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Le bonheur véritable se confond-il avec le bien-être ?

Publié le 22/03/2004

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« Le plaisir achève l'acte non pas comme le ferait une disposition immanente au sujet, mais comme une sorte de fin survenue par surcroît, de même qu'aux hommes dans la force de l'âge vient s'ajouter la fleur de la jeunesse. » Le plaisir est une sorte de surplus gracieux qui parachève le but. Outre les raisons développées par le stagirite, il faut remarquer que le plaisir ne peut constituer le suprême désirable en vertu de sa nature ponctuelle et éphémère. L'homme après le coït est un animal triste, disent les théologiens. Sans vouloir réduire comme Pascal la besogne à un éternuement, il faut reconnaître que le chatouillement du plaisir sensuel est locale et fugace... Il comporte des risques d'aliénation dans la mesure où une partie du corps peut devenir centre de tout et se développer au détriment des autres. L'idéal timocratique, en revanche, paraît plus relevé dans la mesure où il convient davantage à cet animal politique qu'est l'homme. L'honneur est le nerf de l'activité politique et s'avère le bien prisé par les gens cultivés soucieux des affaires de la cité. Néanmoins, Aristote confesse que « l'honneur apparaît une chose trop superficielle pour être recherchée » (I,3) Il est en effet bien fragile et périssable dans la mesure où il met l'homme à la merci de l'opinion inconstante de la foule qui adore aujourd'hui ce qu'elle brûlera demain. Un bien qui ne dépend pas de nous et qui peut être ravi selon les caprices de la fortune n'est pas un bien véritable.

« qu'on vivra de cette façon, mais en tant que quelque élément divin est présent en nous .

» (« Ethique à Nicomaque » 1177b27).

Il balance entre un bien surhumain et un bien trop humain.

Cela se traduit chez lui par une oscillation entre l'idéal théorétique symbolisé par la sagesse et l'idéal pratiquesymbolisé par la « prudence ».

La « phronésis » est cette vertu intellectuelle qui est le propre des hommes capables de délibérer correctement sur ce qui leur est bon et avantageux, et d'ordonner leur savoir à la recherche de biens humains.

Le prudent est celui qui voit et prévoit ce qui lui est profitable.Comme toute délibération implique la possibilité de choisir, la « phronésis » comporte toujours du contingent, car ce qui est nécessaire n'admet pas d'alternative.

Elle varie selon les individus et les circonstances, contrairement à une sagesse immuable et universelle.

La prudence est une vertu àcaractère humain et, à ce titre, elle ne peut prétendre l'emporter sur une sagesse à caractère divin.

« Il est absurde en effet de penser que la prudence soit la forme la plus élevée de savoir, s'il est vrai que l'homme n'est pas ce qu'il y a de plus excellent dans le monde .

» (1141a20).

De par son aspect humain trop humain, la prudence ne saurait rivaliser avec la sagesse.

Elle serait toutefois la vertu par excellence de l'homme à défaut d'être l'excellencedans la vertu.L'homme se trouve ainsi pris dans le feu croisé d'une pluralité d'objets.

Que faut-il viser, la sagesse ou la « phronésis » ? Cruel dilemme, car désirer la sagesse, n'est-ce pas en définitive se condamner au désespoir ? Il n'est pas permis à tous d'être un Anaxagore ou un Thalès et d'acquérir un savoir divin, mais inutile à l'homme.

Désira-t-on alors la prudence ? Elle est ce qu'il y a de mieux, à défaut du bien absolu.

Elle apparaît néanmoins comme lasolution de rechange, le médiocre compromis qui, à un être moyen propose un objectif moyen.

Le mieux n'est-il pas l'ennemi du bien ?Pour Aristote , le duel entre les deux types de sagesse doit faire place à un duo, car l'homme est un dieu par son intellect, mais aussi un animal politique qui doit vivre et agir dans la cité.

Le stagirite préconise donc un genre de vie mixte qui réconcilie la vie contemplative et la vie politique.

Mais,son souci de définir un bien à la portée de l'homme le conduit à pousser la synthèse jusqu'à réintégrer dans sa conception du souverain bien la vie dejouissance et le cortège des biens extérieurs.

Pour être sage, on n'en est pas moins homme et la contemplation ne saurait suffire à nous combler.

Loind'Aristote l'idée que le sage puisse être heureux même dans le ventre du taureau de Phalaris .

