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RUTEBEUF : sa vie et son oeuvre

Publié le 29/11/2018

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rutebeuf

RUTEBEUF (seconde moitié du xiiic siècle). L'on a rattaché Rutebeuf à plusieurs lignées : celle de la plainte réaliste, plus ou moins souriante, qui a donné une tradition primesautière (Marot, La Fontaine) et une tradition lyrique (Villon, Verlaine, Apollinaire); celle des grands satiriques et moralistes lyriques (du Bellay, Ronsard, d’Aubigné, Hugo). Rutebeuf apparaît comme l’origine. Il a su, en son temps, se tailler une place unique, inassimilable aux autres grandes figures poétiques du XIIIe siècle, tels Colin Muset, plus léger; Thibaut de Champagne, plus raffiné; Adam de la Halle, plus amer; Jean de Meung, plus philosophe, plus exubérant et plus neuf. Unique est Rutebeuf et, comme tel, sans héritier.

 

Un sobriquet ambigu

 

Rutebeuf est un inconnu, sans doute d'origine champenoise, mais parisien d’adoption, porteur d’un surnom dont il a fait plusieurs fois l’exégèse en « rude bœuf » et qui n’est pas facile à interpréter. Un sens péjoratif peut se développer dans trois directions : le poète est « rude » dans la mesure où il est grossier et fruste; il est lourd comme un bœuf de labour, et il reprend les mêmes jeux avec application; il est bourru, désagréable à entendre, et sa poésie, à dominante satirique, dérange, importune. Ce sobriquet a un côté polémique : en choisissant comme emblème le bœuf, l’animal des fabliaux, et comme qualificatif l'adjectif rude, Rutebeuf se définit par rapport à la courtoisie dont il rejette les grâces du style, les topoi, le contenu moral et intellectuel; il se rattache aux courants précourtois et anticourtois, prônant la rigueur des héros épiques et des premiers croisés, dont son idéal découle directement. D’autre part, si Rutebeuf « rudement œuvre », n’est-ce pas parce que les difficultés de sa condition de jongleur constituent une entrave à sa création poétique? Mais l’adjectif comme le symbole comportent un élément positif : l’ardeur et la persévérance du bœuf — qui est aussi l’animal de la crèche et celui de saint Luc — en dépit des difficultés rencontrées en soi et autour de soi. Enfin, il reste que la forme la plus fréquente est « Rustebués », et l’on peut voir en « ruste » une forme de « ruiste », qui a le sens de « vigoureux » et d’« impétueux » : nous voilà, au contact de bœuf, tout près des termes « incompossibles » antonymi-ques de la fatrasie. Ne serait-ce pas un moyen de rendre compte des contradictions du poète et de son œuvre, de la tension irréductible entre le monde extérieur, véritable sujet agissant, et le poète vidé de son être, entre le « moi », objet des malheurs, et le « je », conscience souffrante, qui perd jusqu’à sa cohérence, son humanité, sa réalité?

 

Une œuvre disparate

 

Poète de l'actualité et témoin des grands débats de son temps, Rutebeuf, ménestrel, travaille à la commande: il dépend d’autrui pour sa subsistance, et sa poésie reflète les vicissitudes de sa vie, bien que la permanence de ses thèmes et la passion qu’il apporte à dénoncer le mal plaident en faveur de sa sincérité.

 

Rutebeuf, clerc par le savoir, jongleur par le métier [voir Jongleurs], cultive tous les tons, tous les genres. Pour défendre l’Université, il crible de ses flèches les moines mendiants et leurs protecteurs; il prêche la croisade, que tous les ordres de la société négligent. Dans les poèmes de l'infortune, il montre, au-delà de l’image traditionnelle du pauvre jongleur, le drame de la pauvreté mais aussi sa poésie. Il écrit les vies de sainte Marie l’Égyptienne et de sainte Élisabeth de Hongrie, des poèmes à la Vierge, une pièce de théâtre sur la déchéance et la rédemption du clerc Théophile, double du poète. Il ne dédaigne pas les plaisanteries des fabliaux.

