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L'art fait-il réfléchir, ou fait-il rêver ?

Publié le 11/08/2004

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Cette distinction est-elle pertinente ? Quel rapport a-t-elle avec celle, hautement contestable, établie entre "fond" et "forme" ? Comment distinguer à coup sûr le rêve de la réflexion ? Comme disait  Bachelard, "le rêve a ses avenues" ; même si la rêverie est une pensée dont l'ordre nous échappe, elle ne peut pas aller n'importe où. De même, la réflexion à laquelle peut pousser une oeuvre d'art n'est jamais unique, et est fonction à la fois de l'oeuvre et de l'interprétation. Finalement, laisser le choix uniquement entre rêve et réflexion, n'est-ce pas réduire le rapport à l'oeuvre ? À quelque chose de plus banal et de plus rassurant ? La réflexion que pourrait engendrer l'art est-elle une réflexion sur l'oeuvre même ? L'art ne peut-il pas faire réfléchir sur autre chose que lui-même ? Ce rapport critique à l'oeuvre est-il le seul pertinent ?

La contemplation prolongée d’une œuvre d’art peut être génératrice de méditations de même qu’une lecture assidue de romans est parfois la source d’une évasion onirique. Ainsi après avoir recherché dans des expériences artistiques ce que le sujet interrogeait, nous nous trouvons face à une difficulté. En effet l’art semble à la fois source de réflexion et source de rêve. Ce qui nous amène à considérer le « ou « comme étant inclusif. La réponse à cette question exigera que l’on affronte cette dualité dans l’art. Il y a dualité voire contradiction dans le rapprochement de ces deux activités antagonistes. Réfléchir signifie en effet penser, raisonner ou encore méditer. L’homme dans ce cas fait l’usage de sa raison et envisage les œuvres d’art comme étant une matière à sa réflexion. Le verbe réfléchir suppose que l’on prenne en compte un mouvement réflexif. L’art pourra alors être compris comme étant un médiateur entre nous et le réel. Il nous permet de prendre de la distance avec ce qui nous entoure immédiatement et de le regarder différemment. C’est pourquoi une représentation théâtrale peut par exemple nous éclairer sur nos sentiments, nos émotions. L’art permet donc en quelque sorte d’objectiver, dans le sens d’extérioriser, ce qui est essentiellement subjectif et donc trop proche de nous. D’autre part l’art en tant qu’il est la manifestation des pensées de l’artiste peut nous offrir une interprétation, un point de vue différent ou proche du notre. En ce sens l’art ne nous enferme pas mais au contraire nous ouvre à la fois à la réalité et à autrui. Au contraire le rêve en tant qu’il est œuvre de l’imagination et proche de l’évasion ou de la divagation, a tendance à enfermer l’individu dans un monde étranger à la réalité et qui ne laisse pas de place à autrui. Or l’art semble bien produire ce genre d’effets. N’est-ce pas ce qui arrive à Don Quichotte, personnage de Cervantès, qui a force d’avoir lu des romans de chevalerie s’est perdu dans un monde imaginaire et s’est coupé par là même de la réalité ? Le sujet nous interroge donc sur la définition à donner de l’art et de sa finalité, sur la nature de la relation non seulement entre l’imagination et la raison mais aussi entre l’art et la réalité.

« n'est pas le réel : les mendiants peints par Murillo n'ont pas d'odeur, ils sont incapables de faire entendre leurdemande d'obole.• Prétendre que l'art fait réfléchir ne peut avoir un vague sens que dans la conception d'un art « engagé », quisouligne les problèmes (sociaux, moraux,politiques) de la société pour nous inviter à modifier cette dernière.

Or, la question mérite d'être posée de savoir side telles représentations sont authentiquement artistiques, dès lors qu'elles affichent un « message » : d'un pointde vue kantien, la réponse est négative, puisque pour Kant, le « sujet » d'une oeuvre n'a aucune importance ouintérêt et que seule compte son organisation interne, seule capable de produire l'impression de finalité sans fin qui lacaractérise.• L'art qui « fait réfléchir » risque donc de générer des réflexions creuses, et d'être esthétiquement inférieur... II — Pour la rêverie, l'art n'est qu'un prétexte (parmi d'autres) • L'antithèse semble tentante : si l'art ne peut faire réfléchir, qu'il fasse au moins rêver ! S'il n'est pas l'équivalent duréel, qu'il nous en propose des versions plus encourageantes nous autorisant l'évasion et le déploiement del'imaginaire.• Mais la rêverie elle-même est ancrée en priorité dans l'inconscient et le fantasme (cf.

Freud).

Dès lors, l'art nepeut que lui être un prétexte occasionnel, un point de départ qui sera rapidement oublié.• Rêver devant un tableau figuratif (ce qui suppose qu'il ne représente que des scènes « positives » : commentrêver heureusement devant une crucifixion sauf à élaborer une rêverie sadique, ce qui prouve que le contenu de larêverie est issu de la subjectivité et non de l'oeuvre), c'est alors ajouter son imaginaire à ce qu'il propose.

Sansdoute toute vision d'une oeuvre suppose-t-elle une interprétation de la part du spectateur, mais cetteinterprétation ne peut aller jusqu'à négliger ce qui, dans l'oeuvre, viendrait contrarier ses intentions.

Or, c'est ce quise produit dans la rêverie : elle sélectionne certains aspects ou fragments de l'oeuvre et elle néglige ceux qui neseraient pas pour elle de bons supports.• Subjectivisme et non-respect de l'intégrité de l'oeuvre (si je me laisse aller à la rêverie à partir d'un fragment desymphonie, je ne perçois plus la suite) : la rêverie utilise l'art au même titre qu'un paysage naturel ou que le bruitd'une proche fontaine pour « décoller ».

Ce faisant, elle ne considère pas l'oeuvre en tant que telle. III — L'insistance du corps • Réflexion et rêverie sont des attitudes mentales qui négligent par définition la dimension corporelle, charnelle del'individu.• Or, c'est avant tout par les sens, et donc par le corps, que nous appréhendons une oeuvre d'art (cf.

Hegel, qui alonguement souligné cet aspect, en précisant que sont concernés nos sens les plus intellectualisés, mais qui restentnéanmoins des sens), parce que l'oeuvre se présente d'abord sous l'aspect de sa matérialité (sons, couleurs,masses, etc.).• Le propre de l'art ne serait-il pas dès lors de recourir au sensible pour nous y rendre plus attentifs qu'à l'ordinaire ?Non qu'il s'agisse d'un sensible relatif à nos intérêts immédiats (cf.

Kant), mais au contraire pour témoigner despossibilités mêmes de signification (non conceptualisable) qui gisent dans la matière.

On rappelle la définitionhégélienne : l'art comme manifestation sensible d'une idée : elle indique au moins une épuration du sensible, mais enaucun cas son abandon — il est au contraire nécessaire pour que l'idée soit rendue manifeste.

Et c'est précisémenten raison de cette contrainte que l'idée n'est pas pure, et que l'art ne peut produire de réflexion. Conclusion • Si la portée de l'art est difficile à cerner, et complémentairement si depuis Platon la philosophie est périodiquementtentée de le régenter, ne serait-ce pas parce qu'il contredit le travail conceptuel en rappelant inlassablement notreprésence charnelle, et que, au-delà de nous, c'est bien de matière qu'est fait le monde ? Il n'invite dès lors ni àréfléchir ni à rêver, mais plus secrètement à méditer sur l'être-là des choses et de leurs éléments ; c'est ce quiautorise à lui reconnaître une portée métaphysique, ou ontologique.. »

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