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SARTRE: Du refus romantique de la maladie

Publié le 02/04/2005

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Et comme il faut assumer nécessairement pour changer, le refus romantique de la maladie par le malade est totalement inefficace. Ainsi y a-t-il du vrai dans la morale qui met la grandeur de l'homme dans l'acceptation de l'inévitable et du destin. Mais elle est incomplète car il ne faut l'assumer que pour la changer. Il ne s'agit pas d'adopter sa maladie, de s'y installer mais de la vivre selon les normes pour demeurer homme. Ainsi ma liberté est condamnation parce que je ne suis pas libre d'être ou de n'être pas malade et la maladie me vient du dehors ; elle n'est pas de moi, elle ne me concerne pas, elle n'est pas ma faute. Mais comme je suis libre, je suis contraint par ma liberté de la faire mienne, de la faire mon horizon, ma perspective, ma moralité, etc. Je suis perpétuellement condamné à vouloir ce que je n'ai pas voulu, à ne plus vouloir ce que j'ai voulu, à me reconstruire dans l'unité d'une vie en présence des destructions que m'inflige l'extérieur [...]. Ainsi suis-je sans repos : toujours transformé, miné, laminé, ruiné du dehors et toujours libre, toujours obligé de reprendre à mon compte, de prendre la responsabilité de ce dont je ne suis pas responsable. Totalement déterminé et totalement libre. Obligé d'assumer ce déterminisme pour poser au-delà les buts de ma liberté, de faire de ce déterminisme un engagement de plus. Jean-Paul SARTRE
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« Cependant cette attitude n'est pas une fin en soi (l.

4 à 6), elle n'est qu'un moyen au service du changement.

Cequi ferait alors la vraie grandeur de l'homme serait alors de pouvoir ainsi changer ce qui lui est donné au départ (icila maladie qu'il n'a pas choisie).

Il faut reconnaître que certains choix nous échappent, certes, mais cela ne suffitpas.

La conscience humaine exigera autre chose, elle ne sera pas qu'un miroir, elle sera aussi un moteur d'action, unsouci d'efficacité : une action sur ces choix imposés.

Sinon l'homme n'est plus homme.

En acceptant passivement cequi lui est imposé, il ne se distingue plus en effet de l'animal.

La vie du malade doit ainsi rester celle d'un hommeavant tout, avec ses exigences d'humanité (« normes »).

D'où l'idée qu'il y aurait deux acceptations possibles dudéterminisme : une bonne et une mauvaise.

La bonne me maintiendrait humain à travers le changement quej'essaierais d'effectuer sur moi-même (et pas seulement sur la maladie, laquelle peut rester inchangée).

La mauvaiseconsisterait en un fatalisme : se laisser conduire par la maladie en ne croyant plus pouvoir faire autre chose (commeOedipe s'employant vainement à lutter contre le destin).

Impossible alors de croire encore à une liberté comprisecomme licence, absence de contrainte. .../... Car dès lors, j'apparais comme doublement contraint par ma condition d'homme (l.

6 à 14).

Et Sartre d'évoquer deuxarguments (l.

7 « parce que »), (l.

9 «comme»).

Je suis d'une part (l.

6 à 9) contraint par ce qui me détermine (êtremalade) .

Certaines causes en moi ne viennent pas de moi : elles sont reçues et en ce sens je suis pris dans cetenchaînement de causes et d'effets dont je ne suis pas toujours l'auteur (comme le montre ma naissance, que jen'ai pu vouloir).

En ce sens, le déterminisme me décharge de ce dont tous mes choix me chargent.

Enfin, en étantdéterminé, j'échappe aux accusations et à la faute !Pourtant et d'autre part (l.

9 à 11), le moi ainsi ballotté par les multiples causes extérieures m'incombe : ce moi, j'ensuis responsable, je dois le prendre en main et le conduire (ce n'est pas parce que la tempête se lève que lecapitaine abandonne le navire!).

Ce moi qui m'appartient et qui en ce sens est libre (il n'y a que moi pour leconduire), je dois donc le faire valoir : certes, mes parents m'ont fait naître, mais je ne suis pas eux pour autant, nil'enfant x qui naît comme les autres.

De même, je suis malade et banalisé par la maladie.

Mais cette maladie doitdevenir la « mienne ».

