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Comment comprendre qu'une oeuvre d'art survive à l'époque qui lui a donné naissance ?

Publié le 24/03/2004

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Tandis que Marx évoque ici brièvement les conditions techniques, économiques des aventures guerrières épiques, Hegel avait parlé de leurs conditions politiques. Dans l'épopée la volonté des héros s'affirme avec une grande liberté, ce qui n'est plus possible lorsque l'État est fortement structuré : « Un État régularisé et organisé, avec une constitution et des lois positives, une juridiction qui s'étend à tout, une administration complète, une police, ne peut fournir qu'une base tout à fait impropre au développement de l'action épique. » La disparition de l'épopée, de la poésie mythologique n'est donc pas un phénomène inexplicable. Ces superstructures culturelles disparaissent avec les conditions matérielles qui leur ont donné naissance. Donc « la difficulté n'est pas de comprendre que l'art grec et l'épopée sont liés à certaines formes de développement social ». Marx ajoute aussitôt « la difficulté, la voici : ils nous procurent encore une jouissance artistique et à certains égards ils servent de norme, ils nous sont un modèle inaccessible ». Nous expliquons rationnellement la disparition du genre épique. Ce que nous n'expliquons pas c'est comment ces oeuvres qui sont liées à des civilisations disparues, qui ne pourraient pas être produites aujourd'hui, sont encore goûtées, ont gardé leur puissance d'émotion. La valeur esthétique, la beauté des grands oeuvres survit aux circonstances qui ont autrefois conditionné la production de ces oeuvres. Or, comme dit Henri Lefebvre, « ce fait sert d'argument à l'idéalisme : Puisque certaines oeuvres se détachent de leur temps c'est qu'elles se rattachent à quelque chose d'éternel ».

• De l'ensemble des oeuvres que nous rassemblons sous l'appellation « art «, la majeure partie provient d'époques lointaines, qui n'ont plus grand chose de commun avec la nôtre, tant du point de vue intellectuel ou affectif que du point de vue social ou politique. Toutefois, ces oeuvres nous intéressent encore, elles continuent à nous émouvoir ou à nous séduire, alors que les aspects plus « ordinaires « de la société qui les a produites ne concerneraient qu'un historien, sinon un archéologue. Comment l'oeuvre d'art peut-elle ainsi survivre au temps de son élaboration ?

« tel moment de l'histoire) et les rapports de production (c'est-à-dire les relations et les conflits des classes socialesqui en dérivent) constituent l'infrastructure de la société.

L'état et l'évolution de cette infrastructure déterminenten dernier ressort l'état et l'évolution des superstructures culturelles : les institutions politiques, juridiques, les idéesphilosophiques et religieuses, les créations artistiques par lesquelles la société prend une conscience plus ou moinsdéformée d'elle-même, ne constituent pas des domaines autonomes mais traduisent de façon plus ou moinscomplexe l'évolution de l'infrastructure économique et sociale.

Marx signale quelques lignes avant le fragment quenous proposons que l'un des points délicats à examiner est celui du « rapport inégal entre le développement de laproduction et celui de l'art ».

Les choses ne sont pas simples et « il ne faut pas concevoir l'idée de progrès dans sonabstraction vulgaire ». Explication et commentaire « ...

Certaines époques de floraison artistique ne sont nullement en rapport avec l'évolution générale de la société,ni donc avec le développement de la base matérielle...

Par exemple les Grecs ou encore Shakespeare...

»Constatation d'un fait.

L'art grec, la poésie homérique par exemple représente une réussite exceptionnelle, un dessommets de la culture universelle, et pourtant la société de la Grèce antique est économiquement peu développée.De même le théâtre de Shakespeare domine le théâtre de tous les temps et il a surgi dans une civilisation beaucoupmoins développée que la nôtre.

Tandis que le progrès de la science et des techniques, si on le regarde d'assez haut,est un progrès continu, l'histoire de l'art avec ses sommets éclatants se lit difficilement comme un progrès.

Il nesuffit pas d'écrire après Homère pour écrire mieux qu'Homère.

Une société médiocrement développée peut voir surgirdes créations artistiques d'une grande richesse.

Il ne suffit pas de constater les faits il faut comprendre que cesfaits posent dans la philosophie marxiste un problème redoutable.

Les superstructures artistiques offrent uneapparence d'autonomie contraire au principe du matérialisme historique : l'histoire de l'art ne paraît pas refléter leprogrès matériel des sociétés.« ...

