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Acte IV, scène 4: Les reproches de Don Louis - DOM JUAN de Molière

Publié le 11/09/2006

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Scène 4

Dom Louis, Dom Juan, La Violette, Sganarelle.

La Violette Monsieur, voilà Monsieur votre père.

Dom Juan Ah ! me voici bien : il me fallait cette visite pour me faire enrager.

Dom Louis Je vois bien que je vous embarrasse, et que vous vous passeriez fort aisément de ma venue. À dire vrai, nous nous incommodons étrangement l’un et l’autre ; et si vous êtes las de me voir, je suis bien las aussi de vos déportements. Hélas ! que nous savons peu ce que nous faisons quand nous ne laissons pas au Ciel le soin des choses qu’il nous faut, quand nous voulons être plus avisés que lui, et que nous venons à l’importuner par nos souhaits aveugles et nos demandes inconsidérées ! J’ai souhaité un fils avec des ardeurs nonpareilles ; je l’ai demandé sans relâche avec des transports incroyables ; et ce fils, que j’obtiens en fatiguant le Ciel de vœux, est le chagrin et le supplice de cette vie même dont je croyais qu’il devait être la joie et la consolation. De quel œil, à votre avis, pensez-vous que je puisse voir cet amas d’actions indignes, dont on a peine, aux yeux du monde, d’adoucir le mauvais visage, cette suite continuelle de méchantes affaires, qui nous réduisent, à toutes heures, à lasser les bontés du Souverain, et qui ont épuisé auprès de lui le mérite de mes services et le crédit de mes amis ? Ah ! quelle bassesse est la vôtre ! Ne rougissez-vous point de mériter si peu votre naissance ? Êtes-vous en droit, dites-moi, d’en tirer quelque vanité ? Et qu’avez-vous fait dans le monde pour être gentilhomme ? Croyez-vous qu’il suffise d’en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d’être sorti d’un sang noble lorsque nous vivons en infâmes ? Non, non, la naissance n’est rien où la vertu n’est pas. Aussi nous n’avons part à la gloire de nos ancêtres qu’autant que nous nous efforçons de leur ressembler ; et cet éclat de leurs actions qu’ils répandent sur nous, nous impose un engagement de leur faire le même honneur, de suivre les pas qu’ils nous tracent, et de ne point dégénérer de leurs vertus, si nous voulons être estimés leurs véritables descendants. Ainsi vous descendez en vain des aïeux dont vous êtes né : ils vous désavouent pour leur sang, et tout ce qu’ils ont fait d’illustre ne vous donne aucun avantage ; au contraire, l’éclat n’en rejaillit sur vous qu’à votre déshonneur, et leur gloire est un flambeau qui éclaire aux yeux d’un chacun la honte de vos actions. Apprenez enfin qu’un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature, que la vertu est le premier titre de noblesse, que je regarde bien moins au nom qu’on signe qu’aux actions qu’on fait, et que je ferais plus d’état du fils d’un crocheteur qui serait honnête homme, que du fils d’un monarque qui vivrait comme vous.

Dom Juan Monsieur, si vous étiez assis, vous en seriez mieux pour parler.

Dom Louis Non, insolent, je ne veux point m’asseoir, ni parler davantage, et je vois bien que toutes mes paroles ne font rien sur ton âme. Mais sache, fils indigne, que la tendresse paternelle est poussée à bout par tes actions, que je saurai, plus tôt que tu ne penses, mettre une borne à tes dérèglements, prévenir sur toi le courroux du Ciel, et laver par ta punition la honte de t’avoir fait naître.

Il sort.

 

L'acte IV de Dom Juan pourrait être appelé l'acte des visites puisque Dom Juan, qui souhaite souper et a demandé aux domestiques de condamner sa porte, va être dérangé à quatre reprises. Un créancier est venu lui réclamer son dû et Don Juan, avec beaucoup de faconde, l'a éconduit sans rien lui donner. Mais à peine Monsieur Dimanche, le créancier malheureux, a-t-il quitté les lieux, que l'on annonce l'arrivée de Don Louis, père de Don Juan. Cet épisode, nous le verrons, n'est pas gratuit puisqu'il concerne à la fois l'action et le contenu idéologique de la pièce

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« IDÉE DIRECTRICE ET MOUVEMENT DU TEXTE Nous assistons à une leçon de morale d'un père à son fils que Don Juan écoute patiemment et à laquelle il ne répondpas sinon par une insolence.

Son père s'exprimait dans un registre « noble », tant par l'élévation des sentiments quepar le niveau de la langue.

