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Bernard Pingaud, dans la préface de l'Expérience romanesque écrit : «Le bon lecteur n'est pas seulement celui qui se laisse entraîner. C'est aussi celui qui discute, qui, à chaque page, à chaque phrase, trouve des raisons de s'interrompre et de questionner, qui va et vient dans l'oeuvre sans respect pour sa belle ordonnance, y relève des similitudes et des contradictions, des obscurités et des échos, et ne cesse finalement de trouver à cette étrange machine des usages nouveaux que l'au

Publié le 22/02/2012

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Introduction La formule de B. Pingaud ne s'applique pas seulement au roman. Elle engage toute une théorie de la lecture et des rôles, spécifiques mais également actifs, de l'auteur et du lecteur. En tout cas, le lecteur est partie-prenant, et les livres les plus réussis sont ceux qui lui donnent l'occasion de participer d'une façon ou d'une autre à la création de l'oeuvre. Cette idée n'est d'ailleurs pas neuve, et Voltaire écrivait déjà : « Les livres les plus utiles sont ceux dont les lecteurs font eux-mêmes la moitié. » Cette conception de la lecture va évidemment à l'encontre de celle que peut inspirer une infra-littérature lénifiante, voire aliénante, qui suppose au contraire un lecteur passif, soumis à toutes les pressions idéologiques et à tous les chantages sentimentaux : romans de la collection Arlequin ou de Guy des Cars, certains romans d'espionnage type G. de Villiers, etc. Il va de soi que le sujet élimine à priori tout cette production pour ne considérer que les « grandes » oeuvres. En fait, il y a plusieurs formes envisageables de participation du lecteur, soit qu'il fasse travailler son imagination, soit qu'il mène une réflexion organisée sur l'économie du texte, soit qu'il opère une véritable reconstruction de l'ouvrage. Ces différentes formes ne s'excluent d'ailleurs pas l'une l'autre.

« 1.

S'interrompre et questionner : les pièges tendus par le texte.Il arrive souvent que l'auteur ménage dans le texte une fausse lisibilité, une fausse transparence, finalementintenables, pour obliger le lecteur à s'interroger, à contredire lui-même l'apparence textuelle. a) l'humour et l'ironiePar exemple, Voltaire, affirmant tout au long de Candide que « tout est au mieux dans le meilleur des mondespossibles », veut en fait obliger le lecteur à trouver « de lui-même » qu'au contraire tout ne va pas bien dans unesociété reposant finalement sur l'injustice, la violence et l'intolérance.

Lorsqu'il décrit, dans les chapitres 2 et 3, surun ton alerte et enjoué les préparatifs de la guerre, c'est pour obliger le lecteur à ressentir plus fortement leshorreurs qui vont en découler, et qu'il évoque de même avec un faux détachement.Beaucoup d'écrivains, au XVIIIe siècle, recourent au masque de l'humour — parfois noir, souvent cruel — touchantaussi le lecteur plus efficacement que par de vertueux plaidoyer.

Ainsi, Montesquieu, lorsqu'il veut dénoncer, dansl'Esprit des Lois, l'esclavage des nègres, emprunte aux esclavagistes leurs propres arguments pour en mettre enpleine lumière la bêtise et l'inhumanité.

Le lecteur doit déceler la vérité sous le mensonge et comprendre queMontesquieu parle par antiphrase.

Sans sa réflexion, le texte resterait lettre morte. b) les pièges du réalismeOn pourrait penser que le lecteur d'un roman réaliste est plus passif qu'un autre, puisque la vérité lui est présentésans déguisement, aussi complétemment et objectivement que possible.

Mais il doit en fait déceler sans ce froidvernis ce que l'auteur a voulu signifier, et quel est l'intérêt véritable du texte.

Si l'on prend, par exemple, le passagede Madame Bovary où Flaubert décrit la remise d'une médaille du travail à une vieille servante de ferme, enapparence tout est décrit, tout et dit avec la plus grande neutralité.