 

Cette dispersion thématique, opposée à la clôture des poèmes courtois, s’observe également dans chaque poème, et la versification renforce cette instabilité fondamentale, puisqu’elle est souvent fondée sur la succession de deux octosyllabes et d’un quadrisyllabe sur la même rime sans que les trois vers qui riment constituent à eux seuls une même phrase. Cette instabilité poétique reflète la condition du ménestrel.

 

La névrose du ménestrel

 

Jongleur malheureux, Rutebeuf l’est d’abord par sa propre faute, à cause de ses manques comme de ses vices. C’est un homme sans métier manuel, il le rappelle à plusieurs reprises pour expliquer sa misère, pour se justifier, voire pour s’exalter. Dans le Mariage Rutebeuf, considérant le dénuement où l’a jeté son mariage avec une femme aussi démunie que lui, il regrette de ne pouvoir y remédier par un travail d’artisan : « Je ne suis pas

 

ouvrier des mains » (vers 98). Aussi se sent-il parasite, vivant aux crochets de hauts personnages à la générosité inconstante. C’est un pique-assiette qui perd peu à peu la confiance de ses protecteurs et de ses amis. Sa mauvaise conscience est d’autant plus grande que sa vie est en contradiction avec les enseignements des maîtres parisiens (ceux de Guillaume de Saint-Amour, par exemple, dont il défend les thèses et la personne). 

rutebeuf

« se développer dans trois directions : le poète est « rude >> dans la mesure où il est grossier et fruste; il est lourd comme un bœuf de labour, et il reprend les mêmes jeux avec application; il est bourru, désagr éa bl e à entendre, et sa poésie, à dominante satirique, dérange, importune.

Ce sobriquet a un côté polémique : en chois issan t comme emblème le bœuf, l'animal des fabliaux, et comme quali­ ficatif l'adjectif rude, Rutebeuf se définit par rapport à la courtoisie dont il rejett e les grâces du style, les topoi, l e contenu moral et intellectuel; il se rattache au x cou­ rants précourtois et anticourtois, prônant la rigueur des héros épiques et des premiers croisés, dont son idéal découle directement.

D'a utre part, si Rutebeuf «rude­ ment œuvre», n'est-ce pas parce que les difficultés de sa condition de jongleur constituent une entrave à sa création poétique? Mais l'adjectif comme le symbole comportent un élément positif : l'ardeur et la persévé­ rance du bœuf- qui est aussi l'animal de la crèche et celui de saint Luc -en dépit des difficultés rencontrées en soi et autour de soi.

Enfin, il reste que la forme la plus fréquente est « Rustebués », et l'on peut voir en « ruste >>une forme de« ruiste »,qui a le sens de« vigou­ reux » et d'« impétueux >> : nous voilà, au contact de bœuf, tout près des termes « incompossibles » antonymi­ ques de la fatrasie.

Ne serait-ce pas un moyen de rendre compte des contradictions du poète et de son œuvre, de la tension irréductible entre le monde extérieur, véritable sujet agissan t, et le poète vidé de son être, entre le « moi »,objet des malheurs, et le «je >>,conscience souf­ frante, qui perd jusqu'à sa cohérence, son humanité, sa réalité? Une œuvre disparate Poète de l'actualité et témoin des grands débats de son temps, Rutebeuf, ménestrel, travaille à la commande; il dépend d'autrui pour sa subs ist a nce, et sa poésie reflète les vicissitudes de sa vie, bien que la permanence de ses thèmes et la passion qu'il apporte à dénon ce r le mal plaident en faveur de sa sin c ér ité .

Rutebeuf, clerc par le savoir, jongleur par le métier [voir JoNGLEURS], cultiv e tous les tons, tous les genres.

Pour défendre J'Université, il crible de ses flèches les moines mendiants et leurs protecteurs; il prêche la croi­ sade, que tous les ordres de la société négligent.

Dans les poèmes de l'infortune, il montre, au-delà de l'image traditionnelle du pauvre jongleur, le drame de la pauvreté mais aussi sa poésie.

Il �crit les vies de sainte Marie l' Égyptienne et de sainte Elisabeth de Hongrie, des poè­ mes à la Vierge, une pièce de théâtre sur la déchéance et la rédemption du clerc Théophile, double du poète.

Il ne dédaigne pas les plaisanteries des fabliaux.

