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Alain: Politique et morale

Publié le 10/01/2004

Extrait du document

alain
Chacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que chacun les subit et que personne ne les forme. Un citoyen, même avisé et énergique quand il n'a à conduire que son propre destin, en vient naturellement et par une espèce de sagesse à rechercher quelle est l'opinion dominante au sujet des affaires publiques. "Car, se dit-il, comme je n'ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à moi tout seul, il faut que je m'attende à être conduit ; à faire ce qu'on fera, à penser ce qu'on pensera." Remarquez que tous raisonnent de même, et de bonne foi. Chacun a bien peut-être une opinion ; mais c'est à peine s'il se la formule à lui-même ; il rougit à la seule pensée qu'il pourrait être seul de son avis. Le voilà donc qui honnêtement écoute les orateurs, lit les journaux, enfin se met à la recherche de cet être fantastique que l'on appelle l'opinion publique. "La question n'est pas de savoir si je veux ou non faire la guerre." Il interroge donc le pays. Et tous les citoyens interrogent le pays au lieu de s'interroger eux-mêmes. Les gouvernants font de même, et tout aussi naïvement. Car, sentant qu'ils ne peuvent rien tout seuls, ils veulent savoir où ce grand corps va les mener. Et il est vrai que ce grand corps regarde à son tour vers le gouvernement, afin de savoir ce qu'il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n'est point de folle conception qui ne puisse quelque jour s'imposer à tous, sans que personne pourtant l'ait jamais formée de lui-même et par libre réflexion. Bref, les pensées mènent tout, et personne ne pense. D'où il résulte qu'un Etat formé d'hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou. Et ce mal vient originairement de ce que personne n'ose former son opinion par lui-même ni la maintenir énergiquement, en lui d'abord, et devant les autres aussi.

La problématique s'élabore à partir de la notion d'opinion publique. Celle-ci est-elle l'opinion de tous les citoyens?  D'une majorité d'entre eux ? Quel est donc le "public" qui serait l'auteur d'une opinion générale ?    Ce problème débouche, dans le dernier paragraphe, sur un autre, concernant directement la pratique du pouvoir politique.  Qui gouverne ? Les gouvernants ou cette opinion publique dont personne n'est véritablement l'auteur ?    On en vient même à se demander, avec ALAIN, si l'Etat peut être tenu pour une entité responsable. Ne risque-t-il pas toujours, au contraire de sombrer dans la folie de la "dictature d'opinion" ?  

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« Chacun agit ainsi, passivement, de bonne foi, et, ajoute ALAIN, par une "espèce de sagesse".

Il est en effetraisonnable de penser que, concernant les affaires publiques, l'individu seul ne soit pas le plus avisé, ni le plusclairvoyant. ARISTOTE notait déjà qu'en matière politique, l'avis collectif était plus raisonnable que l'avis d'un seul, fût-il unexpert.

C'est donc fort raisonnablement que chacun se laisse imposer une pensée dont il n'est paspersonnellement l'auteur. 2 - Une illustration de l'analyse précédente. Le second paragraphe illustre, sur le mode descriptif, le contenu conceptuel du premier, en nous montrant unpays entier consultant cette fantomatique opinion publique. ALAIN, au passage, laisse entendre que la presse nourrit en grande partie cette illusion qu'est l'opinionpublique.Ainsi, tous interrogent le pays, c'est-à-dire personne, et ne font pas confiance en leur jugement. 3 - L'enjeu politique d'une telle description. Le dernier paragraphe est le plus inquiétant, puisqu'il nous brosse le tableau d'un état fantôme, gouvernéfollement par l'opinion publique. En effet, les gouvernants eux-mêmes, en tant qu'individus, se tournent aussi vers l'opinion publique.

Dans cejeu de miroir entre le public anonyme et les gouvernants, les plus folles conceptions peuvent naître, comme ladécision de faire la guerre, sans que personne puisse en répondre. Le paradoxe final est effrayant : l'Etat peut agir follement, sans que personne individuellement n'ait cesséd'être raisonnable. ALAIN conclut fortement sur ce qui lui semble être la cause d'un si grand mal :le manque de fermeté ; l'absence ou l'insuffisance de courage qu'il faut pour penser et juger par soi-même entoute circonstance. B - UNE REFLEXION CRITIQUE SUR LE POUVOIR EN DEMOCRATIE 1 - La responsabilité du citoyen Ce texte ne manque pas d'intéresser le citoyen que nous sommes.

Il nous rappelle d'abord tous à notreresponsabilité individuelle : même en politique, surtout en politique, ne renonçons jamais à notre propre facultéde juger. Dans le cas inverse, l'Etat se retrouve sans rênes, pris dans la logique folle de la "dictature d'opinion". Point de dictature plus douce : car chacun consent à s'en remettre à elle ; pas de plus dangereuse aussi, carce suivisme est en politique le meilleur allié des projets les plus aberrants, voire, des plus barbares. 2 - Un problème crucial pour la démocratie Le problème intéresse au plus haut point une réflexion sur la démocratie. Ce type de pouvoir doit en effet consulter le peuple, et recourir en conséquence au débat public. Mais, en même temps, comment faire pour que cette consultation ne donne pas lieu à la dérive pointée parALAIN : un gouvernement gouverné par l'opinion publique ? ALAIN ne donne aucune réponse institutionnelle.

Il rappelle chacun à sa responsabilité de citoyen, la premièreétant de penser par soi-même. Le jugement est la condition de la démocratie.

Dés qu'on y renonce, elle meurt. V - QUELQUES RÉFÉRENCES POSSIBLES ARISTOTE, La politique, Livre III, chapitre 11 et 13 :ARISTOTE y montre la supériorité du jugement collectif sur le jugement individuel.. »

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