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Acte IV, scène 6 - DOM JUAN de Molière : Elvire annonce sa conversion

Publié le 11/09/2006

Extrait du document

juan

Scène 6

Dom Juan, Done Elvire, Ragotin, Sganarelle.

Ragotin Monsieur, voici une dame voilée qui vient vous parler.

Dom Juan Que pourrait-ce être ?

Sganarelle Il faut voir.

Done Elvire Ne soyez point surpris, Dom Juan, de me voir à cette heure et dans cet équipage. C’est un motif pressant qui m’oblige à cette visite, et ce que j’ai à vous dire ne veut point du tout de retardement. Je ne viens point ici pleine de ce courroux que j’ai tantôt fait éclater, et vous me voyez bien changée de ce que j’étais ce matin. Ce n’est plus cette Done Elvire qui faisait des vœux contre vous, et dont l’âme irritée ne jetait que menaces et ne respirait que vengeance. Le Ciel a banni de mon âme toutes ces indignes ardeurs que je sentais pour vous, tous ces transports tumultueux d’un attachement criminel, tous ces honteux emportements d’un amour terrestre et grossier ; et il n’a laissé dans mon cœur pour vous qu’une flamme épurée de tout le commerce des sens, une tendresse toute sainte, un amour détaché de tout, qui n’agit point pour soi, et ne se met en peine que de votre intérêt.

Dom Juanà Sganarelle Tu pleures, je pense.

Sganarelle Pardonnez-moi.

Done Elvire C’est ce parfait et pur amour qui me conduit ici pour votre bien, pour vous faire part d’un avis du Ciel, et tâcher de vous retirer du précipice où vous courez. Oui, Dom Juan, je sais tous les dérèglements de votre vie, et ce même Ciel qui m’a touché le cœur et fait jeter les yeux sur les égarements de ma conduite, m’a inspiré de vous venir trouver, et de vous dire, de sa part, que vos offenses ont épuisé sa miséricorde, que sa colère redoutable est prête de tomber sur vous, qu’il est en vous de l’éviter par un prompt repentir, et que peut-être vous n’avez pas encore un jour à vous pouvoir soustraire au plus grand de tous les malheurs. Pour moi, je ne tiens plus à vous par aucun attachement du monde ; je suis revenue, grâces au Ciel, de toutes mes folles pensées ; ma retraite est résolue, et je ne demande qu’assez de vie pour pouvoir expier la faute que j’ai faite, et mériter, par une austère pénitence, le pardon de l’aveuglement où m’ont plongée les transports d’une passion condamnable. Mais, dans cette retraite, j’aurais une douleur extrême qu’une personne que j’ai chérie tendrement devînt un exemple funeste de la justice du Ciel ; et ce me sera une joie incroyable si je puis vous porter à détourner de dessus votre tête l’épouvantable coup qui vous menace. De grâce, Dom Juan, accordez-moi, pour dernière faveur, cette douce consolation ; ne me refusez point votre salut, que je vous demande avec larmes ; et si vous n’êtes point touché de votre intérêt, soyez-le au moins de mes prières, et m’épargnez le cruel déplaisir de vous voir condamner à des supplices éternels.

Sganarelle Pauvre femme !

Done Elvire Je vous ai aimé avec une tendresse extrême, rien au monde ne m’a été si cher que vous ; j’ai oublié mon devoir pour vous, j’ai fait toutes choses pour vous ; et toute la récompense que je vous en demande, c’est de corriger votre vie, et de prévenir votre perte. Sauvez-vous, je vous prie, ou pour l’amour de vous, ou pour l’amour de moi. Encore une fois, Dom Juan, je vous le demande avec larmes ; et si ce n’est assez des larmes d’une personne que vous avez aimée, je vous en conjure par tout ce qui est le plus capable de vous toucher.

Sganarelle Cœur de tigre !

Done Elvire Je m’en vais, après ce discours, et voilà tout ce que j’avais à vous dire.

Dom Juan Madame, il est tard, demeurez ici : on vous y logera le mieux qu’on pourra.

Done Elvire Non, Dom Juan, ne me retenez pas davantage.

Dom Juan Madame, vous me ferez plaisir de demeurer, je vous assure.

Done Elvire Non, vous dis-je, ne perdons point de temps en discours superflus. Laissez-moi vite aller, ne faites aucune instance pour me conduire, et songez seulement à profiter de mon avis.

 

CONTEXTE

La seconde moitié du premier acte de Dom Juan est occupée par l'affrontement qui oppose Elvire et Don Juan. Elvire y découvre ce qu'elle ne voulait pas croire : Don Juan l'a effectivement abandonnée sans retour. Déshonorée, elle promet de se venger et la suite montre que ce ne sont pas de vaines paroles. Les frères d'Elvire poursuivent Don Juan et se font menaçants.

