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D'après le sonnet suivant, extrait des Regrets de J. du Bellay, essayer de définir en quelle mesure ces quelques vers constituent un document psychologique sur le poète et esthétique sur sa manière

Publié le 02/03/2011

Extrait du document

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Las, où est maintenant ce mespris de Fortune ? Où est ce cœur vainqueur de toute adversité, Cest honneste désir de l'immortalité, Et ceste honneste flamme au peuple non commune ?    Ou sont ces doulx plaisirs, qu'au soir soubs la nuict brune Les Muses me donnoient, alors qu'en liberté Dessus le verd tapy d'un rivage esquarté Je les menais danser aux rayons de la Lune ?    Maintenant la Fortune est maîtresse de moy, Et mon cœur, qui souloit estre maistre de soy, Est serf de mille maux et regrets qui m'ennuyent.    De la postérité je n'ay plus de souci,    Ceste divine ardeur, je ne l'ay plus aussi,    Et les Muses de moy, comme estranges, s'enfuyent.    N. B. — J. du Bellay est né en 1522, il partit pour l'Italie en 1553 et en revint en 1558 ; pendant son séjour, entre 1555 et 1558, il composa entre autres recueils, celui des Regrets.

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« puisque la forme initiale de sa tristesse, tout antique, est empruntée elle-même à la langue des Latins. Puis, par un mouvement! naturel de la pensée, après ce « regret » donné à ce qu'il n'a plus, dans l'ordre moral etabstrait, c'est une évocation du passé, un retour aux soirs, baignés de clairs de dune, où les Muses dansaient.

Sansdoute retrouve-t-on ici encore le fervent humaniste qui, se rappelant le vers d'Horace (Odes 1, 4, 5) « Iam Cithereachoros dueit Venus imminente luna », imagine à son tour les chœurs de danse aux rayons de la lune, mais l'intérêtde ce deuxième quatrain n'est pas uniquement enclos dans ce souvenir de l'antique : ces quatre vers sont undocument psychologique très intéressant pour nous.

Ne démontrent-ils pas la finesse du poète, sensible à la beautédes vers et aux émotion^ mystérieuses de la création poétique ? Où sont ces doulx plaisirs, que...

Les Muses me donnaient ? Ne révèlent-ils pas une certaine inclination au rêve que le soir favorise, ne prouvent-ils pas des dons précieuxd'imagination fantastique et enfin, en dehors du sentiment de la nature qui se marque par révocation de la nuitbrune et du soir, des prés verts et des rayons lunaires, ne traduisent-ils pas de façon discrète, mais sincèrementémue, la mélancolie de l'exilé, sa nostalgie pour Ile royaume de poésie et de liberté, si j'ose ainsi m'exprimer, sarévolte de poète contre les soins vulgaires et matériels de sa charge d'intendant ? Les tercets vont nous ramener aux idées exprimées dans le premier quatrain, dont ils suivent le plan, mais le premiertercet, par la fermeté de l'expression et l'indignation contenue, annonce les sonnets satiriques de la fin du recueil.La Fortune est maîtresse de lui et son cœur est serf de mille maux et regrets qui l'ennuyent.

N'entendons point parmaux les prodromes du mal qui l'emportera bientôt : il s'agit des difficultés que rencontre journellement du Bellayavec ses « créditeurs », ses comptes, ses lettres, ses mémoires, les propos oiseux qu'il doit écouter, les intriguesmalpropres de la cour papale, les nécessités diplomatiques auxquelles son esprit indépendant doit se plier, lesmensonges, les silences, les médisances d'un Le Roy ou les procès de la succession qu'il poursuit en France.

Va-t-ilrenoncer à la poésie ? Il ne le voudrait pas, mais les Muses l'abandonnent, l'inspiration lui échappe.

