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Article de presse: Vingt-cinq heures de négociations

Publié le 22/02/2012

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27 mai 1968 - Les vingt-cinq heures des discussions ardues qui ont abouti au compromis, dont Georges Pompidou a donné la lecture ce lundi vers 7 h 30, ont été fertiles en rebondissements. Samedi, à 15 heures, les pourparlers s'ouvrirent rue de Grenelle, dans un climat détendu, contrastant avec la fièvre qu'avait vécue la capitale la nuit précédente et, en dépit de la pression plus ou moins lointaine de millions de grévistes, qui, dans les chantiers occupés ou dans leurs foyers, suivaient au " transistor " le déroulement de la formidable partie engagée. Assez vite, les délégués prirent l'habitude de courtes sorties de la salle de conférences pour délivrer de brefs bulletins de santé de la négociation, provoquant chaque fois la ruée des reporters et photographes qui avaient investi le vaste hall de l'hôtel du Châtelet. Benoît Frachon, président de la CGT, portant gaillardement ses soixante-treize ans, exerce un puissant attrait sur les caméras et les micros, avides de le photographier et lui faire évoquer les célèbres accords de Matignon, dont voici trente-deux ans il fut l'un des signataires avec Léon Jouhaux. Bientôt les visages des négociateurs ouvriers s'éclairent : presque d'emblée, le gouvernement vient d'accepter de majorer le SMIG de plus d'un tiers, d'un seul coup. L'augmentation générale des salaires est plus difficile à obtenir, mais il ne semble pas que le patronat fasse obstacle à la CGT et à la CGC quand elles demandent la répercussion sur toute la hiérarchie des rémunérations. Après cela, les autres revendications vont être continuellement reprises, abandonnées, remises sur le tapis vert. Cette discussion " tous azimuts " semble même s'élargir sans cesse. On parle aussi bien des aspirations des étudiants que de la liberté de l'information à l'ORTF, du quotient familial que de la formation permanente ou du " contentieux " du secteur nationalisé. A 4 heures, le report des travaux au lendemain 17 heures est bien accueilli. Mais lorsque les interlocuteurs se retrouvent le climat est détérioré. Le débat s'enlise dans la procédure de mise au point du projet de loi sur les libertés syndicales, et la CFDT estime totalement insuffisantes les concessions patronales. Sur le coup de 18 heures, Georges Séguy, secrétaire général de la CGT, prononce, sur les marches du perron, une brève déclaration qui a toutes les apparences d'une volonté de rupture la CGT semble faire une condition sine qua non du succès des négociations le rétablissement de l'échelle mobile des salaires et des prix et l'abrogation des ordonnances sur la Sécurité sociale. Des murs épais... A maintes reprises, Henri Krasucki et Benoît Frachon répètent que la journée de lundi va être employée à durcir la grève en expliquant aux travailleurs l'état des négociations. Dans la grande salle aux lambris clairs, on continue cependant à parler de tout sans régler aucun sujet à fond. " Les murs de ce ministère sont épais, les bruits de la rue pas plus que ceux des usines ne parviennent jusqu'ici ", dit Eugène Descamps en sortant lors de la brève interruption du dîner. Pendant ce temps, un militant cédétiste, venu aux informations, assure que la colère monte dans les piquets de grève. A la reprise, des commissions à effectifs réduits se réunissent, de temps à autre, en dehors de la séance plénière, pour élaborer des projets de compromis, avec le concours des collaborateurs de Georges Pompidou. L'atmosphère s'alourdit. Un représentant des PME déclare que la reconnaissance de la section syndicale d'entreprise signifie leur ruine, André Malterre réclame des allégements fiscaux. Les cégétistes soufflent tour à tour le chaud et le froid à propos de l'épineuse affaire de la Sécurité sociale. Peu après minuit, lors d'une " pause café ", devant les fenêtres ouvertes sur le jardin noyé dans la nuit, Jacques Chirac, cependant, affirme avec conviction : " Nous aboutirons à un accord. " Un léger espoir... W. Louet (FO) lit un feuillet résumant le programme commun des syndicats au sujet des conventions collectives. Le ciel bleuit... " On attend dans les usines. " La voix de Georges Séguy, paraît-il, stimule la négociation fleuve, que le premier ministre s'efforce, avec autorité, de maintenir dans son lit. Le paiement des jours de grève finit par être admis à 50 % le spectre de l'échelle mobile s'éloigne. Le gouvernement promet que le Parlement débattra des ordonnances sur la Sécurité sociale, on réduit légèrement le ticket modérateur des dépenses d'assurance-maladie la silhouette du délégué syndical d'entreprise, épouvantail des employeurs, se précise. Georges Séguy, lors d'un rapide passage dans l'antichambre, souffle que " ça avance ". André Bergeron vient confirmer : " Encore dix heures ", les ondes annoncent qu' " il ne reste plus qu'à consulter les travailleurs à la base ". JOANINE ROY Le Monde du 28 mai 1968

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