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Bergson et le machinisme

Publié le 20/04/2004

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bergson
On a rappelé que l'homme avait toujours inventé des machines, que l'Antiquité en avait connu de remarquables, que des dispositifs ingénieux furent imaginés bien avant l'éclosion de la science moderne et ensuite, très souvent, indépendamment d'elle : aujourd'hui encore de simples ouvriers, sans culture scientifique, trouvent des perfectionnements auxquels de savants ingénieurs n'avaient pas pensé. L'invention mécanique est un don naturel. Sans doute elle a été limitée dans ses effets tant qu'elle s'est bornée à utiliser des énergies actuelles et, en quelque sorte, visibles : effort musculaire, force du vent ou d'une chute d'eau. La machine n'a donné tout son rendement que du jour où l'on a su mettre à son service, par un simple déclenchement, des énergies potentielles emmagasinées pendant des millions d'années, empruntées au soleil, disposées dans la houille, le pétrole, etc. Mais ce jour fut celui de l'invention de la machine à vapeur, et l'on sait qu'elle n'est pas sortie de considérations théoriques'. Hâtons-nous d'ajouter que le progrès, d'abord lent, s'est effectué à pas de géant lorsque la science se fut mise de la partie. Il n'en est pas moins vrai que l'esprit d'invention mécanique, qui coule dans un lit étroit tant qu'il est laissé à lui-même, qui s'élargit indéfiniment quand il a rencontré la science, en reste distinct et pourrait à la rigueur s'en séparer. Tel, le Rhône entre dans le lac de Genève, paraît y mêler ses eaux, et montre à la sortie qu'il avait conservé son indépendance. Bergson
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« Question 3 Il est vrai qu'avec le développement des sciences, la technique s'est considérablement développée.

Elle enest même venue à changer de forme, abandonnant son caractère artisanal pour devenir une technologie,c'est-à-dire un ensemble de dispositifs et de procédés dérivés de théories scientifiques.

Fondée sur lascience, cette technique n'est plus celle, traditionnelle, de l'artisan ; elle devient, à partir de la Renaissance,le fait d'un technicien savant, l'ingénieur.

Bergson a sans doute raison de considérer que l'intelligencetechnicienne de l'ingénieur s'ajoute, sans s'y substituer, au véritable « esprit d'invention mécanique » quiperdure aujourd'hui encore chez n'importe quel bricoleur.

Cet esprit est inventif, rusé, plein de ressources,qualités qu'Ulysse incarnait aux yeux des Grecs.

Il est à l'origine de la plus granderévolution technique qu'ait connu l'humanité : le passage à l'ère néolithique déterminé par l'apparition del'agriculture et de l'élevage.

Nulle science n'a fondé l'invention de ces très anciennes techniques qui ont étéle fait de sociétés traditionnelles dominées par la croyance aux mythes.Les techniques ne sont donc pas exclusivement des applications des sciences ; elles le sont devenuesseulement en partie et tardivement.

Le propos de Bergson est sur ce point convaincant.

Mais le texteavance aussi l'idée plus discutable que le véritable esprit technique est spontané, irréfléchi, donc intuitif,voire instinctif.

L'innovation technique serait une sorte de jaillissement créateur, un acte irréfléchiaccomplissant, indépendamment de tout calcul, à la fois une synthèse et un dépassement des données enprésence.

Cette conception offre l'intérêt de souligner nettement ce que l'esprit de la technique ad'essentiellement novateur, ne se contentant jamais d'appliquer aveuglément un schéma général mais ledéformant toujours, au moins pour l'adapter aux circonstances.

L'inventivité n'est pas seulement à l'oeuvredans l'élaboration de procédés nouveaux ; elle anime tout acte technique.

Une technique routinière estforcément sclérosée, figée, incompatible avec l'efficacité technique.

Faut-il mettre au compte de l'intuitionce génie créatif dont la technique est l'expression ? On peut au contraire défendre les droits d'uneintelligence technicienne.

Il ne saurait évidemment s'agir de l'intelligence théorique en oeuvre dans lessciences et plus généralement dans les oeuvres de la raison.

Mais l'intelligence n'est pas nécessairementthéoricienne.

L'ingéniosité innovatrice en oeuvre dans l'activité technique peut résulter d'une penséecombinatoire dont les calculs échappent le plus souvent à la conscience du sujet.Les conditions de l'acte technique ne sont donc ni instinctives ni théoriques : elles relèvent d'uneintelligence et d'une culture pratiques.

Précisons ce qu'il faut entendre par là.

Il est rare qu'un inventeurdécouvre quoi que ce soit sans avoir pris connaissance des données du problème que sa découvertesurmonte.

Une appropriation intellectuelle des éléments d'une situation critique est indispensable àl'élaboration d'une réponse techniquement pertinente.

D'autre part, les innovations sont en général toujoursdes améliorations : ce qu'on faisait déjà, on le fait mieux, avec plus de facilité grâce au nouveau procédétechnique.

Par conséquent la pensée technique suppose toujours une certaine culture pratique : l'inventeurde l'arc était sans doute déjà chasseur ou guerrier et avait donc déjà une certaine intelligence de l'acted'atteindre une cible.

C'est l'articulation en pensée d'une action qui rend possible l'invention de nouveauxmoyens pour cette action.

Cette articulation n'est pas forcément conceptuelle, c'est-à-dire accomplie parl'intermédiaire de mots.

Elle est beaucoup plus concrète et implique bien souvent la perception du corpspropre.

On peut calculer avec ses doigts et c'est d'une telle pratique qu'est issue l'invention du boulier.Fonder l'ingéniosité technicienne, comme le fait Bergson dans notre texte, sur la nature et l'intuition revientdonc à nier sa nature intelligente et culturelle.

Sans être forcément intellectualisé, c'est-à-dire théorisé,l'acte technique repose toujours sur la maîtrise d'une pratique et sur la perception articulée, doncintelligente, d'une situation critique donnée. BERGSON (Henri-Louis) .

Né et mort à Paris (1859-1941). Il fit ses études au lycée Condorcet et à l'École normale supérieure.

Il fut reçu à l'agrégation de philosophie en 1881.Il fut professeur de philosophie aux lycées d'Angers et de Clermont-Ferrand.

Docteur ès lettres en 1881, il enseignasuccessivement, à Paris, au collège Rollin, puis au lycée Henri IV, et, à partir de 1898, à l'École normale.

Titulaire,en 1900, de la chaire de philosophie grecque au Collège de France, puis de celle de philosophie moderne, il entra àl'Académie des Sciences morales et politiques en 1901, à l'Académie française en 1914, et reçut le Prix Nobel delittérature en 1927.

— La méthode philosophique de Bergson est l'intuition :« Nous appelons intuition la sympathiepar laquelle on se transporte à l'intérieur d'un objet pour coïncider avec ce qu'il a d'unique et par conséquentd'inexprimable.

» Les données immédiates de la conscience doivent être saisies dans leur vraie nature et non àtravers des notions que nous emprunterions à la connaissance de l'espace.

L'intuition pose les problèmes en termesde durée.

« Les questions relatives au sujet et à l'objet, à leur distinction et à leur union, doivent se poser enfonction du temps plutôt que de l'espace.» — Bergson distingue le temps véritable et psychologique du temps. »

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