Il y a ici unesouffrance apaisée, un murmure que les e muets adoucissent ; cependant, quelle tristesse intime apparaît sous) cesvers ! Depuis 1549, depuis la Deffence où du Bellay avait successivement prêché la nécessité du travail (éd.

H.Chamard, p.

196-199) et affirmé l'importance du don de nature, Ronsard avait publié ses Odes de 1550 etnotamment sa fameuse Ode à Michel de L'Hospital de 1552 où il exposait avec fougue la théorie de l'enthousiasmeet du souffle divin ; du Bellay avait quelque peu abandonné le culte presque exclusif qu'il avait formulé pour le travailet l'art : il se sentait poète et dans son nouveau 'service la source d'inspiration était sans issue, sinon tarie. Ainsi donc ce sonnet est un rare document psychologique : il exprime la mélancolie, la tristesse, le découragement,l'abattement, le renoncement presque d'un poète déçu et saisi par la nostalgie et il fait surgir devant nos yeux lafigure maladive et mélancolique qu'un artiste sincère a tracée au crayon sur une estampe que garde encore laBibliothèque nationale ; mais il explique aussi ce regard rêveur, ce front large de penseur et cette inclination de têtealourdie par le poids des songes, des souffrances et des veilles que le crayon fixa jadis pour rappeler à la postéritéle visage de Joachim du Bellay, poète sensible et délicat humaniste. Poète ? Humaniste ? Qui le prouverait mieux que l'art dont il fait preuve en ce sonnet ? Tout d'abord, nous avons un sonnet et c'est un genre nouveau.

Sans doute, Marot, Saint-Gelais, Maurice Scève,Peletier du Mans, un certain Vasquin Filleul avaient fait des sonnets, mais c'étaient des traductions et du Bellayavait été le premier à composer en France des sonnets originaux : l'Olive.

Ces sonnets étaient conçus selon laformule que Peletier lui avait transmise (décasyllabes, non alternance des rimes masculines et féminines,combinaisons variables des rimes des tercets) ; les Regrets présentent quelques caractères nouveaux : comme dansles Amours de Marie, les Amours de Francine, les Antiquités dd Rome, l'alexandrin est substitué au décasyllabe etl'expression de la pensée en acquiert plus d'ampleur ; les quatrains ont la disposition abba, abba, les tercets sontfrançais, non italiens, c'est-à-dire qu'ils ne sont plus construits sur deux rimes, mais sur trois, ce qui enrichit lessonorités et la musique du poème : ccd, eed. En outre, le sonnet qui jusqu'alors avait été un poème d'amour, est devenu avec les Antiquités de Rome et il acontinué d'être avec les Regrets un poème à sujet libre : du Bellay lui réserva plus particulièrement la note lyrique etla note satirique, toutes deux fondues ici en un harmonieux et subtil ensemble. Enfin, le sonnet VI est admirablement composé : au vers 1 correspond le vers 9 ; au vers 2 le vers 10 ; au vers 3 levers 12 ; au vers 4 le vers 13 ; au deuxième quatrain réplique le vers final qui s'élargit en une perspective fuyanteet indécise. Mais ce ne sont là que des qualités extérieures : il y a lieu d'admirer la chaleur et l'éloquence du premier quatrainavec les répétitions des démonstratifs emphatiques ce, c'est, la reprise intentionnelle d'honneste, les mots biensonnants de mespris, cœur vainqueur, adversité, immortalité, flamme, les allitérations expressives de maintenant cemespris, cœur vainqueur de toute adversité, l'énumération qui est peut-être une réminiscence de Pétrarque, maisplutôt un procédé de la rhétorique latine destiné à frapper 'l'oreille et par suite l'esprit : Où est...

où est...

Cest...Ceste... Par contraste avec ce quatrain ferme et sonore, le second quatrain offre un heureux mélange de demi-teintes et desonorités adoucies.

Si du Bellay se rappelait le vers d'Horace que nous avons cité, il n'est pas impossible qu'il ait eu. »

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