Don Juan s'est montré si cruel et si insolent au cours de ces retrouvailles du premier acte, qu'Elvire n'a aucune raison de revenir. Or, comme si décidément tout le monde voulait empêcher Don Juan de souper, après Monsieur Dimanche le créancier, après Don Louis, son père qui s'est montré sermonneur et menaçant, arrive Elvire, la dernière conquête de Don Juan et sa dernière victime.

 

juan

« vous, j'ai fait toutes choses pour vous ; et toute la récompense que je vous en demande, c'est de corriger votrevie, et de prévenir votre perte.

Sauvez-vous, je vous prie, ou pour l'amour de vous, ou pour l'amour de moi.

Encoreune fois, Dom Juan, je vous le demande avec larmes ; et si ce n'est assez des larmes d'une personne que vous avezaimée, je vous en conjure par tout ce qui est le plus capable de vous toucher. Sganarelle Cœur de tigre ! Done Elvire Je m'en vais, après ce discours, et voilà tout ce que j'avais à vous dire. Dom Juan Madame, il est tard, demeurez ici : on vous y logera le mieux qu'on pourra. Done Elvire Non, Dom Juan, ne me retenez pas davantage. Dom Juan Madame, vous me ferez plaisir de demeurer, je vous assure. Done Elvire Non, vous dis-je, ne perdons point de temps en discours superflus.

Laissez-moi vite aller, ne faites aucune instancepour me conduire, et songez seulement à profiter de mon avis. IDÉE DIRECTRICE ET MOUVEMENT DU TEXTE Elvire est venue chez Don Juan pour un dernier adieu.

Elle se trouve dans un tout autre état d'esprit qu'au premieracte.

Ce n'est plus l'amante jalouse qui parle, la femme abandonnée qui épanche son âme blessée, mais une femmetouchée par la grâce.

Elle a dépassé le jeu relationnel et s'est transportée dans la sphère de l'amour mystique. Elle a osé une visite tardive, au mépris de toutes les convenances, pour adresser à Don Juan un ultimeavertissement.

Elle conjure le séducteur de se repentir quand il est encore temps. Dans un premier temps, l'effet de suprise passé, Elvire rassure Don Juan: il n'a pas à craindre un éclat, elle n'est pasvenue l'importuner.

Ce premier passage est axé sur le thème du changement d'Elvire.

Sa conversion a transformél'amour qu'elle porte à Don Juan en l'épurant des élans de la passion.

Elvire met l'accent sur la spiritualité d'unetendresse qui n'a pas disparu, mais qui s'élève désormais au-dessus de l'instinct de possession, de la jalousie, del'attachement sensuel et des affres de l'amour-propre. Cette confession émouvante ne suscite chez Don Juan qu'une remarque narquoise adressée à Sganarelle. La transition avec la seconde déclaration d'Elvire est constituée par cette réplique et la réponse troublée autantque troublante de Sganarelle: «Pardonnez-moi.» Dans la deuxième grande partie du texte, Elvire reprend son souffle pour se lancer dans une véritable exhortation aurepentir.

On pourra subdiviser cette longue tirade en trois séquences. D'abord, il est question de «tous les dérèglements de votre vie ».

Elvire parle ici en messagère du Ciel.

Elle apporte au pécheur la promesse du pardon: c'est l'application de l'idée chrétienne de la miséricorde infinie deDieu.

Mais elle annonce l'imminence du châtiment si Don Juan s'obstine dans l'erreur. Ensuite, Elvire reprend l'idée, déjà exprimée dans la première tirade, du détachement céleste.

Elle formule le remordsde ses fautes, puisqu'elle a quitté le couvent pour suivre Don Juan.

Ce mouvement s'étend de «Pour moi, je ne tiens plus à vous...» jusqu'à: «Mais, dans cette retraite...

» • La troisième partie de la tirade fait en quelque sorte la synthèse des idées précédentes: enréunissant les deux thèmes qu'elle a abordés successivement, Elvire fait le lien entre son destin etcelui de Don Juan.

Elle projette dans un avenir idéal leur réconciliation sur un plan spirituel, comme sielle transposait dans la vision d'un couple mystique l'amour humain qu'elle portait au libertin.

Ce quine lui a pas été donné d'accomplir dans le mariage, elle tend à l'accomplir dans le mouvement de lafoi, sur le plan surnaturel. Après l'interruption de Sganarelle, Elvire prononce une troisième tirade, troisième partie d'un texteconstruit en spirale.

Ici, Elvire englobe le passé dans son voeu de rédemption, comme si elle voulaitépurer tout ce qui avait été souillé par la trahison. Quand elle rappelle la « tendresse extrême» qu'elle a portée à Don Juan, elle laisse percer l'amour humain sous la flamme mystique.

Elle laisse entendre à Don Juan qu'elle l'aime encore, mais d'unamour différent, un amour qui dépasse la relation conjugale, puisqu'elle va jusqu'à dire: «...

je vous. »

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