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Qu'est-ce que conduire par ordre ses pensées ?

Publié le 22/03/2004

Extrait du document

La formule de l'énoncé « conduire par ordre ses pensées » comporte implicitement les assertations suivantes : 1° Pour que je puisse conduire une pensée, il faut que la pensée, par sa nature même, constitue une sorte de mouvement, de marche, de progression. 2° Il faut que, dans certains cas au moins, j'aie le pouvoir de diriger moi-même mes pensées, tandis que, dans d'autres, elles suivent d'elles-mêmes leur « cours ». 3° Lorsque je conduis moi-même mes pensées, je puis soit les conduire sans ordre, soit les conduire par ordre. 1. - On admet volontiers que nos pensées se suivent; en un sens, il ne saurait en être autrement; l'homme qui pense est un homme qui vit, donc qui existe dans le temps; toutes ses pensées, tous ses actes, forment inévitablement une succession. Toutefois, cette succession pourrait être interprétée comme l'apparition successive de pensées différentes, comme celles qui se présentent dans notre esprit lorsque nous regardons le spectacle qui se déroule devant la vitre d'un wagon, lorsque nous lisons un roman ou entendons une oeuvre musicale. Il ne s'agit là que d'une succession accidentelle, étrangère au contenu même de nos pensées, celle que l'on disait jadis régie par les lois de l'« association des idées ». Il est bien plus important de considérer, non plus l'ordre successif d'une pluralité de pensées différentes, mais la formation progressive d'une même pensée. Résoudre un problème, approfondir une réflexion, soutenir une méditation, cela suppose un même objet présent à notre esprit et la progression d'une même pensée qui se précise, s'enrichit, se dépasse elle-même par une sorte de travail intérieur. Cela est si vrai que l'on peut distinguer deux sortes de pensées, parmi les plus réfléchies, les plus personnelles, les plus fortes dont nous soyons capables, les pensées en progression que nous venons d'évoquer, et les pensées instantanées, sans durée, comme celle qui se manifeste dans l'acte de comprendre.

« 3.

— Nous pouvons « conduire » nos pensées en utilisant ce cours qu'elles prennent spontanément dans notreesprit.

C'est ce qui nous arrive quand nous cherchons à rappeler un souvenir momentanément oublié : nous donnonslibre cours aux associations d'idées, nous cherchons même à les multiplier, à leur donner occasion de se dérouler entous sens, guettant toutes les pensées qui se présentent jusqu'à ce que nous reconnaissions celle que nousattendions.

Chercher l'explication d'un fait, la résolution d'une difficulté, la solution d'un problème (ce problèmeserait-il un simple mot croisé), c'est presque toujours essayer d'abord, et contrôler ensuite.

Par ce procédé,souvent utilisé et d'ailleurs efficace, on ne saurait dire que nous « conduisons » vraiment nos pensées : nousattendons qu'elles se produisent d'elles-mêmes et ne faisons que les guetter; il exige néanmoins, de notre part, uneinitiative et une certaine forme d'activité. 4.

— Nous parlons quelquefois de « mettre de l'ordre dans nos pensées ».

Après une journée bien remplied'occupations multiples et variées, lectures, entretiens, visites, travaux domestiques ou professionnels, il peut nousarriver de nous recueillir, de faire une sorte de bilan, de classer les diverses réflexions que nous avons pu faire ou lesdiverses impressions éprouvées.

Pensons aussi à l'écrivain qui note sur un carnet, à mesure qu'elles se produisent, «sans ordre », toutes les remarques qui lui viennent à l'esprit, et qui les ordonne ensuite en vue de leur publication;voyez par exemple les Pensées et Maximes de LA ROCHEFOUCAULD, les Caractères et moeurs de ce siècle de LABRUYERE, les Mauvaises Pensées...

et autres de VALERY.

Toutefois, mettre de l'ordre n'est pas conduire par ordre.C'est donc là une opération que nous n'avons pas à retenir pour notre sujet. 5.

— Il nous arrive, dans d'autres cas, de conduire vraiment nos pensées.

