Commentaire de L'albatros de Baudelaire

 

 

Le poème semble né à la fois d'un souvenir, d'une réminiscence (voyage de Baudelaire dans l'océan Indien) et d'une réflexion sociale et philosophique. La réflexion porte sur la situation du poète,son inadaptation à un univers dans lequel la médiocrité et la bassesse le réduisent à un état de victime. Le poème est d'abord le récit d'une scène en mer, puis le dernier quatrain conduit, par le jeu des symboles, à une lecture rétrospective.

 

Problématiques: Quelle est la portée symbolique de ce poème ?

Comment Baudelaire exprime t-il ses sentiments dans le poème ?

En quoi ce poème illustre-t-il la vision de Baudelaire sur la place de poète dans la société ?

En quoi ce poème illustre t-il le sentiment de Baudelaire d'être un poète martyr ?

Quelles dualités ou oppositions exprime cepoème ?

 

I. Le récit d'une scène en Mer

 

1. Le Contexte et la Présentation des Protagonistes

→ La 1^ère strophe précise différents éléments par indications successives et morcelées, juxtapositions et ponctuation abondante les séparant.

→ L'action et les acteurs : Il s'agit d'une capture effectuée par divertissement \"pour s'amuser\" C.C.But (v1) ; Périphrase au vers 1 pour désigner les marins qui sont les acteurs de cette scène ; les victimes, les albatros qui sont l'objet d'une longue description et précise description → importance du placement du mot \"albatros\" placé en fin d'hémistiche au vers 2 puis en fin de rejet >> Périphrases (2 dans la 1^ère strophe) pour désigner les albatros, pour la 1^ère 6 syllabes et la 2^ème 9 syllabes occupent toute la strophe, le choix des adjectifs \"vaste\" et \"indolent\" et la dénomination compagnon insiste sur la majesté du vol, l'adaptation à l'espace aérien, la nonchalance élégante et l'absence d'hostilité >> Contexte : une scène qui se déroule en haute mer sur un bateau, mots à la rime \"mer\" (v1) et \"gouffres amères\" (v3).

→ Conclusion : La Première strophe met en relief la coexistence de deux mondes opposés, celui des Hommes et celui des oiseaux. L'harmonie du vol est suggérée par l'harmonie du rythme et des sons → effet de rallongement par la prononciation de \"e\".

 

 

2. Un Jeu d'Oppositions : l'Inadaptation de l'Albatros au monde Terrestre (str.2)

→ Après le brutal effet de rupture marqué par l'expression \"à peine\" → souligne la rapidité de la transformation subie par les oiseaux, la strophe 2 est consacrée à l'expression de nombreuses oppositions.

Opposition des Lieux : \"les planches\" (v5) // \"azur\" (v6)

Opposition des Situations : la domination des airs est opposée à une situation embarrassée. Elle souligne une INADAPTATION tragique, brutale, pitoyable → \"maladroit\" et \"honteux\" s'oppose à \"roi de l'azur\".

Opposition en 2 images successives des oiseaux : \"vol majestueux\" (str.1) s'oppose à \"l'inutilité

Comparaison strophe 2 des \"ailes blanches\" à des \"avirons\" → la légèreté des ailes s'oppose à l'impression de douleur des rames. Les ailes sont encombrantes \"trainer\". Les vers insistent sur la situation de VICTIME des oiseaux et sur leur IMPUISSANCE avec \"piteusement\" et \"laisse\". Les vers 5 et 8 qui définissent un univers nouveau encadrent les deux vers dans lesquels sont exprimées les différences entre avant et après ; la structure est donc révélatrice de l'EMPRISONNEMENT DE L'OISEAU DANS UNE SITUATION DÉVALORISANTE.

 

3. Les Albatros, Victimes des Marins (strophe 3)

→ Aggravation de la situation par rapport à la strophe 2, ce que souligne le ton exclamatif. Elle décrit les sévices dont l'oiseau est victime, après une reprise des oppositions de la strophe 2.

→ Les Oppositions : (v9-10) soulignées par double exclamation ; construites de manière similaire → articulées par la césure et l'allitération en \"k\". Cette structure met en relief dans les premiers hémistiches les adjectifs élogieux \"beau\" \"ailé\" et dans les seconds hémistiches des adjectifs dépréciatifs comme \"gauche\" \"veule\" \"laid\" qui sont eux relatifs à la situation actuelle. N'ÉTANT PLUS DANS ON ENVIRONNEMENT, L'OISEAU PERD SA GRÂCE ET SES QUALITÉS.

→ Sévices du récit : \"l'un et l'autre\" → multiplicité des bourreaux ; la méchanceté des marins → \"agace\" et \"mime\". La strophe se résume par une formule qui réunit tragiquement les deux situations : le vol (imparfait du v. voler), l'immobilisation (adj infirme) → v12 condensé.

