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L’ÉTUDE D’UNE NOTION

Publié le 03/02/2020

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possible de cette notion : celle-ci implique un jugement de valeur ou jugement normatif, puisqu’on désigne un écart par rapport à la norme. Ce jugement peut être assorti d’une nuance péjorative ou non (péjorative pour qualifier un comportement ou une forme d’esprit) ; mais cela ne modifie pas fondamentalement la notion elle-même.

Redéfinition ordonnée de la notion

On pourra distinguer :

le sens général et premier de la notion ;

l’analogie qui motive son extension « hors » du domaine premier ;

les différents thèmes quelle implique (en s’en tenant à la notion d’aliénation mentale : idées de raison, dépossession, écart par rapport à la norme, etc.) ;

les « connotations » qui l’accompagnent ; par exemple, la valeur péjorative du mot « aliéné » dans certains emplois. Ces connotations peuvent être d’ailleurs expliquées ; par exemple, dans notre cas, l’association souvent faite entre l’anormal et le fautif, entre l’idée d’étranger, d’« autre » et l’idée de répugnant, objet de répulsion, comme le montrent les expressions « les possédés », « les damnés », appliquées, au Moyen Âge, aux malades mentaux;

■ le système de questions ou de présupposés ultimes sur la base duquel « fonctionne » la notion. Dans notre exemple, l’idée même de rationalité par rapport à laquelle on «juge» l’être qui a «perdu la raison», c’est-à-dire l’aliéné mental, n’est pas problématisée.

De même, l’idée d’une dépossession, qui tient lieu d’explication commode du déséquilibre psychique, n’est pas justifiée, mais plutôt postulée sur la base d’une analogie dont il faudrait démontrer qu’elle est fondée. On n’a pas prouvé, en fait, que le « déroulement » interne du dérèglement psychique s’effectuait sous la forme d’une dépossession, d’un dessaisissement, c’est-à-dire qu’il en avait les caractères. Les idées de rationalité, de dépossession, qui « thématisent» la problématique de l’aliénation n’ont donc pas de valeur explicative. Elles sont simplement présentes comme éléments indiscutés et fondateurs d’un point de vue, d’un type d’approche. Leur genèse serait à expliquer peut-être en dehors de la notion elle-même, dans une problématique générale déterminée par un contexte culturel et historique (par exemple, à l’âge classique, le thème d’une « nature humaine » identifiée à «l’être de raison», la méconnaissance simultanée du rôle des déterminismes historiques et sociaux dans la définition de l’être humain ; parallèlement, l’impuissance de la médecine à expliquer et à soigner les maladies mentales, qui de ce fait ne sont même pas objet d’étude pour elle et sont alors pensées comme « folie », c’est-à-dire comme altérité radicale, symbole ultime de la «dépossession»).

Attention

Ces variations peuvent paraître purement descriptives et, à ce titre, inutiles. Or, elles permettent de dresser une sorte de «panorama» du sujet, d’en indiquer la richesse. Elles préparent le travail d’identification du type de problème que recouvre la notion et favorisent une évaluation aussi ample que possible des différents aspects envisageables. (Elles évitent, de ce point de vue, les fréquentes « réductions » que l’on rencontre dans les copies.)

Mais pour avoir une valeur, le recensement doit bien sûr être « travaillé ».

Réélaboration critique de la notion

Il existe plusieurs techniques :

Regrouper et classer les acceptions

Les distinctions classiques, sens propre/sens figuré ou sens originaire/ sens dérivé, peuvent être utilisées avec profit dans la mesure où l’on va s’efforcer de cerner une signification centrale. Ainsi, par exemple, on découvrira que la notion d’aliénation a d’abord été utilisée dans un sens matériel ou économique (aliéner un bien, une propriété, c’est le transférer à autrui) puis, dans un sens psychologique ou moral (« perdre la raison », « aliéner sa raison », « aliéner ses libertés naturelles »).

Repérer les mouvements de sens de la notion

L’analyse approfondie du mécanisme par lequel une notion peut être utilisée hors de son domaine d’origine (c’est le cas de notre exemple) permet de développer la connaissance de la notion elle-même. Ce mécanisme est souvent celui de l’analogie, qui consiste à penser un domaine sur le modèle d’un autre (par exemple l’idée de dépossession, strictement matérielle dans l’expression «aliénation d’un bien», devient psychologique dans l’expression «aliénation de la raison», similaire aux expressions «perte de la raison»). Des expressions voisines du point de vue sémantique peuvent souvent aider à expliciter une notion; par exemple, les expressions courantes : «il ne s’appartient plus », « il est hors de lui ».

