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Albert Cohen, Le Livre de ma mère (fiche de lecture)

Publié le 11/09/2011

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Ô mon passé, ma petite enfance, ô chambrette, coussins brodés de petits chats rassurants, vertueuses chromos, conforts et confitures, tisanes, pâtes pectorales, arnica, papillon du gaz dans la cuisine, sirop d'orgeat, antiques dentelles, odeurs, naphtalines, veilleuses de porcelaine, petits baisers du soir, baisers de Maman qui me disait, après avoir bordé mon lit, que maintenant j'allais faire mon petit voyage dans la lune avec mon ami un écureuil. Ô mon enfance, gelées de coings, bougies roses, journaux illustrés du jeudi, ours en peluche, convalescences chéries, anniversaires, lettres du Nouvel An sur du papier à dentelures, dindes de Noël, fables de La Fontaine idiotement récitées debout sur la table, bonbons à fleurettes, attentes des vacances, cerceaux, diabolos, petites mains sales, genoux écorchés et j'arrachais la croûte toujours trop tôt, balançoires des foires, cirque Alexandre où elle me menait une fois par an et auquel je pensais des mois à l'avance, cahiers neufs de la rentrée, sac d'école en faux léopard, plumiers japonais, plumiers à plusieurs étages, plumes Sergent-Major, plumes baïonnette de Blanzy Poure, goûters de pain et de chocolat, noyaux d'abricots thésaurisés, boîte à herboriser4, billes d'agate, chansons de Maman, leçons qu'elle me faisait repasser le matin, heures passées à la regarder cuisiner avec importance, enfance, petites paix, petits bonheurs, gâteaux de Maman, sourires de Maman, ô tout ce que je n'aurai plus, ô charmes, ô sons morts du passé, fumées enfuies et dissoutes saisons. Les rives s'éloignent. Ma mort approche.

Ni tout à fait autobiographie, puisque c'est la mère qui occupe la première place, ni tout à fait biographie*, puisque l'auteur ne cesse d'interroger sa relation à celle qui l'a trop tôt quitté, Le Livre de ma mère (1954) est avant tout un hommage émouvant que Cohen rend à sa mère et, à travers elle, à toutes les mères. Cet extrait, situé au milieu de l'ouvrage, est le lieu d'un bilan de toutes les petites joies de l'enfance, à jamais perdue. Nous verrons, dans une première partie, que l'auteur évoque une enfance particulièrement heureuse, puis, dans un deuxième temps, nous montrerons que les joies du passé vont de paire avec les malheurs du présent. Enfin, nous étudierons les vertus curatives : elle apaise la douleur et aide à vivre.

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« éventuellement le lecteur décider du statut qu'il voudrait donner à son œuvre, alors même qu'Albert Cohen ne cessed'évoquer sa mère, dans ses interviews, exactement avec les mêmes expressions et la même sacralisation que dansses écrits autobiographiques.

Dans ses entretiens avec la presse, il ne laisse jamais supposer qu'il est pu, dans Lelivre de ma mère, altérer, occulter ou embellir la réalité.

Il reconnaît qu'il a voulu rendre hommage à son "admirablemère", ce qui implique certains choix narratifs.

Il raconte bien la première personne quelques événements ouhabitudes de son enfance, de son adolescence, puis de l'âge adulte (les retrouvailles régulières avec sa mère), maisil met moins l'accent sur l'histoire de sa personnalité que sur celle de la relation à la fois fusionnelle et ambivalentequ'il entretient avec sa mère.

Le titre même ne rend pas tout à fait compte de la dimension autobiographie del'œuvre.

Il ne s'agira donc pas exactement de l'histoire de la vie de l'auteur-narrateur-personnage, mais d'un récitcentré sur la figure de sa mère admirée, célébrée, regrettée, inégalable et irremplaçable.

Si cette œuvre est enpartie autobiographique, c'est d'une manière décalée : la vie de l'auteur n'est racontée qu'à travers le lien profondqui unit mère et fils, à travers la célébration de la figure maternelle et la douleur d'un deuil qui ne veut pas se faire.Contrairement à de nombreux autobiographes, Albert Cohen n'engage pas de pacte autobiographique explicite avecle lecteur.

Dans le premier chapitre qui constitue une sorte de prologue, l'auteur ne prétend pas vouloir raconterl'ensemble de sa vie et ne se targue pas de sincérité absolue.

Il s'abîme dans la douleur tout en savourant lebonheur d’écrire et suggère au détour d'une phrase son projet d'écriture : "puisque tu veux oser le faire, parle de tamère morte" (p.13).

Albert Cohen ne prétend jamais dire la vérité, mais s'arrange toujours pour que le lecteur pensequ'il ne peut dire que la vérité.

C'est tout d'abord sa souffrance, sans cesse ressassée, qui lui tient lieu de pacteautobiographique implicite, comme si la douleur était synonyme de sincérité et de vérité.

Ainsi, tout le premierchapitre sous-entend que celui qui souffre ne peut mentir et que le deuil est le garant de l'authenticité du récit.Albert Cohen veut donc nous faire croire qu'il ne réécrit pas, ne recompose pas, n'idéalise pas son passé : c'est sonpassé qui s'impose à lui, avec toute la force du désespoir.