C'est moi que j'ai à exprimer et à faire exister, ou encore à faire aboutir.

C'est moi enfin quej'ai à maintenir dans l'humain (« ma moralité »).

La maladie ne me décharge pas de moi-même.

Ainsi (l.

11 à 14) jedois retrouver la volonté de me constituer une existence au sein même de ce qui n'a pas été voulu.

La maladie medétruit parce qu'elle s'impose dans le malheur (elle ne fait pas partie de mes projets et de mes espoirs), mais elle nem'enlève pas cette existence que j'ai à orienter, de par ma nature d'homme, de par ma nature d'être conscient,conscient d'être un soi me revenant totalement.

Ce n'est donc plus seulement me construire que je dois assumer,c'est me reconstruire : construction et destruction me sont données.

La destruction est première et la constructiondevient alors reconstruction.

Si Sartre parle d'« unité » (à donner à cette reconstruction) c'est au sens où il fautreprendre pour soi tout ce qui vient d'ailleurs.

Je dois en quelque sorte vouloir être malade si je veux, au sein mêmede la maladie, avoir l'énergie suffisante pour faire triompher ce moi qui m'incombe : je choisis ainsi ma manière d'êtremalade.S'il faut ainsi reprendre pour soi tout ce qui vient d'ailleurs, quelle est la conséquence? La conséquence en est une vie harassante (l.

14 à 18).

Je suis doublement usé (l.

14-15) : usé de l'extérieur partout ce qui peut contrarier mes projets, c'est-à-dire les obstacles qui m'empêchent de suivre tranquillement mon«chemin » ; usé intérieurement car il faut en quelque sorte faire semblant de vouloir tous ces obstacles.

Ne pas lesvouloir reviendrait à se laisser aller, se laisser entraîner par le déterminisme (le capitaine abandonnerait son navire àla tempête au lieu de vouloir en triompher).

En même temps je deviens forcément « responsable de ce dont je nesuis pas responsable » : ma manière d'être malade me revient entièrement, même si la maladie n'est pas «ma faute».Ainsi je ne choisis absolument pas ce qui m'arrive (cela m'arrive totalement du dehors) mais je choisis absolument -totalement - mes réactions, la manière dont cela va m'arriver (tous les malades ne sont pas identiques).Surtout (l.

16 à 18), c'est en étant « totalement déterminé » que je serai « totalement libre » (sens du « et »).

Maliberté ne peut prendre son sens que dans un tel contexte : c'est en prouvant ma Liberté que je montre qu'elle esttotale.

Ces preuves ne peuvent venir que dans la difficulté et l'épreuve.

En m'imposant un être que je ne veux pasêtre (malade) je dois reconquérir mon être perdu (exemple: le malade dynamique qui a su faire triompher sondynamisme que la maladie aurait pu, voire dû, détruire).

Ainsi Sisyphe condamné à rouler son rocher : il gardeL'énergie que chaque chute lui impose de perdre.

D'où l'idée que cette liberté dans l'assomption est un dépassementdu déterminisme : j'arrive à « poser, au-delà » de ce déterminisme, « des buts » à ma liberté.

Je reste volontairedans ce que je n'ai pas voulu, ce qui me permet ce fameux « changement» posé comme point de départ par Sartre :ce qui était déterminé est changé grâce à ces buts que j'arrive encore à poser.

Mais c'est un engagement de plus,au sens où j'en ai d'autres : je suis déjà engagé, j'ai déjà à prendre parti et agir lorsque je ne suis pas déterminé.

Enrestant libre au sein du déterminisme, je ne réduis pas le nombre de mes engagements, bien au contraire !Cependant, bien qu'il soit possible de comprendre le caractère entier de notre liberté au sein du déterminisme, il estplus difficile de croire à une liberté absolue : l'idée de contrainte ne limite-t-elle pas, en la rendant alors forcémentrelative, notre liberté ?Certes il est concevable de ne pas croire à la possibilité d'un libre arbitre absolu qui m'arracherait à toutedétermination.

La «suspension du jugement» que s'impose Descartes pour douter qu'il y ait «aucune terre, aucunciel, aucune chose étendue...

» (Méditations métaphysiques) est artificielle.

L'attitude naturelle me fait admettreplus raisonnablement qu'il y a des choses hors de moi avec lesquelles je dois compter.. »

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