capable d’embrasser la largeur d’un panorama comme de saisir d’infimes détails. En ce sens l’artiste serait un individu qui aurait une perception plus précise et plus en profondeur par rapport aux gens ordinaires de la réalité elle-même.

Cependant les œuvres d’art ne procèdent pas toutes d’une imitation de la réalité; certaines semblent même s’en détourner délibérément. En ce sens, l’artiste se définirait bien plus par la vision qui lui est propre et qu’on pourrait appeler son style que par son acuité dans une perception partagée par tous. Ainsi l’artiste ne serait pas celui qui voit mieux que les autres un objet identique, mais celui qui voit ce qui est radicalement étranger à la vue commune. Pourtant si l’artiste est seul à voir ce qui le concerne lui-même, on ne comprend pas comment ses œuvres d’art pourront intéresser les gens du commun.  Nous devons donc nous demander en quel sens on peut dire de l’artiste qu’il est un voyant : l’artiste se définit-il par sa capacité à voir mieux que les gens ordinaires un objet qui leur est commun, c’est-à-dire le réel ? Ou bien sa spécificité résiderait-elle dans la vision d’un objet radicalement autre ? Quel est ce voyant qu’est l’artiste ?

 

« à tous. II l'artiste voit autre chose que les autres hommes _ Le présupposé pour que l'artiste voit mieux que les autres hommes, c'est l'identité de l'objet qui serait la réalité.

Orc'est ce présupposé qu'il faut nous employer à critiquer au vue de l'art romantique et moderne : l'imitation n'est pasla fin essentielle de l'art.

En effet l'objet que voient l'artiste et les gens ordinaires ne demeure identique que si l'art apour unique finalité la représentation conforme du réel.

C'est contre cette thèse que s'élève Hegel dans la section III de son introduction à son Esthétique : « l'homme peut être plus fier d'avoir inventé le marteau que son habileté à imiter ».

Que signifie cette affirmationpéremptoire ? L'habileté à imiter qui procède de la vue rend l'homme esclavede la nature tandis que le marteau, quoique il se réduise à un moyengrossier, lui est supérieur en ce qu'il permet à l'homme de s'arracher à lanature et à la transformer.

En effet ce que l'homme aime dans l'art imitatif, cen'est pas l'imitation, mais la libre productivité humaine, c'est-à-dire lacapacité de l'homme à produire lui-même son monde.

Le spirituel désignecette production du monde par l'homme lui-même dans la destruction de lanaturalité : « tout ce qui est spirituel est supérieur à ce que produit lanature ». _ La spécificité de l'artiste résiderait alors moins dans l'approfondissementd'une perception commune, et d'un objet commun que dans la liberté de voirautre chose que ce qui est commun.

Ce qui est commun, c'est la réalitéquotidienne dans son ensemble.

Or l'artiste désignerait celui qui s'écartedélibérément de la vision commune des choses pour s'intéresser à l'ailleursquoique que ses tableaux reproduisent nécessairement des portions du réel.Ainsi dans les Salons de 1859 , Baudelaire donne à l'imagination le premier rôle dans la création artistique : elle est « la reine des facultés ».

En quoil'imagination concerne t-elle le problème de l'artiste comme voyant ? C'est parl'imagination que l'artiste a une vision qui lui est propre, et c'est à partir de cette vision qu'il va se servir de la réalité pour l'exprimer : « la nature, écrit Baudelaire n'est qu'un dictionnaire ».Plutôt que de recopier le dictionnaire comme l'art imitatif, il faut s'en servir pour chercher des définitions et desexpressions afin de formuler des propositions artistiques qui n'y soient pas déjà inscrites. _ Ainsi on peut reprendre le livre XXXV des Histoires naturelles de Pline l'ancien pour évoquer l'exemple d'Apollodore qui, désireux de peintre Hélène, c'est-à-dire une allégorie idéale de la beauté, utilise une partie du corps des cinq plus belles filles d'Agrigente.

La grande acuité visuelle du peintre n'est pas soumise au réel , mais elle estentièrement soumise à la vision personnelle de l'artiste.

C'est par cette vision personnelle qu'on appelle le style queles portions du réel que sont les femmes d'Agrigente peuvent devenir des œuvres d'art.

Sans style, un observateurfin et attentif ne pourrait tout au plus qu'esquisser une série de croquis sur les charmes de ces jeunes femmes, maiscertainement pas accomplir une œuvre d'art unifiée et unique.

Qu'il nous suffise de nous référer au tableaumanifeste de Picasso Les demoiselles d'Avignon pour prendre conscience que l'artiste ne voit pas mieux que les autres hommes, mais il voit absolument autre chose. Par conséquent l'artiste se détourne de la vision commune des autres hommes.

Il n'approfondit pas la connaissanced'un objet commun tous, mais s'intéresse à l'absolument autre.

Cependant si l'objet de l'artiste était vraiment cequi était absolument différent de la vue commune, comment expliquer l'intérêt des gens non artistes pour les œuvresd'art ? Or cet intérêt existe bien, ce qui nous permet de supposer en dernière instance l'identité de l'objet vu parl'artiste et par les gens ordinaires.

Mais alors comment expliquer la différence de leur perspective ? III L'art est une vision plus directe de la réalité _ Si l'artiste voit autre chose que les autres hommes, c'est parce que l'objet de sa vision lui est aussi personnelleque sa vision elle-même.

Le style est ce qui est irréductiblement personnel dans une vision.

Comme l'écrit Proustdans le Temps retrouvé : « le style pour l'écrivain aussi bien que la couleur pour le peintre est une question non de technique, mais de vision ».

La vision propre d'un artiste désigne tout autant le monde d'un artiste que sa manièrede l'apercevoir : le style désigne « la différence qualitative qu'il y a dans la façon dont nous apparaît le monde.

».Ainsi l'artiste et les gens du commun auraient leur regard tourné vers un objet identique, le monde en tant qu'ilapparaît à chacun de nous selon un prisme individuel.

Chacun voit son propre monde, mais l'artiste voit mieux le sienpropre parce qu'il y est excessivement attentif : « la vrai vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie parconséquent réellement vécue, c'est la littérature.

Cette vie qui en un sens, habite à chaque instant chez tous leshommes aussi bien que chez l'artiste.

Mais ils ne la voient pas parce qu'ils ne cherchent pas à l'éclaircir ».

Ainsi c'estsa propre perspective que voit l'artiste et grâce à sa création d'œuvres, nous pouvons voir une autre manière devoir irréductible à la nôtre en tant qu'individu.

L'Œuvre d'art permet de nous arracher du subjectivisme et de nouspermettre d'appréhender des mondes individuels qui nous seraient restés inaccessibles « par l'art seulement nouspouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n'est pas le même que le nôtre et dont lespaysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu ‘il peut y avoir sur la lune.

Grâce à l'art, au lieu de voir unseul monde, le nôtre, nous le voyons se démultiplier et autant qu'il y a d'artistes originaux, autant nous avons desmondes à notre disposition ».

Ainsi l'artiste travaille à la matérialisation d'une vision individuelle dont chacun jouit lui-. »

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