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Aristote et l'amitié

Publié le 14/04/2005

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aristote
On prétend que ceux qui sont parfaitement heureux et se suffisent à eux-mêmes n'ont aucun besoin d'amis : ils sont déjà en possession des biens de la vie, et par suite, se suffisant à eux-mêmes, n'ont besoin de rien de plus ; or, l'ami, qui est un autre soi-même, a pour rôle de fournir ce qu'on est incapable de se procurer par soi-même. D'où l'adage « Quand la fortune est favorable, à quoi bon des amis ? » Pourtant il semble étrange qu'en attribuant tous les biens à l'homme heureux on ne lui assigne pas des amis, dont la possession est considérée d'ordinaire comme le plus grand des biens extérieurs. De plus, si le propre d'un ami est plutôt de faire du bien que d'en recevoir, et le propre de l'homme de bien et de la vertu de répandre des bienfaits, et si enfin il vaut mieux faire du bien à des amis qu'à des étrangers, l'homme vertueux aura besoin d'amis qui recevront de lui des témoignages de sa bienfaisance. Et c'est pour cette raison qu'on se pose encore la question de savoir si le besoin d'amis se fait sentir davantage dans la prospérité ou dans l'adversité, attendu que si le malheureux a besoin de gens qui lui rendront des services, les hommes dont le sort est heureux ont besoin eux-mêmes de gens auxquels s'adresseront leurs bienfaits. Et sans doute est-il étrange aussi de faire de l'homme parfaitement heureux un solitaire : personne, en effet, ne choisirait de posséder tous les biens de ce monde pour en jouir seul, car l'homme est un être politique et naturellement fait pour vivre en société. Par suite, même à l'homme heureux cette caractéristique appartient, puisqu'il est en possession des avantages qui sont bons par nature. Et il est évidemment préférable de passer son temps avec des amis et des hommes de bien qu'avec des étrangers ou des compagnons de hasard. Il faut donc à l'homme heureux des amis. Aristote
La question de savoir si l’homme heureux a besoin d’amis peut sembler bien oiseuse : qui, se découvrant heureux, déciderait de rompre avec ses amis ? Mais elle en cache une autre, car nous pouvons essayer maintenant de savoir si l’homme heureux peut l’être seul, se suffisant à lui-même. Il est logique de le penser puisque le bonheur est pleine réalisation de soi-même. Mais dès lors l’amitié devient superflue. Est-ce à dire que les hommes ne vivent ensemble et ne s’apprécient que parce que les échanges sont nécessaires, voire pour supporter leurs malheurs ?
C’est contre cette représentation pessimiste des rapports humains, et pour redonner à l’amitié un sens pleinement positif, qu’Aristote élabore sa démonstration. D’abord pour amener sa conception de l’amitié comme fin, il procède par la réfutation de la thèse adverse que l’homme seul est heureux, de « On prétend ( ... ) des biens extérieurs «. Mais il ne s’arrête pas là : il démontre que l’homme heureux est un homme vertueux vis-à-vis d’autrui, de « De plus (...) témoignage de sa bienfaisance «. Enfin, dans le dernier passage du texte, il fonde ses idées dans la nature « politique « de l’homme regroupé à l’époque dans la Cité grecque.
Est-ce alors suffisant d’avancer comme argument que l’homme est né naturellement politique pour vivre et donner à autrui ? N’y a-t-il pas un enjeu éthique qu’essaie de défendre Aristote ?
Il est évident qu’il tente de fustiger le bonheur individuel, dès les premières lignes du texte.
Mais n’avance-t-il pas le recours à l’amitié telle l’opinion ordinaire ? N’y a-t-il pas pour lui une relation plus profonde entre l’individu et autrui, à travers justement l’amitié ? Il en va d’une conception eudémoniste ( recherche comme fin : le bonheur ) de l’homme à travers l’exercice de sa vertu. Cependant faut-il entendre la vertu dans un sens chrétien, ce qui compromettrait la réalisation du bonheur de l’homme en ce monde et la considération d’autrui pour ne considérer qu’un Dieu ? A l’inverse, si chacun trouve son bonheur par l’exercice individuel de la vertu, en quoi a-t-il besoin des autres pour vivre ? Il est donc nécessaire de suivre la construction logique des parties et les élucider à la lumière de la philosophie de l’auteur, dans son esprit et dans ses limites, pour pouvoir répondre au mieux à nos questions.
 

aristote

« Il est évident qu'il tente de fustiger le bonheur individuel, dès les premières lignes du texte. Mais n'avance-t-il pas le recours à l'amitié telle l'opinion ordinaire ? N'y a-t-il pas pour lui une relation plus profondeentre l'individu et autrui, à travers justement l'amitié ? Il en va d'une conception eudémoniste ( recherche commefin : le bonheur ) de l'homme à travers l'exercice de sa vertu.

