Devoir de Philosophie

L'amour peut-il être un devoir ?

Publié le 03/02/2004

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amour
L'homme s'élève au-dessus de la vie parce que seul il est capable de mettre ainsi sa vie en jeu pour se libérer du seul esclavage possible, celui de la vie. La phrase est aussi une réponse à tous ceux qui font de l'angoisse sécuritaire et de la préservation de la vie le motif principal des actions humaines. Par exemple à Hobbes qui faisait de la peur de la mort le socle de la politique et de la construction de l'Etat, Hegel répond : « L'individu qui n'a pas mis sa vie en jeu peut bien être reconnu comme personne, mais il n'a pas atteint la vérité de cette reconnaissance comme reconnaissance d'une conscience de soi indépendante. »Par un retournement dialectique, l'esclave contraint au travail deviendra le moteur de la libération humaine, de la discipline de l'instinct : le maître sombrant dans la barbarie du caprice.Mais il faut retenir de la lutte à mort pour la reconnaissance que l'on est véritablement humain, autre qu'animal, que l'on ne prouve sa spiritualité, sa liberté, que pour autant qu'on soit reconnu comme tel par un autre homme. L'aspect conflictuel de la rencontre avec autrui montre que notre humanité est toujours à reconquérir contre tout ce qui tend à nous assimiler à un simple vivant. « Agis uniquement d'après la maxime qui fait que tu puisses vouloir en même temps qu'elle devienne loi universelle. » Les plus anciens travaux de KANT portent la marque de son intérêt pour la morale. Devenu professeur ordinaire de métaphysique et de logique le 31 mars 1770, Kant projette d'achever, auCours de l'hiver, ses recherches sur la morale. Cependant, les deux années suivante, il ne réussit qu'à rassembler des matériaux et à esquisser un plan.
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« permanent — si je t'aime, c'est de ta faute (parce que tu es comme tu es), et tu dois en quelque sorte expier cettefaute en t'obligeant à m'aimer.

Loin d'être exaltation, l'amour serait l'équivalent d'une condamnation. On doit donc admettre que ce n'est pas dans le cadre de relations sentimentales entre deux personnes que l'amourpeut prendre l'aspect d'un devoir.

Ce pourrait être alors dans un contexte plus général, en quelque sorte «anonyme»ou moins personnel — lorsqu'il s'agit d'aimer autrui, ou les autres.

On rencontre aussitôt une objection : les relationsavec autrui ne sont guère de nature à favoriser son amour.

Elles participent plu-tôt de la méfiance, sinon del'hostilité. [II.

Du conflit au devoir] Si l'on analyse ce que peut être la relation entre ma conscience et celle d'un autre, le modèle hégélien que proposele début de la dialectique du maître et de l'esclave enseigne qu'elle est nécessairement conflictuelle : dans l'autre,je perçois nécessairement un reflet et un piège — un piège parce qu'un reflet.

Si je me retrouve en lui, c'est aussipour qu'il confirme que je diffère de lui : la forme essentielle de ma liberté est à ce prix, et l'issue de cette exigencede reconnaissance — qui se manifeste dans l'autre en même temps qu'en moi — est obligatoirement conflictuelle. De cette situation radicale, les différentes gênes que produit l'autre dans mon existence pourraient bien être deséchos : il écoute sa musique trop fort, son corps m'encombre dans le métro aux heures d'affluence, il cherche àpasser avant moi à la caisse du magasin...

Quant aux relations existant entre groupes sociaux différents, il n'est pasnécessaire d'être un historien très savant pour savoir qu'elles ont suscité, et suscitent encore une multitude deguerres, de tentatives d'annexion ou d'extermination, qui confirment très cruellement que l'amour porté à autrui —que ce soit au niveau individuel ou au niveau collectif — est loin d'être spontané. La morale chrétienne répète cependant qu'« il faut aimer son prochain comme soi-même », et c'est bien, à en croireKant, dans ce « il faut » que transparaît véritablement un devoir.

Si le devoir se distingue en effet de la simpleinclination en ce qu'il formule une obligation absolue (l'« impératif catégorique »), c'est-à-dire non conditionnée parla considération d'une fin, c'est parce qu'il est universel et correspond à une véritable loi. L'universalité de la loi (du « il faut », qui est bien sans appel ni exception) vient contredire l'égoïsme des inclinationset des impulsions immédiates — qui se préoccupent de mes intérêts, de moi sans trop se soucier des autres.

C'estprécisément là qu'il apparaît que l'amour conçu comme un devoir ne peut être de nature sentimentale, puisqu'il seraen contradiction avec ma spontanéité. [III.

Le devoir d'amour et l'humanité] Le devoir définit ici moins un impératif abstrait qu'une puissance propre.

Je suis libre, non d'aimer (en ce sens, ledevoir me contraint au-delà de la résistance de mes penchants) mais pour aimer.

L'amour est la destination, de cepoint de vue, de ma liberté.

Je puis adhérer en effet en toutes circonstances au bien réel d'autrui, quel que soit soncomportement vis-à-vis de moi.Ma liberté se place au-delà des agressions subies, elle veut dire qu'il n'y a pas de fatalité à la haine ni à latransmission du mal.

La liberté s'accomplit dans le devoir d'aimer, n'étant l'otage de l'offense de personne.

C'est sur le terrain non pas d'une philosophie de la politesse mais d'une philosophie du don (le pardon) qu'autruicomme tel est rencontré.Le prochain est celui qui invente cette relation de proximité.

La rencontre de l'autre, je la crée dans ma dispositiongénéreuse.

Pourquoi autrui est-il comme tel rencontré davantage dans l'amour et le pardon plus que dans l'offenseou la rancune, par exemple ?Les incompréhensions, nées de nos diversités irréductibles, sont telles qu'autrui n'est jamais vu authentiquement cequ'il est à nos yeux.

Il ne peut être réévalué dans et par le crédit qu'on lui porte.

Créditer autrui de son devenirmeilleur, de sa capacité à être autre qu'il n'a su être est le sens même du devoir d'aimer, ce que Descartes désignaitjustement sous les traits de la vertu de générosité.

Aimer n'est donc pas prendre possession d'autrui, ni à l'inverses'en éloigner mais le renvoyer au crédit dont sa liberté est faite de se vouloir toujours meilleur.

Un tel crédit nesaurait être attendu de la seule sentimentalité, mais exigé à la façon d'un commandement ou d'un devoir,m'imposant de retrouver autrui au-delà de ma façon de juger. Si je parviens à aimer autrui en n'obéissant plus passivement à ce que me suggère ma spontanéité, j'accomplis mondevoir, qui s'affirme en même temps comme universel, puisque l'amour réciproque d'autrui ne peut déterminer aucunecontradiction, et que les conduites de l'humanité s'harmonisent alors sans problème : à l'hostilité ou à la haine vientse substituer une relation positive.

De la sorte, affirmer l'amour comme devoir, c'est participer à l'élaboration del'humanité comme totalité. On peut bien entendu juger un tel projet parfaitement irréaliste, et le condamner par un simple rappel d'événementshistoriques qui le contredisent brutalement.

Mais la constitution de cette attitude morale suppose que, malgré ledémenti des faits, je maintienne le pari de l'humanité comme au moins possible, indépendamment des obstacles quesa constitution peut rencontrer.

À la source de ces obstacles se trouvent d'ailleurs beaucoup plus les exigences dela société que la morale individuelle ; or, l'exigence morale, si on la prend au sérieux, me demande de viser, non lesintérêts de telle ou telle société, mais bien ceux de l'humanité dans son ensemble.. »

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