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Article de presse: Une journée de liesse

Publié le 22/02/2012

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10 novembre 1980 - Les étudiants n'avaient pas de cravate, les ouvriers en portaient, de très vieilles dames avaient ressorti des tenues d'un passé lointain, et ils étaient tous au coude à coude à l'Opéra, dans ce qu'il faut bien appeler un élan national-émouvant et irritant à la fois. On avait prévu de longue date cette soirée avec, en scène, tous les grands des planches polonaises et, en décor, un énorme sigle : Solidarnocz. Elle devait être, suivant le cas, la fête du triomphe ou le grand meeting de lancement de la grève générale. 9 heures du matin, la Cour suprême de Pologne. Les dirigeants de Solidarité arrivent dans leurs deux autobus déjà presque légendaires. La police est sur place, en force : ce n'est pas pour charger mais pour aider le service d'ordre syndical à contenir l'enthousiasme des foules. On collabore efficacement et en confiance entre policiers amateurs et professionnels; chacun fait du zèle. Il suffirait d'un rien pour qu'on frôle la guerre civile. Il suffirait d'à peine un peu plus pour que les " flics " saluent les bannis d'hier comme des leurs. L'audience commence : on va être fixé, pour le très court terme en tout cas. Les avocats du syndicat, suivant le scénario établi en coulisse, présentent à la Cour leurs " statuts ", étoffés seulement des trois annexes prévues : la première partie des accords de Gdansk et deux conventions internationales sur le droit syndical. Le premier pas est fait. L'atmosphère est très détendue. Les trois magistrats qui composent la Cour sont-remarquable finesse-tous des sans-parti. Le procureur défend le droit en expliquant que le tribunal de Varsovie n'était pas habilité à rajouter quoi que ce soit dans les statuts. Le deuxième pas est fait. Les avocats confirment que les paragraphes sur le droit de grève seraient bien entendu modifiés s'il fallait demain les mettre en concordance avec la future loi sur les syndicats. Ces paragraphes seront rétablis. Passons sur les détails : la Cour se retire pour délibérer. Son arrêt, de l'avis des meilleurs juristes, sera remarquable de solidité et d' " élégance ". Plutôt que d'ôter les paragraphes rajoutés par le tribunal de Varsovie-notamment, donc, la phrase sur le rôle dirigeant du parti,-la Cour casse la totalité du jugement comme entaché d'illégalité, observe que rien dans les statuts qui lui sont présentés n'est contraire à la loi et les enregistre sans autre forme de procès. Un mois et demi de guérilla politico-juridique vient de prendre fin. Solidarité a gagné sur toute la ligne, puisque ses statuts ne sont plus modifiés, fût-ce d'une virgule. Lech Walesa sort, accueilli par des chants, des mains tendues et des bouquets de fleurs réservés aux stars et aux héros légendaires. " Nous avons tout ce que nous voulions ", dit-il, avant d'expliquer (ce sera le leitmotiv de la journée) qu'il faut maintenant se mettre au travail pour rétablir la justice sociale et l'économie, car " nous sommes des syndicalistes mais aussi des Polonais ". BERNARD GUETTA Le Monde du 12 novembre 1980

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