Cependant faut-il entendre la vertu dans un senschrétien, ce qui compromettrait la réalisation du bonheur de l'homme en ce monde et la considération d'autrui pourne considérer qu'un Dieu ? A l'inverse, si chacun trouve son bonheur par l'exercice individuel de la vertu, en quoi a-t-il besoin des autres pour vivre ? Il est donc nécessaire de suivre la construction logique des parties et les éluciderà la lumière de la philosophie de l'auteur, dans son esprit et dans ses limites, pour pouvoir répondre au mieux à nosquestions. [ I) L'homme cherchant seul son propre intérêt n'est pas heureux ] [1] Pour associer le bonheur à l'amitié, Aristote réfute la thèse opposée ( « On prétend que ceux qui sont parfaitement heureux et se suffisent à eux-mêmes n"ont aucun besoin d"amis » ) qui était celle à son époque decertains sages ; certes, nous ne pouvons pas viser les épicuriens qui défendaient la maxime « Vis caché », carcelle-ci n'excluait aucunement le fait et le devoir de vivre en groupe d'amis ( ce qu'on appelait à l'époque « laphilia » ) ;mais certains philosophes grecs défendaient le bonheur solitaire comme les cyniques et leur figureemblématique Diogène de Synope : en effet, celui-ci refusait de vivre sous les conventions sociales pour se replierdans un tonneau ; ainsi il pensait acquérir individuellement le bonheur en s'adonnant librement à tout ce qu'il voulaitfaire, sans obligation sociale qui outrepasserait sa volonté.

Les cyniques, terme venant du grec « cynê » qui signifie« chien » étaient ravalés au niveau des bêtes, dans la mesure où leur rejet de vivre en groupe humain ou enhumanité leur valait la considération de n'être pas des hommes et donc d'être au rang des bêtes ( bien que celles-ciont l'instinct grégaire ).

A l'inverse, les dieux de la religion polythéiste populaire, étaient considérés aussi comme desêtres au bonheur solitaire car ils n"avaient besoin que d"eux-mêmes pour subvenir à leurs besoins : ils étaient alorsconsidérés comme auto-suffisants.

Par conséquent, l"être sans amitié, qui cherche à réaliser individuellement sonbonheur, est une bête ou un dieu, mais sûrement pas un homme pour Aristote.

Un homme, digne de ce nom, nepouvant pas assurer son propre bonheur par autosuffisance, a donc besoin d"amitié.

Cet « humanisme » ( même si leterme n"est pas d"époque) aristotélicien s"oppose à deux conceptions du bonheur : la première ( nous en avons déjàparlé ) partant du fait que le bonheur est chose toute personnelle, vise à la satisfaction égoïste ( mais il faudraitêtre une bête ou un dieu ) et la deuxième, héritée du christianisme, n"envisageant la réalisation de soi-même quedans le dépassement de l"humain, voire dans l"union à Dieu.

Dans cette dernière perspective, l"idée de bonheurdevient suspecte : ne traduit-elle pas la médiocrité de nos aspirations ? Car existe-t-il un seul homme vraimentheureux ? Le concept d"auto-suffisance devient inaccessible, ou si l"on préfère d"autarcie individuelle.

: seul lebonheur peut s"obtenir dans l"autarcie dans la mesure où être heureux signifie avoir comblé ses désirs, donc nemanquer de rien ni personne.

Or précisément l"argument théologique instauré par Aristote lui-même, dansMétaphysique, consiste à dire que Dieu ou l"Etre divin a voulu être désiré ( ne pouvait obtenir lui-même le bonheur seul ) et c"est pour cela qu"il a placé dans les êtres le désir et le mouvement.

Dieu, n"étant lui-même pas auto-suffisant, a instauré le manque en l"être humain.

Or, pour Epicure, les dieux sont nécessairement heureux pardéfinition ( sont auto-suffisants : tels se les représentaient les grecs de l"époque ) et ainsi ne peuvent se soucierdes affaires humaines, et encore moins se laisser toucher par les sacrifices et les prières. [2] Mais Aristote, par le petit terme d'articulation « or », introduit un deuxième postulat, celui-ci très éloigné de ce que sera la pensée épicurienne : « l"ami, qui est un autre soi-même, a pour rôle de fournir ce qu"on est incapable dese procurer par soi-même » et n'est donc plus simplement un compagnon de la « philia » épicurienne, choisiseulement parce qu'il sert mes intérêts ou mes besoins.

Cette définition de l'amitié n'a rien qui puisse étonner àpremière vue. Et pourtant elle revient à faire de l'amitié un simple moyen en vue d'une fin, en la définissant par son rôle,entendons son utilité. Or, la fin par excellence de l'action humaine est le bonheur.

Il est donc logique, et d'une logique implacable, deconsidérer qu'arrive à l'amitié ce qui arrive à tout objet utile : une fois sa fin atteinte, elle devient superflue.

Lesdeux questions, du bonheur et de l'amitié, s'enchevêtrent.

si l'amitié n'est qu'utilitaire, l'homme heureux s'enpassera.

Et si être heureux c'est se suffire à soi-même, alors l'amitié n'est qu'utilitaire.

Comment briser ce cercle ? En montrant que l'amitié est fin en soi, c'est-à-dire qu'elle vaut pour elle-même et non pour ce qu'elle procure. C'est ce à quoi s'attache Aristote, en s'appuyant sur l'opinion commune.

L'amitié « est considérée d"ordinaire commele plus grand des biens extérieurs » : ici commence la réfutation. Transition L'argument s'il était laissé isolé, serait particulièrement faible .

Comment un philosophe. »

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