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Aragon : L'amour qui n'est pas un mot (commentaire)

Publié le 08/09/2006

Extrait du document

aragon

Mon Dieu jusqu'au dernier moment  Avec ce coeur débile et blême  Quand on est l'ombre de soi-même  Comment se pourrait-il comment  Comment se pourrait-il qu'on aime  Ou comment nommer ce tourment    Suffit-il donc que tu paraisses  De l'air que te fait rattachant  Tes cheveux ce geste touchant  Que je renaisse et reconnaisse  Un monde habité par le chant  Elsa mon amour ma jeunesse    O forte et douce comme un vin  Pareille au soleil des fenêtres  Tu me rends la caresse d'être  Tu me rends la soif et la faim  De vivre encore et de connaître  Notre histoire jusqu'à la fin    C'est miracle que d'être ensemble  Que la lumière sur ta joue  Qu'autour de toi le vent se joue  Toujours si je te vois je tremble  Comme à son premier rendez-vous  Un jeune homme qui me ressemble    M'habituer m'habituer  Si je ne le puis qu'on m'en blâme  Peut-on s'habituer aux flammes  Elles vous ont avant tué  Ah crevez-moi les yeux de l'âme  S'ils s'habituaient aux nuées    Pour la première fois ta bouche  Pour la première fois ta voix  D'une aile à la cime des bois  L'arbre frémit jusqu'à la souche  C'est toujours la première fois  Quand ta robe en passant me touche    Prends ce fruit lourd et palpitant  Jettes-en la moitié véreuse  Tu peux mordre la part heureuse  Trente ans perdus et puis trente ans  Au moins que ta morsure creuse  C'est ma vie et je te la tends    Ma vie en vérité commence  Le jour que je t'ai rencontrée  Toi dont les bras ont su barrer  Sa route atroce à ma démence  Et qui m'as montré la contrée  Que la bonté seule ensemence    Tu vins au coeur du désarroi  Pour chasser les mauvaises fièvres  Et j'ai flambé comme un genièvre  A la Noël entre tes doigts  Je suis né vraiment de ta lèvre  Ma vie est à partir de toi  Aragon -

La première strophe se caractérise par l'effacement de la première personne et l'absence de la seconde. Certes, un indice de la première personne se retrouve dans le premier mot du poème, mais sous la forme d'une prière (« Mon Dieu «), formule toute faite qui ne renvoie explicitement ni à Dieu, ni à un « moi « qui s'adresserait à lui. Il s'agit plutôt d'une plainte, d'un soupir à l'idée de constater « jusqu'au dernier moment « (v. 2) la faiblesse extrême du moi : l'expression « ce coeur débile et blême « (v. 3) le montre, par le sens des adjectifs, mais aussi par l'emploi du démonstratif « ce «, qui s'oppose à « mon «, soulignant ainsi quelle difficulté éprouve ce coeur à s'appartenir ou même à s'identifier. 

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« : l'expression « ce coeur débile et blême » (v.

3) le montre, par le sens des adjectifs, mais aussi par l'emploi dudémonstratif « ce », qui s'oppose à « mon », soulignant ainsi quelle difficulté éprouve ce coeur à s'appartenir oumême à s'identifier.

Ainsi, le « moi » s'estompe complètement, véritable « ombre de soi-même » (v.

4) qui seconfond en un « on » si indéfini, si indistinct, qu'il n'est même pas sûr d'aimer (« Comment se pourrait-il qu'on aime», v.

6).

Au contraire, dans la deuxième strophe, l'apparition du « tu » est comme un miracle illuminant subitementtout ce qui l'environne : les indices personnels « tu », v.

7 ; « te », v.

8 ; « tes », v.

9, manifestent la personneaimée dans toutes ses attributions, puisqu'elle est sujet (« tu »), objet (« te ») et possesseur (« tes »).

Ce miracleredonne vie au « je » (« Que je renaisse et reconnaisse », v.

10), subitement capable de retrouver l'envie d'exister(v.

10-11), d'aimer et d'être jeune (« Elsa mon amour ma jeunesse », v.

12).

Aussi, dans les deux premiers vers dela troisième strophe, le « moi » montre-t-il sa reconnaissance en célébrant par une invocation le « tu », dont uneanaphore souligne les pouvoirs : « Tu me rends la caresse d'être/Tu me rends la soif et la faim » (v.

15-16).

Le « tu» est ici en position de sujet, qui ressuscite l'objet « moi » en lui permettant « de connaître » l'union totale,marquée par l'adjectif possessif « notre » (v.

17-18).

Ces trois premières strophes ont donc bien montré latransformation du moi, d'abord éteint, pour ainsi dire inerte, puis ranimé par l'apparition de la femme aimée, célébréeà la deuxième personne, cette renaissance aboutissant à la fusion dans la première personne du pluriel, image d'unamour à vivre « jusqu'à la fin » (v.

18).

La deuxième strophe s'achevait par une apostrophe (« Elsa mon amour ma jeunesse ») désignant l'aimée du poète.Cette apostrophe se prolonge dans la troisième strophe, introduite par un « Ô » vocatif (« Ô forte et douce commeun vin/Pareille au soleil des fenêtres »), et c'est seulement au troisième vers qu'intervient le sujet (« Tu ») célébrépar le poète.