Du même coup, le bonheur se trouve composé d'une multitude d'objets savamment hiérarchisés et dosés dont aucun finalement ne peut pleinement satisfaire l'homme, bien que le primat de lacontemplation ne soit jamais remis en cause.Tout porte à croire que cette vie mixte est en réalité bâtarde dans la mesure où aucun objet n'est jamais vraiment « ça » comme le dirait Lacan .

Il faudrait bénéficier d'un heureux hasard pour que toutes les composantes du bonheur soient réunies et que le même homme soit sage, prudent, riche ethonoré.

Le bonheur apparaît comme une lointaine chimère.

De là à penser avec Kant qu'il n'est qu'un idéal de l'imagination, il n'y a qu'un pas qu'Aristote ne franchit pas.

Il vous invite cependant à nous demander s'il existe véritablement un objet susceptible de satisfaire nos désirs. B) Bonheur et vertu ne sont pas liés.

Ces dispositions intérieures de l'âme comme la juste mesure, la maîtrise de soi, aussi favorables qu'elles paraissent souvent à la moralité n'ont pas,cependant, cette valeur absolue que leur attribuait Aristote .

Elles peuvent même se prêter à un mauvais emploi : le courage d'un criminel ne le rend-il donc pas plus odieux ? Seul peut être véritablement bon ce qui l'est par soi, ce qui l'est absolument.

Par suite, comme le souligne Kant , dans « Fondements de la métaphysique des moeurs », il n'est rien qui puisse être tenu pour absolument bon, si ce n'est seulement une bonne volonté. Et ce qui fait que la volonté est bonne ou non, « ce ne sont pas ses oeuvres ou ses succès », ni « son aptitude à atteindre tel ou tel but proposé », mais son vouloir même.

La bonne volonté, c'est celle qui se détermine à agir par pur respect du devoir.Or il est bien connu qu'on peut être vertueux tout en étant malheureux, et être heureux sans être vertueux.

On peut même dire que faire son devoirn'est pas le moyen le plus sûr d'être heureux : agir par devoir, c'est souvent aller contre ses inclinations, ses désirs.

Certes agir moralement n'impliquepas l'ascétisme, et on peut considérer que c'est aussi indirectement un devoir de travailler à son bonheur car un minimum de bien-être est la conditionde la vertu.

Reste que pour Kant la recherche du bonheur n'a de valeur morale que lorsqu'elle n'est qu'un devoir.

Ainsi un homme gravement malade, qui n'a aucun espoir de recouvrer la santé, peut bien manger ce qu'il veut, quitte à en souffrir ensuite, mais l'impératif du bonheur lui commanded'observer les règles de l'hygiène ; c'est dire, au fond, que la recherche du bonheur peut devenir une vertu lorsqu'on a perdu tout espoir d'êtreeffectivement heureux.Si, pour Kant , il y a une certaine opposition entre le bonheur et la vertu, c'est parce que le bonheur obéit à des motivations empiriques rebelles par nature à toute universalisation, alors que le devoir commande universellement.

Ce que les hommes nomment le bonheur n'est souvent que l'objet temporaire etaccidentel de leur désir.Le bonheur, selon l'expression de Kant , est « un idéal, non de la raison, mais de l'imagination ». Le bonheur chez Kant. « Pour l'idée du bonheur un tout absolu, un maximum de bien-être dans mon état présent et dans toute ma condition future, est nécessaire.

Or il est impossible qu'un être fini, siperspicace et en même temps si puissant qu'on le suppose, se fasse un concept déterminé de ce qu'il veut ici véritablement.

Veut-il la richesse ? Que de soucis, que d'envie, que depièges ne peut-il pas par là attirer sur sa tête ! Veut-il beaucoup de connaissance et de lumières ? Peut-être cela ne fera-t-il que lui donner un regard plus pénétrant pour luireprésenter d'une manière d'autant plus terrible les maux qui jusqu'à présent se dérobent encore à sa vue et qui sont pourtant inévitables, ou bien que charger de plus de besoinsencore ses désirs qu'il a déjà bien assez de peine à satisfaire.

Veut-il du moins la santé ? Que de fois l'indisposition du corps a détourné d'excès où aurait fait tomber une santéparfaite, etc.