Se référer à l'histoire critique de la notion

Connaître l’«histoire» d’une notion peut permettre d’établir des rapports de dérivation, de filiation entre les sens que l’on a relevés, et d’instituer ainsi un premier principe d’ordre qui nous renseigne non pas sur le degré de réalité et d’importance actuelle de chaque signification, mais plutôt sur les liens logiques entre les différentes valeurs du même mot.

Variante : analyse d'une expression courante

Sujets

« La valeur de l’expérience. »

« La force des choses. »

L’étude de ce type de sujets ne pose pas de problème particulier par rapport à l’étude de la notion, dans la mesure où très souvent l’expression fonctionne mentalement et logiquement comme une notion (les deux termes de l’expression s’y présentant de manière indissociable). En ce cas, l’expression est une « totalité » et non une somme de notions étrangères l’une à l’autre. Seul le travail préliminaire de délimitation du contenu propre de la notion sera un peu plus complexe, car il faudra dépasser la pluralité des mots qui la composent pour accéder à l’unité d’une représentation.

On se posera donc les questions suivantes :

Que recouvre une telle expression dans le langage courant ?

Qu’implique-t-elle lorsqu’on fait varier ses domaines de fonctionnement?

Quelles présuppositions implicites sous-tendent le contenu représenté ?

Quelle est la valeur de ces présuppositions ?

À retenir

Lorsqu’on identifie effectivement une expression qui fonctionne « en bloc » dans le langage courant, il faut éviter de traiter séparément chacune des composantes. Cette méthode est erronée aussi en ce qui concerne le rapport entre deux notions.

_ Exemples

Réflexion sur une notion

Sujet

« Peut-on parler de “travail intellectuel” ? »

Remarques préliminaires

Motifs et origines de la question

Il s’agit avant tout de faire apparaître l’objet de la réflexion. On a affairé ici à une expression couramment problématisée («travail intellectuel»).

« 76 On peut considérer que, pour une grande part, la philosophie s'est constituée à partir d'une réflexion sur le contenu véritable des notions communes et que cette réflexion a conduit logiquement à une interrogation sur leur formation (genèse réelle), sur leur transformation (réélaboration critique) en concepts ou en catégories.

Réfléchir sur le contenu d'une notion (approche descriptive), sur le mécanisme mental ou culturel de sa formation (approche génétique), sur la fonction et les effets qu'elle exerce (approche fonctionnelle), ce n'est pas seulement se livrer à un exercice intellectuel de type «scolaire», c'est, concrètement, faire preuve d'esprit critique, d'autonomie («penser par soi-même»), en substituant des idées «conquises» (c'est-à-dire établies par les voies de la réflexion et de l'analyse rationnelle) aux idées «reçues» (préjugés, prénotions, valeurs de l'idéologie dominante).

Prolongements • Spinoza, EÉthique, livre I, appendice IV, préface (sur les notions éthiques, esthétiques que l'homme forge et pense comme réalités positives).

• Nietzsche, La· Généalogie de la morale (première dissertation, « Bien et mal », « Bon et mauvais »).

• Bachelard, La Formation de l'esprit scientifique (chapitre «L'obstacle verbal»).

• Marx, I.:Idéologie allemande (première partie, sur l'historicité des notions communes déterminées par l'idéologie d'une époque).

Une dernière remarque sur la confusion souvent établie entre un mot et une notion : l'identité d'un mot ne doit pas faire illusion.

Il serait aisé de multiplier les références philosophiques où le même mot recouvre des notions différentes et assume de ce fait des fonctions distinctes au sein d'un système philosophique déterminé.

Par exemple, le mot «Dieu» n'a pas le même sens chez saint Augustin, où il désigne un être transcendant, et chez Spinoza, qui le définit au début de EÉthique comme la totalité du réel lui-même (le fameux «Deus sive natura »:«Dieu, c'est-à-dire la nature»).

À retenir Il semble donc légitime d'accorder une valeur philosophique au travail de réflexion critique sur une notion, puisqu'il s'agit en fait de débusquer les fausses évidences, les préjugés, les réponses toutes faites à des questions non formulées.

On ne perdra jamais de vue ces remarques préliminaires, car elles déterminent l'exposé des techniques d'analyse, d'interrogation, de problé­ matisation qui permettent de donner à l'étude d'une notion sa teneur philosophique.. »

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