Devoir de Philosophie

En art, est-ce la seule forme qui compte ?

Publié le 22/02/2004

Extrait du document

I. La forme n'a qu'une valeur marginale dans les productions des arts mécaniques II. La forme est exclusivement la source de la valeur des oeuvres d'art III. La forme est inséparable de la production d'une signification qui a autant de valeur qu'elle

Lorsque nous parlons d’art, nous désignons en vérité deux réalités distinctes. Jusqu’au dix-huitième siècle, le terme « art « désignait l’ensemble des techniques de production d’artefacts : tel était encore le cas dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau. Ainsi, l’activité de l’artiste et celle de l’artisan étaient recouvertes par le même terme. Or, il semble que ces deux activités ne soient pas entièrement réductibles l’une à l’autre, qu’elles possèdent chacune une spécificité à élucider. Par conséquent, il nous faudra au cours de ce travail préciser d’une part ce qui distingue l’art de l’horloger de celui du poète, l’activité du coutelier de celle du plasticien ; et toujours préciser à laquelle de ces deux activités singulières nous pensons lorsque nous employons le signifiant « art «.

 

Par forme, nous entendons la réalisation matérielle de l’œuvre de l’art, c'est-à-dire son incarnation dans une matière dont la nature dépend de l’activité artistique et qui peut avoir plusieurs niveaux de complexité. Par exemple, on dira que la forme d’un poème, c’est tout à la fois le matériau langagier qui sert à le constituer, la matière des mots « de la tribu « (pour paraphraser Mallarmé dans son « Tombeau « d’Edgar Poe) mais également le genre poétique dont s’empare l’auteur (sonnet, rondeau, églogue, élégie…). L’exemple du poème nous permet donc de mieux approcher ce qu’est la forme en art : il s’agit de la matière préexistante à l’activité artistique, tout ce qui est déjà donné avant le travail de production (le langage, le genre poétique) que vient travailler, modeler, sinon renouveler, l’activité de l’artiste.

 

Lorsque nous disons d’une chose qu’elle compte seule, nous entendons généralement qu’elle est importante en tant qu’elle a de la valeur. Cette valeur peut être entièrement subjective : en ce sens, elle est le prix et l’importance que j’accorde à quelque chose. Mais elle peut également désigner une valeur marchande : on dira en ce sens qu’elle compte par ce qu’elle vaut de l’argent, qu’elle a une valeur sur un marché en fonction de sa rareté, notamment. Par ailleurs, il faut bien noter l’aspect réducteur de la question : si nous disons que la forme compte seule, nous entendons par là que la forme compte à l’exclusion de tout le reste, qu’elle compte uniquement. Par conséquent, nous aurons à penser la valeur relative de ce que l’on oppose à la forme, que l’on met en pendant face à elle, à savoir la signification, comme sens intellectuel investi dans la forme artistique.

« forme est exclusivement la source de leur valeur.

Picasso disait à propos d'une statue à laquelle il avait consacrédes dizaines de dessins préparatoires et des années de réflexion, « L'homme au mouton », qu'elle n'avait pas designification, pas de sens symbolique, ou de sens historique donné, qu'elle se contentait d'être belle.

Une tellephrase exprime une conception de la valeur artistique qui fait consister celle-ci dans la forme seule, à l'exclusion detout le reste.

L'art se veut pur, c'est-à-dire libéré de la fonction utilitaire autant que de la dimension symbolique,celle qui consisterait à délivrer un discours particulier, et choisit de se donner comme un pur travail de la forme.

Laforme compte donc seule dans l'art, car elle seule est le propre de l'art : la signification, l'utilité, sont rejetéescomme non artistiques, dégradantes.

L'histoire de l'art n'est que l'histoire de ses formes b.

Si nous passons des productions particulières de l'art à l'art dans sa dimension historique, nous dirons à nouveauque seule compte la forme.

En effet, pour de nombreux historiens de l'art, il est possible d'isoler la dimensionpurement formelle des œuvres en la séparant de leur portée symbolique ou de leur signification.

L'histoire de lapoésie peut se lire par exemple comme l'histoire d'une saisie réflexive de la poésie par elle-même, le sens du poèmese perdant peu à peu, s'épurant comme dimension contingente, pour laisser toute la place au matériau sonore qu'estle langage.

Il en va de même pour l'art pictural : la peinture peut également se lire comme cette saisie réflexive dela dimension purement matérielle de la peinture, comme maniement de formes et de couleurs.

En ce sens, pourl'histoire de l'art, seule la forme compte.

III. La forme est inséparable de la production d'une signification qui a autant de valeur qu'elle Une conception historiquement datée a.

Mais contrairement à ce que nous venons de soutenir, nous dirons que c'est arbitrairement, historiquement, que laforme seule est considérée comme la seule dimension qui compte dans une œuvre d'art.

C'est Bourdieu qui montredans Les règles de l'art que la conception d'un art pur, d'un art dont la forme seule compterait, est historiquementdéfinie : elle date de la fin du XIXe siècle, et de la volonté des artistes de se constituer en champ artistiqueautonome, notamment par rapport aux champs de la finance et de la bourgeoisie.

Par conséquent, ce n'est pas laforme seule qui compte dans l'art : avant la fin du XIXe, on attribuait également à l'art des fonctions sociales,éducatives, pédagogiques, des finalités diverses qui contribuaient autant que la forme à la valeur de l'art.

En art, seule la forme signifiante compte b.

Nous finirons donc en disant qu'il n'y a pas lieu d'hypostasier la forme et la signification en art, c'est-à-dire deséparer les deux, de les considérer comme deux substances distinctes.

Telle est la thèse de Rousset dans son livre« Forme et signification » : la forme est signifiante, et la signification est tout entière modelée par la forme.

Parexemple, la forme du sonnet est en elle-même signifiante par ce qu'elle incarne un effort de synthèse du monde,d'ordonnancement rationnel poussé à l'extrême.

Mais la signification est également dépendante de la forme, commele montre les différentes incarnations d'un même thème dans des formes distinctes, telles que le Souvenir de la nuit du IV , de Victor Hugo, qu'il a écrit à la fois en vers (dans les Châtiments ) et en prose.

Ce n'est donc pas la forme qui compte seule en art, mais la forme signifiante.

Conclusion : Si nous entendons par « art » les productions de l'artisanat, alors la forme seule ne compte pas, mais elle ajoute dela valeur à celle dont l'utilité est la source première.

Certes, une conception héritée de la fin du XIX e siècle fait dela forme la dimension majeure de l'art, mais il s'agit d'une définition impliquée dans un contexte historique et socialdéterminé.

En définitive, ce n'est pas la forme seule qui compte en art, mais la forme signifiante, c'est-à-dire laforme qui incarne une signification de même que l'âme s'unit indissolublement à la matière dans le modèlehylémorphique aristotélicien.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles