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Au nom de quoi pourrait-on s'opposer à la raison ?

Publié le 08/02/2004

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Mais plus profondément encore, il est en droit de se livrer à une critique de la raison, c'est-à-dire à l'examen de ses capacités et de ses limites. Car il est des domaines, comme celui de la foi par exemple, où elle semble hors de propos.Se demander au nom de quoi on pourrait s'opposer à la raison revient en somme à s'interroger sur ce qu'elle peut, et sur tout ce qu'elle peut. Et ce questionnement n'est pas seulement nécessaire pour la raison elle-même : il désigne la condition absolue de son droit usage et de sa légitimité. [I. Il est insensé de s'opposer à la raison] Dans le domaine théorique de la connaissance, la raison désigne la faculté proprement humaine qui, bien utilisée (cf la méthode de Descartes), permet d'accéder au vrai. Or la vérité désigne l'aboutissement de la quête éperdue de tout esprit désireux de savoir. S'opposer à la raison reviendrait en ce cas à rejeter la vérité elle-même et à faire prévaloir, contre elle, la puissance des préjugés et de l'illusion. Ce serait faire l'éloge d'une pensée hétéronome (reçue de l'extérieur) et non pas autonome et maîtrisée, alors que l'homme est capable de cette dernière.Mais la raison désigne aussi la faculté de discerner le bien du mal et, dans une situation donnée, de choisir, non pas le meilleur absolument (ce peut être impossible dans certaines circonstances), mais le meilleur dans ce cas-ci, compte tenu des informations dont on dispose.

« [II.

Il peut être légitime et bienfaisant, pour la raison elle-même, de s'y opposer] Comme le montre bien Kant dans les Fondements de la métaphysique des moeurs, l'aridité de l'activité rationnellepeut rapidement s'avérer décourageante pour les hommes les mieux intentionnés.

Car la raison, ainsi, nous imposede renoncer à satisfaire nos inclinations particulières et sensibles pour nous placer du point de vue rationnel del'universel.

En morale (raison pratique), je dois agir comme si la maxime de mon action pouvait valoir comme loiuniverselle, autrement dit, je ne dois me comporter avec autrui que comme je souhaiterais qu'il se comporte avecmoi.

Et la loi morale ne tolère pas la moindre exception, même en ma faveur.

Elle peut ainsi, parfois, faire monmalheur.

Les exemples kantiens sont célèbres.

Choisissons-en un : la loi morale m'interdit de mentir.

Faute de quoitoute parole prononcée serait sujette à la suspicion.

Imaginons qu'un de mes amis chers soit poursuivi par unebande de truands, et frappe à ma porte pour me demander refuge.

Si les truands viennent à leur tour frapper pourme demander s'il est là, l'interdiction de mentir persiste.

Autrement dit, le choix de la raison peut faire mon malheur.

Kant montre ainsi que les hommes les mieux intentionnés sont guettés par lamisologie, c'est-à-dire la haine de la raison.

Ils s'opposent à elle au nom dubonheur, qu'ils trouvent, non sans amertume, beaucoup plus accompli chezles hommes uniquement préoccupés de satisfaire leurs inclinations sensibles,que chez eux-mêmes.

Ils en viennent donc, paradoxalement, à les envier.C'est donc la raison qui suscite son propre rejet.

Cependant, Kant montre quel'on se trompe de cible lorsque l'on sombre dans la misologie.

Car la raison n'ajamais eu pour but de nous procurer le bonheur ou plutôt, elle n'a jamaisprétendu conditionner quelque plaisir sensible que ce soit.

La satisfactionqu'elle apporte, le « vrai contentement », explique Kant, est d'un autre ordre,en l'occurrence du registre de l'intellect et de la conscience morale.

S'opposerà la raison au nom de la passion, du plaisir ou du sentiment, c'est donc luireprocher de ne pas nous apporter quelque chose qui n'est pas de son ordre.Mais cela dessine du même coup le domaine d'une critique légitime.

Car ilsemble que, parfois, la raison s'octroie des droits qui ne lui reviennent pas.C'est le cas lorsqu'elle prétend légiférer dans des questions qui ne relèventpas d'elle, par exemple pour la foi.

Les domaines de la croyance et de laraison sont en effet distincts.

Vouloir soumettre la foi (ou «le coeur », disaitPascal) à la raison, c'est donner à la raison des compétences qu'elle n'a paset qui peuvent même s'avérer dangereuses.

Car elles risquent de nous fairesombrer dans l'intolérance.

Ainsi, pour Kant, la raison n'a pas à se prononcersur l'existence ou l'inexistence de Dieu, ou sur la mortalité ou l'immortalité de l'âme, et elle n'a surtout pas les moyens de « prouver » l'une ou l'autre.

Vouloir le faire reviendrait à s'aventurerdangereusement dans des contrées où elle sera de toute façon infructueuse.

Ce serait sombrer dans ce que Kantnomme « l'illusion transcendantale », c'est-à-dire une sorte d'ivresse et de toute-puissance de la raison qui s'étendlà où elle n'est d'aucun secours et, surtout, n'a aucun droit. [Conclusion] Se demander au nom de quoi on pourrait s'opposer à la raison revient donc à poser les fondements d'uneauthentique critique de ses potentialités et de ses limites.

Se demander jusqu'où la raison peut aller et dans quelscas elle doit savoir renoncer n'est pas dirimant pour la raison.

C'est, tout au contraire, la condition de son pleinépanouissement.

Car de même qu'une démocratie authentique doit se nourrir des oppositions et en sortir grandie,plus représentative du peuple qu'auparavant, de même, la «chose du monde la mieux partagée » doit savoirreconnaître son impuissance locale de façon à mieux accroître ses compétences réelles et à prendre enconsidération, non pas les hommes tels qu'on voudrait qu'ils soient, mais tels qu'ils sont.. »

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