Au terme de cette homélie, Don Juan se contente de l'inviter à s'asseoir: non seulement iln'argumente pas (ce qu'il sait très bien faire), mais, en l'invitant à s'asseoir, il l'invite à redescendre de ses hauteurs,montrant ainsi le peu de cas qu'il fait de ses propos. C'est autour de cette invitation à s'asseoir que cette scène s'articule en un avant et un après.

Dans un premiertemps, Don Louis parle, pérore, sermonne, conseille.

Dans un second temps, ayant compris l'inutilité de ces efforts,il menace.

Ces menaces ne sont pas des paroles en l'air. Dans le sermon de Don Louis, il est possible de distinguer différentes phases : Don Louis commence par décrire la nature de ses rapports avec son fils.

C'est l'occasion de souligner labizarrerie des agissements du Ciel. Il passe ensuite à l'évocation de l'inconduite de son fils (à partir de «De quel oeil, à votre avis...

»). A partir de «Ne rougissez-vous point de mériter si peu de votre naissance », il élargit le débat pour poser d'une manière très générale le problème de la noblesse. Maître d'une rhétorique qui équilibre les périodes et choisit ses images, comme le serait un prédicateur, iltermine par une antithèse frappante qui sert de chute et met un terme à ce beau morceau d'éloquence. Don Juan, qui n'a pas interrompu son père, montre alors que ces belles envolées l'ont laissé complètementindifférent.

Ulcéré, Don Louis passe aux menaces. AXES D'EXPLICATION Les ironies du Ciel On débattait beaucoup, à l'époque, des liens entre Dieu (le Ciel) et l'homme.

Notre destinée était-elle déjà écritequelque part (thèse de la prédestination) ou l'homme disposait-il du libre arbitre (une liberté qui le distinguait dureste de la nature)? Quel rôle jouait la « grâce » de Dieu pour aider chacun à trouver la voie juste? Etait-elle unsimple appui ou, au contraire, un élément indispensable et sans lequel il n'était pas possible de faire son salut? Les jésuites refusaient la prédestination.

Les jansénistes, tout en s'en défendant, semblaient l'admettre.

LesProvinciales (1656-1657), de Pascal, parues quelques années avant la première de Dom Juan, étaient au coeur du débat.

Quelques années après cette date, Racine montrait dans Phèdre (1677) une héroïne broyée par un destin décidé dès le départ par les dieux.

Par la suite, on a voulu y voir l'influence du jansénisme. Les références de Don Louis aux décisions du Ciel, qui pouvaient faire apparaître Don Juan comme la victime d'uneironique fatalité, trouvaient donc des échos dans le public. Le passage en question est intéressant dans la mesure où il nous montre Don Louis s'efforçant de trouver uneexplication rationnelle à cette mutation aberrante qu'est l'arrivée d'un fils indigne dans sa lignée. L'allusion serait à mettre au compte des aspects parodiques et burlesques de l'oeuvre.

Don Juan serait « marqué »comme certains héros tragiques par une fatalité inscrivant les pulsions mauvaises à l'intérieur d'une sorte de bilangénéral dans les relations entre les hommes et les dieux.

Comme si l'importunité des prières de Don Louis avait eupour récompense ironique l'octroi d'un fils dont les vices seraient à la mesure des voeux adressés au Ciel. L'ironie de la situation, en tout cas, fait sourire.

On verrait bien Don Juan s'amuser de cette inconséquence du Ciel,lui qui aime tant relever les contradictions.

Mais cette ironie du sort prend peut-être encore plus de saveur à êtreévoquée, sans la moindre ironie, par le vieux Don Louis. Le problème de la noblesse Le problème de la noblesse est l'un des nombreux problèmes d'actualité posés dans Dom Juan.

Il donne ici lieu à un véritable exposé. Il est possible de comprendre l'intérêt d'un tel débat.

Ceux qui occupent des hautes fonctions dans la sociétéd'aujourd'hui ont, eux aussi, des droits qui sont souvent des privilèges.

Ces droits impliquent des devoirs.

Si lecomportement n'est pas à la hauteur du statut, il n'en est que plus condamnable. La thèse de Don Louis est simple: elle consiste à voir dans la noblesse non un privilège dû à la naissance, maisl'expression d'une supériorité morale.

Cette supériorité doit se vérifier et se justifier par l'exercice de la vertu.

Enutilisant sa noblesse pour satisfaire ses vices, Don Juan pervertit cette équation.

C'est en cela qu'il est « indigne». »

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