 

Conclusion : Ainsi se termine la partie narrative du texte limitée à ces 3 strophes. Le poème se présente comme le récit d'une scène cruelle de la vie en mer,qui inspire au narrateur une émotion compatissante.

 

 

 

 

 

 

 

II. La Portée Symbolique du récit

 

1. L'albatros, symbole du poète incompris et exilé sur Terre

La clé du symbolisme est à trouver dans l'adjectif \"semblable\" qui établit des analogies entre le poète et l'oiseau.

→ vers 13-14 : renvoient à la situation première de l'oiseau et donc du poète, libre et majestueux : \"prince des nuées\" (v13) \"roi de l'azur\" (v6) \"hante la tempête\" (v14) \"vaste oiseau des mers\" (v2)

→ vers 15-16 : renvoient à la condition de prisonnier victime de la cruauté humaine : \"exilé sur le sol\" (v15); \"sur les planches\" (v5); \"huées\" (v15); \"comique et laid\" (v10); \"agace\" (v11); \"mime\" (v12); \"empêchent de marcher\" (v16); \"infirme, boitant\" (v12); \"piteusement\" (v7) et \"traîner\" (v8).

Ce poème permet ainsi,grâce au symbole, de définir la DOUBLE CONDITION DE L'ARTISTE :

- ADAPTATION À UN CONTEXTE ÉLEVÉ, capacité d'envol et de liberté,élévation spirituelle (symbolisée par les \"nuées\"(v13) et \"l'azur\" (v6) ).

- INADAPTATION AU MONDE HUMAIN MALVEILLANT ET CRUEL : Il devient une victime handicapée et désarmée dès lorsqu'il est arraché aux \"hauteurs\" pour lequel il est fait. Rétrospectivement, le récit devient parabole. L'albatros devient le symbole du poète incompris (voir la personnification de l'animal par le biais des sentiments humains que le poète lui prête \"indolent\" \"maladroit\" \"honteux\" etc..)dont le séjour sur terre est vécu comme un exil.

 

2. L'opposition entre le Spleen et l'Idéal

 

→ L'Idéal de Baudelaire :

 

→ L'oiseau et le poète ont en commun la plume, l'outil de la liberté. Elle aide l'un à voler, l'autre à écrire, et donc vivre un Idéal. Elle lui permet de se hisser au dessus du monde matériel, vers un infini spirituel cf. adj \"vastes\",qui caractérise l'animal, et donc le poète grâce à la figure de style l'hypallage (consiste à qualifier un nom d'un adjectif qui conviendrait à un autre nom de la phrase ex : \"ce marchand accoudé sur son comptoir avide\" (Hugo) >> connotation d'ampleur, capacité d'expansion, renforcée par le pluriel de \"des mers\" qui souligne l'immensité de son univers.

→ \"roi de l'azur\" (v6) et \"prince des nuées\" : Périphrases nobles et poétiques qui idéalisent l'image du poète, qui suggèrent sa noblesse d'âme. Supériorité du poète dans son univers cf. verbe \"se rit\" \"hante\". Le poète est un \"géant\" (v16). Emploi de majuscule au mot \"Poète\" :il est un être qui se définit entièrement par sa fonction,son statut d'artiste.

→ Conclusion : Mais en dépit de cet idéal poétique, le poète ne peut s'épanouir complètement, il est contraint par le monde matériel, et soumis par une société hostile. Baudelaire n'échappe pas au Spleen, qu'il cherche pourtant à fuir avec la poésie.

 

→ Les Raisons du Spleen :

 

→ Les hommes d'équipage symbolisent le commun des mortels, triviaux, brutaux, violents en geste comme en paroles (\"huées\") toujours empressés à se rire de l'artiste, \"pour s'amuser\" (v1)

→ Le navire symbolise l'espace limité, cloisonné et contraignant du monde matériel, de la vie quotidienne ; ici,il n'est pas un outil de dépaysement et de conquête d'un ailleurs, mais il est ramené à son \"sol\"et ses \"planches\". C'est un espace réduit où l'oiseau-poète ne peut que s'abimer les ailes et dépérir. cf. opposition à la rime entre \"planches\" (terme qui symbolise la matérialité du monde) et \"blanches\" (qui symbolise un idéal de pureté spirituelle).

→ Impossibilité sur cette terre d'être libre, de pouvoir s'exprimer. L'originalité créatrice du poète est symbolisée par les grandes ailes blanches ( ailes = outil de l'envol spirituel, de l'élan poétique). Sur le sol, elles deviennent un handicap car marginalisent le poète. Il est moqué à cause de cette originalité. Le drame du poète réside dans ce paradoxe : sa supériorité spirituelle est soumis par le monde matériel, pourtant inférieur à celui du poète (qui est monde infini, spirituel, Idéal).

→ \"Gouffres amères\" symbolisent la condition humaine, la mort inéluctable, le temps qui passe, la vie qui \"glisse\" vers la mort. La participe présent \"glissant\" montre l'action dans son déroulement implacable : on ne peut s'y soustraire.