Cela est vrai du rapport de divers genres d'art à l'intérieur du domaine de l'art lui-même...

également vrai durapport de la sphère artistique dans son ensemble à l'évolution générale de la société .» Marx distingue ici deuxdistorsions dans l'évolution de la « superstructure » artistique.

Tout d'abord à l'intérieur du domaine de l'art lui-même, des formes d'art très primitives peuvent donner lieu à des créations sublimes dont le génie ne sera pastoujours égalé par les formes suivantes.

Par exemple l'épopée n'apparaît jamais « qu'à un stade peu développé del'évolution de l'art » et pourtant ce genre a fait surgir des « créations insignes ».

D'autre part et d'une façongénérale des chefs-d'oeuvre artistiques peuvent être produits par une société qui se trouve à un degré inférieur dedéveloppement économique.

Henri Lefebvre écrit à ce propos : « Lukacs semble avoir interprété ce texte de Marx enun sens contestable.

Une société économiquement supérieure pourrait avoir un art et une culture inférieure.

Marx aseulement voulu dire qu'une société économiquement inférieure peut avoir une supériorité dans certaines formesd'art (l'épopée d'Homère par exemple) qui peuvent connaître à un stade inférieur une floraison qu'elles neconnaîtront plus ». « ...

La seule difficulté est de formuler une conception générale de ces contradictions...

»N'oublions pas que le matérialisme marxiste est un matérialisme dialectique pour lequel, précisément, lescontradictions sont le moteur de l'histoire.

L'autonomie apparente des superstructures, les distorsions et lescontradictions qui peuvent apparaître dans leur évolution, constituent une objection décisive à un matérialismemécaniste pour lequel la superstructure serait de façon simpliste toujours parallèle à l'infrastructure qui la produit.Mais le marxisme a toujours affirmé l'interdépendance complexe, riche de contradictions, entre infrastructure etsuperstructure.

Le problème des superstructures artistiques, même s'il n'a pas reçu de solution marxistesatisfaisante, peut en tout cas, en tant que problème, être assimilé par la philosophie dialectique du marxisme.

Iln'en présente pas moins des difficultés propres.

Le marxisme explique assez bien, en effet, le retard fréquent dessuperstructures qui se maintiennent souvent, malgré l'évolution de l'économie, dans leur état antérieur : soit parceque leur forme très structurée leur assure une longue survie (c'est le cas du droit romain dont l'essentiel persistelongtemps dans les institutions juridiques de civilisations plus développées), soit parce que la classe dominanteparvient à maintenir des pouvoirs et des privilèges (à travers les formes culturelles qui les traduisent et lesdissimulent) qu'un état ancien des forces productives, aujourd'hui dépassé, avait jadis suscités.

Mais quand il s'agitde l'art le problème est inverse.

C'est le paradoxe d'une superstructure qui, avec des oeuvres géniales, parait enavance sur l'infrastructure matérielle! «...

La mythologie grecque fut non seulement l'arsenal de l'art grec mais aussi sa terre nourricière...

» Hegel dansson Esthétique avait déjà insisté sur les rapports de la sculpture grecque avec la religion : « Une religion quis'adresse aux sens comme la religion grecque doit produire sans cesse de nouvelles images.

» Hegel ajoutait : « Pourle peuple, la vue de pareilles oeuvres n'était pas un simple spectacle, elle faisait partie de la religion elle-même et dela vie...

L'art grec n'était pas un simple ornement mais un besoin vivant, impérieux.

» Hegel signale même que l'artromain sera inférieur parce que ce « souffle intérieur » a disparu.

Marx qui pense surtout à Homère dit que « l'artgrec suppose la mythologie grecque, c'est-à-dire la nature et les formes sociales, déjà élaborées au travers del'imagination populaire d'une façon inconsciemment artistique ».

La mythologie d'Homère n'est pas une allégorieartificielle, péniblement élaborée par quelque érudit; c'est une création collective des masses populaires.

Marxinsiste donc sur l'aspect social et vivant de l'art grec.

Les mythes expriment à leur manière la vie réelle descampagnards, des soldats ou des marins, même s'ils sont ensuite élaborés par des artistes géniaux qui ont mis enoeuvre ces matériaux concrets.«...

Toute mythologie dompte, domine, façonne les forces de la nature, dans l'imagination et par l'imagination, elledisparaît donc au moment où ces forces sont dominées réellement ...» La disparition de la mythologie et des formesesthétiques qui lui sont liées n'a rien de mystérieux.

La mythologie est une conception magique du monde qui recule. »

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