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Le Calcul de Victor HUGO (La légende des siècles)

Publié le 16/09/2006

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hugo

Géométrie ! algèbre ! arithmétique ! zone Où l’invisible plan coupe le vague cône, Où l’asymptote cherche Cristallisation des prismes de la nuit ; Mer dont le polyèdre est l’affreux madrépore ; Nuée où l’univers en calculs s’évapore, Où le fluide vaste et sombre épars dans tout N’est plus qu’une hypothèse, et tremble, et se dissout ; Nuit faite d’un amas de sombres évidences, Où les forces, les gaz, confuses abondances, Les éléments grondants que l’épouvante suit, Perdent leur noir vertige et leur flamme et leur bruit ; Caverne où le tonnerre entre sans qu’on l’entende, Où toute lampe fait l’obscurité plus grande, Où l’unité de l’être apparaît mise à nu ! Stalactites du chiffre au fond de l’inconnu ! Cryptes de la science !

On ne sait quoi d’atone Et d’informe, qui vit, qui creuse et qui tâtonne ! Vision de l’abstrait que l’oeil ne saurait voir ! Est-ce un firmament blême ? est-ce un océan noir ? En dehors des objets sur qui le jour se lève, En dehors des vivants du sang ou de la sève, En dehors de tout être errant, pensant, aimant, Et de toute parole et de tout mouvement, Dans l’étendue où rien ne palpite et ne vibre Espèce de squelette obscur de l’équilibre, L’énorme mécanique idéale construit Ses figures qui font de l’ombre sur la nuit. Là, pèse un crépuscule affreux, inexorable. Au fond, presque indistincts, l’absolu, l’innombrable, L’inconnu, rocs hideux que rongent des varechs D’A plus B ténébreux mêlés d’X et d’Y grecs ; Sommes, solutions, calculs où l’on voit pendre L’addition qui rampe, informe scolopendre !

 

Nous ne connaissons pas la date de composition de ce poème. Toutefois, la nature des préoccupations qui s'y expri-ment et la maîtrise du style semblent indiquer une oeuvre de la maturité de Hugo, sans doute dans les années 1845-1850.

Entre quatorze et dix-sept ans, Victor Hugo et ses frères s'étaient consumés dans une triste pension. L'ambiance et les cours, en particulier ceux de mathématiques, n'y avaient rien de poétique et devaient laisser au jeune homme un souvenir sinistre. On en trouve un écho dans cette pièce inachevée des Contemplations, sans doute écrite vers 1840 :

«Faites donc des sonnets et des mathématiques! Oh! la géométrie! affreux réfrigérant!

Comme l'aile du vers au triangle se prend! Comme le pauvre essor du poète s'apaise Devant le polyèdre et meurt dans le trapèze!«

Dans ce morceau, les mathématiques sont considérées comme anti-poétiques, tristes et desséchantes. Le texte que nous allons étudier va plus loin encore, puisqu'il dénonce dans ces mêmes mathématiques l'absence de cette sensibilité qui, aux yeux de Hugo, fait le meilleur de l'homme.

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