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Y a-t-il un beau naturel ?

Publié le 25/01/2004

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Mais s'il doit y avoir du beau dans le monde, ne doit-il pas se trouver d'abord dans la nature ? Sans doute ne savons-nous pas ordinairement voir le beau par nous-mêmes : mais que fait l'artiste, sinon révéler une beauté latente dans les choses, en attente de notre regard ? L'art est donc une voie détournée pour restituer aux relations de l'homme et de la nature leur complexité par-delà l'usage, la science et la technique. Nous rencontrerons le beau naturel en un triple sens : comme beauté de la nature, comme naturel de l'art, enfin, au-delà de l'ordre du monde et de l'ordre de l'esprit, comme mystère de l'Être.â-º La nature est source de beauté.• Les phénomènes naturels possèdent en eux-mêmes, pour peu qu'on s'attarde à les regarder, un charme propre à émerveiller l'enfant comme le savant. Les ailes du papillon, la transparence colorée des pierres fines, la gracilité ou la puissance des formes animales, saisissent d'étonnement le spectateur le plus exigeant. La minéralité suscite de fulgurantes rêveries, et convaincrait presque que 1«( imagination n'est rien de plus qu'un prolongement de la matière ». « J'admire dans la matière la moins sensible la présence de tracés sans nécessité et sans fantaisie, jamais pareils, toujours parents, dérivant avec évidence d'un prototype abstrait, ébauchant des symétries approximatives et inévitables. Une docilité économe les gouverne avec douceur.

« Pensées, 40-134 ; cf.

Hegel, Esthétique, « Introduction »). Quelle vanité que lapeinture qui attirenotre admirationpar la ressemblancedes choses dont onn'admire point lesoriginaux.(Pensées) Pascal reprend ici l'idéeantique, contestée aujourd'hui,que l'art imite la nature.

Or sion imite de mauvais modèles,doit-on admirer la copie sous lesimple prétexte que l'imitationest fidèle à l'original ? Lacritique pascalienne se situesurtout au plan moral.

L'artistedoit-il représenter des sujetsimmoraux ? Cette critique del'art, classique, estd'inspiration platonicienne. En fait, ils ne renoncent jamais à l'ambition première de l'art : imprimer unstyle, transformer un morceau de nature en « chiffre » de l'art.

L'artiste esten concurrence avec la nature, et le « beau naturel » qui l'intéresse est celuiqui apparaît dans et par l'oeuvre, et non celui que la nature produirait d'elle-même.

Le miracle de l'art s'oppose à la nature, et l'on peut même douter querien de beau puisse être le fruit de la nature, si l'art n'intervenait.

Les jardins et les parcs contribuent à ladécouverte esthétique précisément parce qu'on se met à les aménager sur des modèles picturaux (Le Lorrain,Poussin, Constable) : on emprunte à l'art le goût et le savoir-faire qui permettent de jouir de la nature devenuepaysage, transformée par la culture et le soin, et qui ne porte cependant aucune trace choquante de ce travail (cf.Rousseau, Nouvelle Héloïse, IV, 11 : « La nature a tout fait, mais sous ma direction, et il n'y a rien là que je n'aieordonné »).

Le beau naturel n'est-t-il pas alors un effet de l'homme ?Le désir d'annexer à l'art la beauté naturelle donne lieu aussi à une sorte de réalisme, dont le critère serait la fidélitéaux figures spontanées, aux gestes authentiques, aux mouvements qui partent irrécusablement du coeur.

« Quel estle vrai, le grand coloriste ? C'est celui qui a pris le ton de la nature et des objets bien éclairés, et qui a su accorderson tableau » (Diderot, Essai sur la peinture).

L'oeuvre est vraie dans la mesure où l'artiste est attentif aux lois quigouvernent les choses et aux liens qui les unissent lorsqu'elles existent naturellement ; on jugera d'une compositioncomme d'un être vivant, que nous pouvons imaginer tout entier quand nous n'en apercevons qu'une partie.

Il fautobserver la nature, plutôt qu'étudier des poses, montrer et non seulement figurer.

Pourtant, Diderot admet le plussouvent qu'on ne fait jamais aussi vrai qu'en élaborant le vraisemblable ou le caractéristique.

La jeune fille qui pleureson oiseau mort, de Greuze, le touche parce qu'elle lui fait imaginer toute une histoire ! Voir le tableau avec plaisir,c'est le comprendre, participer au sens dont il est porteur, aussi allusif soit-il.

C'est pourquoi le peintre, soucieux dupathétique, du caractéristique, de l'essentiel, du vrai, choisira-t-il les moyens les plus expressifs, qui ne seront pasnécessairement les plus naturels.

On n'imite alors qu'une nature embellie ! La fierté de l'artiste consiste donc plutôt à montrer l'infériorité de tout ce qui ne porte pas la marque de l'homme.Comment justifiera-t-on alors ces attachants paysages hollandais et ces natures mortes qui ne semblent prendreplace dans la peinture que par leur poids de choses et leur évidence pour un regard familier ? N'est-ce pas rendre auciel, à la mer et à la terre ce qui leur est dû ? Tout au contraire, a répondu Hegel dans son Esthétique : loind'exprimer la joie paisible du contact avec la nature, la peinture hollandaise a célébré les conquêtes de l'esprit, lavigueur de la lutte contre l'avancée des eaux, la fierté des cultivateurs et des bâtisseurs ; non pas donc unabandon à la nature immédiate, mais l'exaltation spirituelle d'un peuple qui a créé les conditions de sa vie.

Encoreune fois, la nature ne peut donc guère valoir que comme objet nécessaire du travail de la négativité, et le beau quitransparaît en elle ne lui appartient pas.. »

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