Toutes les fois par exemple que nous «entreprenons » un travail selon un plan ou un programme d'exécution, qu'il s'agisse de tracer et planter un jardin,d'organiser un voyage, d'entreprendre l'étude d'un livre de philosophie, de constituer une bibliographie sur un sujetdonné, de chercher expérimentalement les lois d'un phénomène, d'identifier une plante, un insecte, un minéral aucours d'une excursion, il faut bien que nous disposions dans un certain ordre les différentes opérations à effectuer.Essayez simplement, à la devanture d'un magasin, de faire l'inventaire de ce qui est exposé; vous pourrezévidemment laisser votre regard errer d'un objet à l'autre; vous vous arrêterez alors peut-être à ceux quil'accrochent, vous négligerez sans le vouloir des coins obscurs ; mais vous pourrez aussi organiser méthodiquementvotre enquête, diviser l'ensemble en régions, en plans, en étages, classer les objets en catégories, compter etmesurer systématiquement.

Si vous avez à témoigner à propos d'un accident auquel vous avez assisté, vous serezétonné de ne pas pouvoir donner certains renseignements qu'il eût été pourtant bien facile d'avoir sur place, parceque vous ne vous étiez pas préoccupé de diriger votre attention sur tel ou tel point; tandis que, si vous aviezprocédé suivant un questionnaire établi à l'avance de façon raisonnée, vous auriez recueilli sans peine lesinformations utiles.Dans tous ces exemples, il s'agit bien de diriger notre pensée, car observer, c'est penser; entreprendre, c'estpenser; chercher, c'est penser.

Mais notre pensée est alors réglée sur l'objet, c'est une pensée scientifique outechnique, réglée à la manière dont une action est réglée, programmée, minutée.

Ce n'est pas encore la meilleurefaçon d'interpréter la formule proposée. 6.

— Il y a des cas — nombreux et variés — où le cours de nos pensées est un enchaînement logique, c'est-à-direnécessaire, tel qu'une certaine proposition étant énoncée il est impossible de nier telle autre proposition; il en estainsi dans la résolution d'une équation, démarche dans laquelle, une équation (1) étant posée, une autre équation(2) s'ensuit nécessairement.

La plupart du temps, nous prenons connaissance de cet enchaînementlorsqu'il nous est proposé tout entier, des prémisses à la conclusion.

Mais lorsqu'il faut l'inventer ? Interrogez-vousvous-même et voyez comment il vous arrive de trouver la solution d'un problème de mathématiques.

Ou bienrappelez-vous ce que les mathématiciens appellent analyse, ou méthode analytique, et qui consiste, en partant dela proposition qu'on demande de démontrer, à chercher de quelle autre proposition elle pourrait se déduirenécessairement ; cette méthode est appelée à bon droit, mais paradoxalement, « méthode d'invention », comme s'iln'y avait pas contradiction apparente entre le concept de méthode qui implique l'application de règles et celuid'invention qui désigne une démarche au-delà de toute règle.Cette démarche se retrouve dans des cas très variés : c'est conduire par ordre ses pensées que de faire unedéduction, une analyse, que de passer d'un cas particulier au cas général (de la fonction y = x 2 à la fonction y = ax2 + bx + c), que de procéder de genre à espèce et d'espèce à genre, que d'inventer (tant dans les sciences que dans les techniques), c'est-à-dire d'apercevoir une loi connue dans un fait encore inexpliqué (comme la loi de lagravitation dans le phénomène des marées); on appelle dialectique une démarche conceptuelle, rationnelle,logiquement ordonnée et constructive (comme chez HEGEL, OU chez HAMELIN).

C'est même conduire par ordre sespensées que d'avoir compris l'universalité de la loi des trois états, selon COMTE, et de former ses penséessuccessivement en théologien, en métaphysicien, puis en physicien, sans jamais inverser, ni bouleverser, niprécipiter cette démarche.

C'est conduire par ordre ses pensées que de procéder de loi en loi et de théorie enthéorie à une connaissance de plus en plus « approchée » des phénomènes.Dans tous ces cas, il s'agit de partir d'une pensée déjà formée pour la K dépasser » ; ce n'est pas rejeter,abandonner, renier cette pensée première, c'est prendre appui sur elle pour former une autre pensée, plus forte, ouplus profonde, ou plus compréhensive.

« L'inférieur porte le supérieur », disait Auguste COMTE; ainsi la solution del'équation du premier degré est nécessaire à la solution de l'équation du second degré; elle est donc tout entièreconservée; mieux encore, elle reçoit une signification plus profonde puisqu'elle apparaît comme un cas particulier del'équation du second degré (celui où a = 0).

Dire que nous pouvons conduire par ordre nos pensées, c'est dire qu'il ya un progrès de la pensée et qu'une pensée « procède » d'une autre pensée.. »

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