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MARC AURELE et le mal

Publié le 03/02/2010

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Ils se cherchent des retraites, chaumières rustiques, rivages des mers, montagnes : toi aussi, tu te livres d'habitude à un vif désir de pareils biens. Or, c'est là le fait d'un homme ignorant et inhabile, puisqu'il t'est permis, à l'heure que tu veux, de te retirer dans toi-même. e part l'homme n'a de retraite plus tranquille, moins troublée par les affaires, que celle qu'il trouve dans son âme, particulièrement si l'on a en soi-même de ces choses dont la contemplation suffit pour nous faire jouir à l'instant du calme parfait, lequel n'est pas autre, à mon sens, qu'une parfaite ordonnance de notre âme. Donne-toi donc sans cesse cette retraite, et, là, redeviens toi-même. Trouve-toi de ces maximes courtes, fondamentales, qui, au premier abord, suffiront à rendre la sérénité à ton âme et à te renvoyer en état de supporter avec résignation tout ce monde où tu feras retour. Car enfin, qu'est-ce qui te fait peine ? La méchanceté des hommes ? Mais porte ta méditation sur ce principe que les êtres raisonnables sont nés les uns pour les autres ; que se supporter mutuellement est une portion de la justice, et que c'est malgré nous que nous faisons le mal ; enfin, qu'il n'a en rien servi à tant de gens d'avoir vécu dans les inimitiés, les soupçons, les haines, les querelles : ils sont morts, ils ne sont plus que cendre. Cesse donc enfin de te tourmenter. Mais peut-être ce qui cause ta peine, c'est le lot d'événements que t'a départi l'ordre universel du monde ? Remets-toi en mémoire cette alternative : ou il y a une providence, ou il n'y a que des atomes ; ou bien rappelle-toi la démonstration que le monde est comme une cité. Mais les choses corporelles, même après cela, te feront encore sentir leur importunité ? Songe que notre entendement ne prend aucune part aux émotions douces ou rudes qui tourmentent nos esprits animaux, sitôt qu'il s'est recueilli en lui-même et qu'il a bien reconnu son pouvoir propre, et toutes les autres leçons que tu as entendu faire sur la douleur et la volupté, et aux-quelles tu as acquiescé sans résistance. Serait-ce donc la vanité de la gloire qui viendrait t'agiter dans tous les sens ? Regarde alors avec quelle rapidité l'oubli enveloppe toutes choses, quel abîme infini de durée tu as devant toi comme derrière toi, combien c'est vaine chose qu'un bruit qui retentit, combien changeants, dénués de jugement, sont ceux qui semblent t'applaudir, enfin la petitesse du cercle qui circonscrit ta renommée. Car la terre tout entière n'est qu'un point ; et ce que nous en habitons, quelle étroite partie n'en est-ce pas encore ? Et, dans ce coin, combien y a-t-il d'hommes, et quels hommes ! Qui célébreront tes louanges ? Il reste donc que tu te souviennes de te retirer dans ce petit domaine qui est toi-même. Et, avant tout, ne te laisse point emporter çà et là. Point d'opiniâtreté ; mais sois libre, et regarde toutes choses d'un oeil intrépide, en homme, en citoyen, en être destiné à la mort. Puis, entre les vérités les plus usuelles, objets de ton attention, place les deux qui suivent : l'une, que les choses extérieures ne sont point en contact avec notre âme, mais immobiles en dehors d'elle, et que le trouble naît en nous de la seule opinion que nous nous en sommes formés intérieurement ; l'autre, que tout ce que tu vois va changer dans un moment et ne sera plus. Remets-toi sans cesse en mémoire combien de changements se sont déjà accomplis sous tes yeux. Le monde, c'est transformation ; la vie, c'est opinion. MARC AURELE

 

Marcus Aurelius Antoninus est né à Rome dans une riche et prestigieuse famille d'ascendance espagnole. Orphelin de père à l'âge de trois ans, il fut élevé par son grand-père. Dans l'Historia Augusta, on raconte qu'il développa très jeune un intérêt pour la philosophie, et fut félicité à six ans par l'empereur HadrienP129, qu'il avait sans doute rencontré par les relations de sa famille. A douze ans, l'enfant doté d'une solide culture rhétorique et stoïcienne, décida de se vêtir désormais d'une robe de bure grecque. Le successeur d'HadrienP129, l'empereur Antonin, son oncle par alliance, l'adopta ainsi que le fils d'HadrienP129, Commodus. Mais Marc Aurèle se révéla bientôt comme le préféré des deux ; il reçut le titre de césar en 139, devint consul l'année suivante, et épousa Faustine, la fille d'Antonin. Toutefois, à la mort de l'empereur, Marc Aurèle fit en sorte que lui et son frère adoptif règnent conjointement. Peut-être pensait-il qu'un trône partagé lui laisserait le loisir d'étudier la philosophie, mais la réalité du pouvoir ne lui permit guère de consacrer de temps à la méditation. Le règne s'égrena en une série de catastrophes, parmi lesquelles le déluge, la famine, les guerres frontalières, la peste et un coup d'état. Marc Aurèle débuta ses Pensées  lors de la campagne militaire contre les Germains et les acheva à la fin de sa vie. Elles présentent le dernier grand témoignage de la philosophie stoïcienne antique, dominé par des réflexions sur la mort et la nature transitoire de l'expérience humaine. Il supporta la maladie et l'agonie de la fin de sa vie (probablement dues à un cancer) avec une attitude toute stoïque. Au seuil de la mort, il murmura encore : “ pourquoi pleurez-vous sur moi, au lieu de songer à la peste et à la mort, qui sont le lot commun de tous. ”      

 

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