Il faut y voir un effet d'attente, préparant avec ferveur la venue de l'aimée, vitale pour le poètepuisqu'elle le ressuscite et lui restitue sa place dans le monde et sa faculté d'aimer (v.

15-18).

La ferveur del'apostrophe s'orne d'un bouquet d'images, où s'entrelacent deux comparaisons signalées par des termescomparatifs (« forte et douce comme un vin » et « Pareille au soleil desfenêtres »), d'autres figures plus subtiles : la métaphore « soleil des fenêtres» a presque une dimension allégorique,puisque le poète est tiré de son obscure inertie, de «l'ombre de soi-même » (v.

4), par un flot de soleil émanantd'Elsa, fenêtre sur le monde, miroir et lumière de la vie amoureuse.

Plus riche peut-être même est le glissementhomonymique de l'invocation « Ô » à l'« eau », véritable élixir de vie que précise le comparant « comme un vin ».

Lacomparaison, a priori étonnante, entre deux contraires, le vin et l'eau, s'opère grâce à l'oxymore «forte et douce »,traduisant l'ivresse du retour à la vie.

Ce vin, comme le « soleil des fenêtres », réchauffe de sa « caresse » le poèterevenu à l'amour d'Elsa.3.

Au vers 22 (« Toujours si je te vois je tremble ») répondent les deux derniers vers de la sixième strophe (« C'esttoujours la première fois/Quand ta robe en passant me touche »).

Il s'agit de souligner le caractère éternellementrecommencé de l'amour qu'Elsa déclenche dans le coeur du poète.

La vision de l'aimée provoque indéfiniment unfrisson qui secoue le poète tout entier («Toujours si je te vois je tremble »), comme le montre la métaphore du vers34, « L'arbre frémit jusqu'à la souche ».

Devant l'aimée, le poète ne cesse d'être « Comme à son premier rendez-vous/Un jeune homme qui [lui] ressemble ».

Impossible de s'habituer à cette convulsion amoureuse qui s'empare àchaque fois de lui.

Ainsi, se trouve rejetée avec indignation dans la cinquième strophe l'idée qu'il pourrait faire unehabitude de cet amour (« M'habituer m'habituer [...] Peut-on s'habituer aux flammes [...] Ah crevez-moi les yeux del'âme/S'ils s'habituaient aux nuées »).

Le poète réactive au passage un cliché du vocabulaire précieux : la flamme,qui désignait de manière codée le sentiment amoureux, retrouve ici au pluriel la puissance dévastatrice de l'incendiequi ravage l'amoureux (« Elles vous ont avant tué »).

La vue de l'aimée est un coup de foudre continu.

La passionconvulsive qui l'étreint sans cesse ne peut s'installer dans le calme de l'habitude. Questions d'analyse 1.

C'est dans une attitude très féminine (« De l'air que te fait rattachant/Tes cheveux ce geste touchant », v.

8-9)que l'aimée redonne au poète vie, amour et « jeunesse » (v.

12).

Comme le Christ ressuscitant Lazare, Elsa permetà son amoureux de retrouver «Un monde habité par le chant» (v.

11).

Elle est le «soleil des fenêtres» (v.

14), qui letire de sa nuit et de «ce tourment» intérieur (cf.

la première strophe) dont il ne parvenait pas à se défaire.

Elle estsa liqueur vitale, « forte et douce comme un vin» (v.

13), qui lui procure l'ivresse de vivre et de créer, seconstituant ainsi en muse inspiratrice du poète.

Elle lui ouvre «les yeux de l'âme » (v.

29) et le fait tournoyer dansles « nuées » (v.

30) ou dans les « flammes » (v.

27), c'est-à-dire dans une incandescence amoureuse entraînant lepoète dans un vertige sans fin.

En même temps qu'elle libère son inspiration, elle suscite en lui un émoi, un frisson,un sentiment de découverte inépuisable (cf.

les trois dernières strophes de l'extrait proposé), qui le laissentpantelant d'une passion le saisissant tout entier (« D'une aile à la cime des bois/L'arbre frémit jusqu'a la souche », v.33-34).

Dès qu'Elsa paraît, sa présence rappelle le poète à l'existence et cette résurrection permise par l'amours'accomplit tous les jours, sans jamais faiblir, comme en témoigne le présent de l'indicatif, qui traduit bien sûr lapermanence de cette renaissance.

Entendons bien « permanence » au sens premier du terme, qui laisse le poètedans un état d'éternel amoureux transi, foudroyé par le premier regard de l'aimée, et en aucun cas « habitude », quiimpliquerait une certaine usure de la passion amoureuse, devenue assagie et ordinaire.

Il est fort intéressant à cetégard de remarquer que dans la strophe où le poète écarte avec véhémence toute idée d'habitude, le présent n'estpresque pas utilisé, si ce n'est dans une question manifestement insensée (« Peut-on s'habituer aux flammes », v.27).

Au contraire, on rencontre ici un subjonctif et un impératif exprimant le défi (« qu'on m'en blâme », v.

26 et«crevez-moi », v.

29), un imparfait de l'indicatif traduisant une hypothèse hautement improbable (« S'ilss'habituaient aux nuées », v.

30), et surtout un passé composé équivalant à un conditionnel passé : «Elles vous ont. »

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