Outre le pacte implicite qu'il noue avec le lecteur enarborant sa douleur comme l'étendard de sa sincérité, Albert Cohen accrédite également ses souvenirs en affirmantécrire pour sa mère et à sa mère.

Il s'adresse en effet davantage à elle qu'au lecteur, comme s'il continuait à la voirou même à lui parler.

L'hommage rendu prend donc la forme d'une longue et douloureuse lettre à la mère, exprimantla gratitude filiale : "Chérie, ce livre, c'est ma dernière lettre" (p.76). Enfin, on pourra retenir deux thèmes principaux à travers la sacralisation de la mère.

En effet, la mère apparaîtcomme un génie de l'amour avec la divinisation du fils.

Le don maternel érige la mère en reine («reine de Saba»p.45), en «majesté» (p.

15,18, 163,167,…), en sainte (p.

21,75) et également en «prêtresse de son fils» (p.15)lequel s'apparente alors à une divinité.

Elle a «foi» en lui, il est son dieu, à qui elle offre des sacrifices et dont ellecontemple l'image.

Elle n'au moment où on prend son sens et avec un abonnement à une cérémonie, en mettanttous les jours la place du fils absent à table et un Normand sa photographie de fleur.

La sanctification de la mèremorte dans l'autobiographie répond donc à la sacralisation du fils par la mère vivante : son amour absolu est «unedivine folie» (p.167).

Les cadeaux que le fils offre à la mère sont également sacralisés par elle comme desprolongements mêmes du corps filial auquel il ne faut pas toucher : sac à main (p.57), souliers de daim qu’ellecontemple, qu'elle promène dans l'appartement ou place à côté d'elle, qu'elle appelle ses «petits invités» (p.72) etdont elle ne se sert jamais pour ne pas les abîmer.

La divinisation du fils conduit la mère à une admiration éperdue età une partialité totale.

De son fils, elle admire tout.

Elle s'extasie devant son élégance, devant sa créativité littéraire(«des centaines de pages sorties du cerveau.

Quelle merveille du monde !» p.70), devant sont charme qu’elle jugeirrésistible.

Pour le narrateur, la divinisation du fils par la mère est la preuve même du génie maternel, capabled'aimer absolument, de projeter sur l'être aimé ses propres qualités.

Cette sacralisation apparaît également à traversles disponibilités maternelles.

Dans tout le récit, la mère est «la bienfaitrice», toujours prête à nourrir en abondancel'enfant, mais aussi le fils adulte, toujours prête à soigner l'enfant comme l'adulte.

Elle a aussi un rôle de «servanteet gardienne» de son fils, elle est à son service et le protège, quel que soit son âge.

Aucune femme n'égale la mèredu narrateur ni en amour, ni en partiale ferveur, ni en dévouement.Elle apparaît également à travers l’incarnation de l'enfance.

En effet, l'enfant du narrateur est aussi sacralisé que lamère est sanctifiée, car cette dernière est au centre de ce paradis perdu et regretté.

Le père est à peine présentdans les souvenirs d'enfance alors que la mère, omniprésente, incarne l'enfance du narrateur.

Seule, elle réconforteet encourage l'enfant, s'occupe de sa scolarité, le fait sortir, le gâte, par sa cuisine, ses «douceurs» et ses diversesattentions, comme le dessin qu'elle lui fait avant de partir travailler ou les histoires qu'elle lui raconte.

L'enfant estau centre des préoccupations de la mère.

Le narrateur regrette la plénitude de l'enfance où l'enfant est tout pour samère et où elle est encore tout pour lui qui ignore sa propre ambivalence (celle-ci apparaît en même temps que laculpabilité du fils adulte).

Pleurer son enfance n'est pas seulement exalter une innocence disparue et un bonheurfusionnel perdu, c'est aussi regretter un état de dépendance et de toute-puissance à la fois, et déplorer la perted'un droit : celui de refuser toute responsabilité.

La fixation du narrateur à sa mère freine sa volonté de développerun moi adulte : «J'ai été un enfant, je ne le suis plus et je n'en reviens pas» (p.33).

La disparition maternelle amorcedonc la destruction de l'enfant-roi, l'anéantissement d'un état de totale dépendance et de totale sécurité, liée à ladévotion maternelle, et crée une l'obligation d'agir en homme responsable, qui peut être jugé ou critiqué, ce que lamère ne fait jamais (p.105).

Si la mère «est» l'enfance narrateur, c'est parce qu'elle lui permet, tant qu'elle est envie, de se comporter comme un enfant tout-puissant (qu’elle comble de ses soins et services).

Elle permet lasurvivance d'une part d'enfance dans l'homme, qui s'éteint définitivement lorsqu'elle meurt, il plonge dans unevieillesse à laquelle il n'est pas préparé (n’ayant encore jamais été véritablement adulte).

Mais la mère ne maintientpas seulement son fils en enfance, elle incarne également l'enfance parce qu'elle demeure elle-même une enfantnaïve, et devient, en vieillissant, la «petite fille chérie» de son fils (p.75).Ainsi, l'écriture permet au narrateur d'accomplir son désir d'enfant, d'offrir enfin à sa mère le public et les amis (leslecteurs) dont elle rêvait, elle permet aussi un certain rachat qui compense toutes lettres que narrateur n'a pasécrites à sa mère.

C'est un hommage autobiographique.. »

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