Mais le lecteur est convié à regarder de plusprès le texte pour percevoir et prendre à son compte la condamnation que Flaubert porte contre ces « bourgeoisépanouis » qui pensent racheter par « une médaille d'argent, d'une valeur de vingt cinq francs » le « demi-siècle deservitude » de la vieille servante.

Flaubert déclarait d'ailleurs : « Si le lecteur ne tire pas d'un livre la moralité quidoit s'y trouver, c'est que le lecteur est un imbécile, et que le livre est faux du point de vue de l'exactitude » ; onne saurait plus nettement partager la responsabilité respective du lecteur et de l'auteur. 2.

L'ambiguïté des grands textes. Il est bon que le spectateur ou le lecteur ne soit pas assuré de tout, qu'il puisse hésiter sur le sens du livre qu'ilvient d'achever ou de la pièce à laquelle il vient d'assister.

Il est bon qu'il ait alors envie de reprendre l'oeuvre et dela reconsidérer sous de nouveaux angles, en y décelant de nouveaux plans.

Au contraire, ce qui est trop linéaire outrop tranché et ne mène l'esprit du lecteur que dans une seule direction, le bloque dans une impasse et dans unesatisfaction à bon compte.En fait, toutes les grandes oeuvres sont ambiguës, pluridimensionnelles.

Si l'on examine, par exemple, Polyeucte deCorneille, on peut être tenté d'y voir une tragédie amoureuse, en privilégiant le « triangle »Polyeucte/Pauline/Sévère.

On a alors une réflexion psychologique et morale sur la naissance et la fin de l'amour, sesrapports avec le temps, ses oublis et ses résurgences.

Mais on peut voir aussi dans la pièce une tragédie politique,un drame de la « décolonisation », avec deux figures opposées de la domination : libérale avec Sévère, seule etcruelle avec Félix ; tout s'articulant autour de la figure évolutive de Polyeucte, aristocrate « collaborateur » d'uneArménie colonisée (il a épousé la fille du gouverneur romain) et conduit à prendre la tête d'une révolte « nationale ».Mais Polyeucte est aussi une tragédie de la Grâce, opposant deux voies vers le salut et l'amour de Dieu : celle,rapide, fanatique et pauvre de Néarque ; et celle, indirecte, lente de Polyeucte, tirant après lui toute la chaîne desliens humains dont il a la charge — à commencer par Pauline — qu'il convertit ainsi par la « dynamique » du martyre.Polyeucte a le double ambigüité de la vie et des hésitations, des contradictions de son auteur qui n'a sacrifié aucunde ses centres d'intérêt, et oblige le lecteur à une lecture plurielle — le champ restant toujours libre pour denouvelles interprétations et de nouveaux rapports qui ne prennent vie que par l'effort du lecteur. 3.

Faire jouer le texte.Celui-ci peut être conduit à opposer ce que le texte « veut dire », prétend dire de par la volonté consciente del'auteur, et ce qu'il dit entre les lignes, en deçà du clair dessein du créateur.

Par exemple, dans la grande scène oùLorenzaccio avoue son projet à Philippe Strozzi, le héros explique son échec par l'injustice de l'histoire de laperversité humaine (« Prends le chemin que tu voudras, tu auras toujours affaire aux hommes »); et Musset partageclairement le pessimisme de Lorenzo.

Mais d'autres passages de la scène « échappent » clandestinement aucréateur et tiennent un autre langage : Lorenzo a été en fait pris au piège de ses propres contradictions (« jevoulais agir seul, sans le secours d'aucun homme.

Je travaillais pour l'humanité ; mais mon orgueil restait solitaire aumilieu de tous mes rêves philanthropiques »).

Le lecteur seul peut déceler l'antagonisme entre une explication «officielle » (l'échec de Lorenzo était fatal, prévisible, inscrit dans la nature de l'histoire et de l'homme) ; et uneautre, « involontaire » (l'échec de Lorenzo est politique et découle de ses propres limites).. »

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