! Bref, il est incapable de déterminer avec une entière certitude d'après quelque principe ce qui le rendrait véritablement heureux : pour cela il lui faudrait l'omniscience.[...] Il suit de là que les impératifs de la prudence, à parler exactement, ne peuvent commander en rien, cad représenter des actions d'une manière objective comme pratiquementnécessaires, qu'il faut les tenir plutôt pour des conseils que pour des commandements de la raison ; le problème qui consiste à déterminer d'une façon sûre et générale quelle actionpeut favoriser le bonheur d'un être raisonnable est un problème tout à fait insoluble ; il n'y a donc pas à cet égard d'impératif qui puisse commander, au sens strict du mot, de fairece qui rend heureux, parce que le bonheur est un idéal, non de la raison, mais de l'imagination, fondé uniquement sur des principes empiriques, dont on attendrait vainement qu'ilspuissent déterminer une action par laquelle serait atteinte la totalité d'une série de conséquences en réalité infinie...

» Kant , « Fondements de la métaphysique des moeurs ». L'objet de la « Dialectique » de la raison pure pratique, c'est le souverain bien , défini comme l'accord de la vertu et du bonheur, dont nous avons besoin en tant qu'êtres doués d'une sensibilité.

La vertu et le bonheur sont liés dans le concept du souverain bien.

Par suite, il faut déterminer la nature de cette liaison, de cette unité.

Ou bien elle est analytiqueet il faut affirmer l'identité de la vertu et du bonheur ; ou bien elle est synthétique et il faut dire alors que la vertu engendre le bonheur.

Les deux grandes écoles morales del'antiquité, stoïcisme et épicurisme, ont adopté le principe commun de l'identité du bonheur et de la vertu, mais elles l'ont conçu de façons différentes.

Tous deux se trompaient enceci qu'ils considéraient l'unité du concept de souverain bien comme analytique, alors qu'elle est synthétique ; en d'autres termes, leur erreur commune était de considérer commeidentiques deux éléments hétérogènes ou du moins de regarder l'un des deux comme faisant partie de l'autre : « Le stoïcien soutenait que la vertu est tout le souverain bien et que le bonheur n'est que la conscience de la possession de la vertu, en tant qu'appartenant à l'état du sujet.

L'épicurien soutenait que le bonheur est tout le souverain bien –et que lavertu n'est que la forme de la maxime à suivre pour l'acquérir, cad qu'elle ne consiste que dans l'emploi rationnel des moyens de l'obtenir. » Or, les maximes de la vertu et les maximes du bonheur relèvent de principes totalement différents.

Si la vertu et le bonheur sont liés, cad si le souverain bien est pratiquementpossible, ce ne peut être qu'en vertu d'une liaison synthétique.

On doit donc poser le problème ainsi: « Il faut ou que le désir du bonheur soit le mobile des maximes de la vertu, ou que la maxime de la vertu soit la cause efficiente du bonheur.

» Or ces deux solutions apparaissent également impossibles : la première parce qu'aucun mobile sensible ne peut déterminer une volonté bonne ; la seconde parce que la vertudépend de la loi morale, tandis que le bonheur dépend de lois naturelles, et qu'on ne voit pas, dans ces conditions, comme l'une peut produire l'autre.

Telle est l'antinomie de laraison pratique.

Cette antinomie se résout à peu près de la même façon que celle qui, dans la « CRP », mettait aux prises la nécessité naturelle et la liberté.

Là aussi, en effet, nous devons distinguer deux plans, le plan du sensible et le plan de l'intelligible.

la thèse selon laquelle le désir du bonheur serait le mobile des maximes de la vertu est absolumentfausse.

Mais la thèse qui voit dans la maxime de la vertu la cause efficiente du bonheur n'est fausse que conditionnellement.

Dire que la vertu engendre le bonheur n'est faux que sinous considérons l'existence dans le monde sensible comme la seule possible.

Si au contraire nous nous référons à l'existence nouménale : « il n'est pas impossible que la moralité de l'intention ait une connexion nécessaire, sinon immédiate, du moins médiate (par l'intermédiaire d'un auteur intelligible de la nature) comme cause, avec le bonheur comme effetdans le monde sensible .

» Ce n'est pas la vertu en tant qu'elle est prise dans le monde des phénomènes qui engendre le bonheur, mais une cause nouménale en rapport avec la vertu.

En d'autres termes,c'est Dieu qui « proportionne le bonheur à la vertu.« La morale n'est donc pas à proprement parler la doctrine qui nous enseigne comment nous devons nous rendre heureux, mais comment nous devons nous rendre digne dubonheur. ». »

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