Cette dispersion thématique, opposée à la clôture des poèmes courtois, s'observe également dans chaque poème, et la versification renforce cette instabilité fonda­ mentale, puis q u' el le est souvent fondée sur la succession de deux octos ylla bes et d'un quadrisyllabe sur la même rime sans que les trois vers qui riment cons tit uent à eux seuls une même phrase.

Cette instabilité poétique reflète la condition du ménestrel.

La névrose du ménestrel J o ngl eur malheureux, Rutebeuf l'est d'abord par sa propre faute, à cause de ses manques comme de ses vices.

C'est un homme sans métier manuel, ille rappelle à plusieurs rep rise s pour expliquer sa misère, pour se justifier, voire pour s'exalter.

Dans le Mariage Rutebeuf, considérant le dénuement où l'a jeté son mariage avec une femme aussi démunie que lui, il regrette de ne pou­ voir y remédier par un travail d'artisan : «Je ne suis pas .

··---·-·------- -··--------- ouvrier des mains>> (vers 98).

Aussi se sent-il parasite, vivant aux crochets de hauts personnages à la générosité inconstante.

C'est un pique-assiette qui perd peu à peu la confiance de ses protecteurs et de ses amis.

Sa mauvaise conscience est d'autant plus grande que sa vie est en contradiction avec les enseignements des maîtres pari­ siens (ceux de Guillaume de Saint-Amour, par exemple, dont il défend les thèses et la personne).

De là, le senti­ ment d'appartenir à ce groupe de déclassés qui ont fait de s ét udes (Griesche d'hiver, vers 10-11), il est emporté par son « fol cue r >>, > parmi les « musarts >>, «fol >> qui « foloie >> (Mariage Rutebeuf, vers 8 et 21), soumis au rythme des saisons, dominé par elles (chantant en été, pleurant en hiver), capable de toutes les folies au point d'attaquer des gens dangereux.

Mais n'est-ce pas un moyen de plaider l'irresponsabilité? La folie, échappant à l'isolement d'une figure allégorique, contamine les autres mots du poème et prend la valeur d'une vision du monde ou d'un signe distinctif.

Cette folie se manifeste par la passion du jeu, qui s'exprime surtout dans les deux Griesche et que Rute­ beuf reconnaît au début de la Mort Rutebeuf (vers 4-8), sans que l'on sache d'ailleurs si-comme le Joueur de Dostoïevski six siècles plus tard- il a tenté d'exorciser cette passion par l'écriture.

Puis, s'enchaînant les uns aux autres, les malheurs ac ca bl en t le jongle ur, qui passe par tous les degrés de la pauvreté.

La palllvreté est omni­ présente dans les poèmes de l'infortune, non pas en allé­ gorie comme dans le Roman de la Rose, mais comme un thème obsessionnel, développé et di versifié par l' énumé­ ration des nuances de 1' infortune, que décrit un vocabu­ laire très riche.

Ce n'est pas pour Rutebeuf une variation thématique ni un motif, mais l'approfond issement d'une expérience douloureuse parce que persistante et multi­ forme, et l'engagement dans un problème d'actualité.

Au-delà de l'image banale du pauvre jongleur Rutebeuf, cette veine est le principe unifiant de l'œuvre en une vertigineuse litanie toujours re comm enc é e.

Cette pau­ vreté est appauvrissement constant, comme le montre en particulier la comparaison avec Job (Complainte Rute­ beuf, vers 20).

Le pauvre est l'homme du dehors, de la marge, de l'errance, sans stabilité géographique ni sociale; mais en même temps sa pauvreté est un monde clos dont il ne peut so rt ir .

C'est dans la Complainte Rutebeuf que nous avons un tableau d'ensemble de cette accumulation de malheurs qui, par un enchaînement fatal, ont aggravé la pauvreté du poète.

La série noire a commencé par un sot mariage, qui, conclu sous une mauvaise étoile, a enfoncé le poète dans la misère.

Mais on peut s'interroger sur la réalité de ces épousailles.

Au mariage ont succédé les ennuis de la vie de famille : naissance d'un enfant dans des conditions difficiles; la nourrice, .irrégulièrement pa yée , menace de rapporter le bébé; à ·quoi s'ajout ent J'entretien de toute une. »

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