Devoir de Philosophie

Aimez et faites ce que vous voulez

Publié le 20/03/2004

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Cela ne veut pas dire que nous retombions dans la morale du devoir avec son contraignant réseau d'interdits et d'impératifs : l'amour, comme on dit, ne se commande pas ; on n'aime pas ce qu'on veut ni même toujours ce qu'il serait raisonnable d'aimer, car « le coeur a ses raisons que la raison ne connaît pas ». Il s'agit seulement de n'accorder ce grand amour qui consiste dans le don de soi qu'à un objet qui ne déçoive pas et auquel on puisse toujours se donner. Le choix est vaste, et il est laissé à l'initiative de chacun qui se portera vers ce qui répond le mieux à ses aspirations naturelles. On peut aimer les grands idéaux que sont le vrai, le beau, le bien sous leurs diverses formes. Mais l'amour s'attache plutôt à des personnes : à des groupes humains personnifiés, comme la famille et la patrie ; à des personnes physiques, comme une fiancée, une épouse, des enfants ; mais alors, pour ne pas retomber dans l'amour vulgaire concentré sur soi-même, les âmes doivent communier dans un idéal commun : « Aimer, ce n'est pas nous regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction».Toutefois, inutile de le dire, saint Augustin songeait surtout à l'amour de Dieu : c'est une substitution d'une morale de l'amour à la morale plus commune de la volonté de Dieu qu'il nous propose, et cette opposition nous rend plus net le changement qu'apporte la formule « ama et fac quod vis ».Les auditeurs massés sous la chaire ont entendu mille fois le rappel des « vérités fondamentales » de la morale chrétienne : Dieu est notre créateur et notre maître ; nous devons donc observer la loi qu'il nous a imposée ; d'autant plus que, juge et justicier, il ne laissera pas impunie la désobéissance à ses ordres... Pour trop de chrétiens, Dieu n'est qu'un maître - et pour donner à ce mot tout son sens, il faut se rappeler qu'au temps de saint Augustin il y avait des esclaves : c'est un maître armé du fouet. L'évêque d'Hippone arrache ses auditeurs à' l'obsession de cette divinité de caricature : Dieu est -l'infinie perfection et l'infinie bonté ; il est le plus aimable des êtres ; aimons-le donc. Pas d'un amour de série, mais d'un amour vraiment nôtre qui soit l'expression authentique de notre âme : l'un aimera sa grandeur et sa puissance, l'autre se complaira dans le mystère de sa nécessité et de son éternité ; ceux-ci le considéreront dans sa transcendance, et ceux-là le verront immanent dans tout ce qui participe de lui ; quelques-uns entreront dans l'obscurité d'une nature qui fait éclater tous nos concepts, mais un plus grand nombre préférera s'arrêter au Verbe incarné avec qui il traitera comme avec un grand frère ou avec un grand ami.

« II.

— SES EXIGENCES Cet exemple même nous donne déjà le vif sentiment du dévouement exigé par l'amour : y a-t-il une profession plusastreignante que celle des mères de familles élevant leurs enfants et assurant leur ménage ? Y en a-t-il danslaquelle on observe communément une telle conscience ?Pour expliquer les exigences de la maxime augustinienne, nous les rattacherons aux deux propositions qui laconstituent : « Aimez » et « Faites ce que vous voulez ». A.

« Aimer ». — Celui qui aime ne pense jamais se trop dépenser pour l'objet de son amour : il fait le possible et tente l'impossible.

Il ne s'arrête jamais, content de lui-même et de son oeuvre, car plus il se donne et plus croît sonamour et par là son besoin de donner.

Le succès d'une opération qui vient doubler son avoir ne modère pas, chezl'avare, la hantise d'amasser : il la stimule au contraire, et lui fait rêver un meilleur coup pour demain.

Qu'on aimel'argent, Dieu, une femme ou les miséreux, on n'estime jamais avoir atteint les limites du raisonnable.Vie de forçat, pensera celui qui observe de l'extérieur l'existence de cet amoureux.

Mais étant à l'extérieur, il nepeut le comprendre.

Pour celui qui aime, se dévouer est un bonheur, car, ainsi que l'a excellemment dit saintAugustin, « in eo quod amatur, aut non laboratur aut et labor amatur » (là où l'on aime, on ne peine pas, ou cettepeine aussi est aimée).

C'est pourquoi rien n'arrête au service de celui auquel on s'est attaché par les liens d'unpuissant amour. B.

«Faites ce que vous voulez». — Cette autonomie qui résulte du total don de soi est le rêve de bien des hommes : quand donc, pensent-ils, serai-je mon maître et pourrai-je organiser mon existence à ma fantaisie ? Maislorsque cette prérogative échoit à une âme noble, elle se trouve sous l'emprise d'exigences plus étroites.Celui dont je fais la volonté doit compter avec la faiblesse des hommes et, ne pénétrant pas les consciences, setenir à un niveau médiocre, médiocrité facilement tenue, pour celui qui est installé dans l'hétéronomie, pour unmaximum à atteindre.

Mais une fois délivré de ce gabarit qui comprime tout en opprimant, quiconque a un idéal n'oseplus fixer des limites qu'il ne dépassera pas.

Que voudrai-je, puisqu'on me laisse la faculté de déterminer l'objet demon vouloir? Mais le plus possible, car j'aurais l'impression de déchoir si je m'en tenais au minimum fixé par la moraledu devoir.Quand on s'est mis sous la loi de l'amour, l'autonomie suscite une générosité à laquelle n'atteint pas l'homme dedevoir. Conclusion. — On le voit, la morale de l'amour n'est pas une morale de médiocres, et elle ne conduit pas à la médiocrité.

Elle va bien plus loin dans ses exigences que la rigide morale du devoir.

Mais la manière dont elle entraîneau dévouement et au sacrifice est si souple et si suave qu'on ne saurait, nous semble-t-il, parler de sa rigueur.

Apeine peut-on admettre le mot d'exigence, et il nous paraîtrait plus juste de dire qu'elle obtient plus sans rien exiger.. »

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