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Commentaire de Mémoires d'outre-tombe de Chateaubriand. Le travail littéraire et narratif que réalise l'écrivain lorsqu'il évoque un souvenir de sa vie permet-il de maintenir l'authenticité de ce qui est raconté?

Publié le 22/02/2012

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La production autobiographique contemporaine avec des ½uvres comme Enfance de Nathalie SARRAUTE ou Souvenirs pieux de Marguerite YOURCENAR montre combien les éléments constitutifs de l'Etre trouvent leur fondement dans cette période cruciale qu'est l'enfance. il n'est donc pas surprenant que dans l'autobiographie comme dans les mémoires ces instants premiers du Moi occupent une place de choix pour rendre compte par le souvenir des joies et des peines qui construiront de façon durable et quelquefois inconsciente l'échafaudage de la personnalité. Dans ses Mémoires d'outre-tombe, Chateaubriand décrit des jeux d'enfance au c½ur de sa Bretagne natale mais comme dans tout récit autobiographique, une question se pose donc: le travail littéraire et narratif que réalise l'écrivain lorsqu'il évoque un souvenir de sa vie permet-il de maintenir l'authenticité de ce qui est raconté? C'est pour répondre à cette question qu'après avoir analysé les caractéristiques de la narration des aventures de l'enfance propres à cet épisode, nous montrerons en quoi l'autobiographie fausse, ou du moins remodèle cette enfance, puis nous nous interrogerons sur la fonction même de ce récit, et plus largement sur le but recherché par l'auteur autobiographe.
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« s'en soit autant amusé; or le récit, en transformant les « bonnes» en « avant-garde ennemie », et en faisant utiliserpar Gesril des «potées d'eau et des pommes cuites» comme l'eau bouillante des châteaux assiégés, prêteévidemment à sourire.

De même, la comparaison entre le jeune enfant et un féroce pirate est tout à fait exagérée,et par là même peu vraisemblable.

C'est donc toute la transformation du récit d'un jeu de l'enfance et de sesconséquences en récit d'aventures qui est à porter au crédit du narrateur adulte.Dès lors et troisièmement, le point de vue auquel le texte est raconté porte lui-même à interrogation.

Dans lamesure où le narrateur est aussi l'un des acteurs du récit, il devrait s'agir d'un point de vue - ou d'une focalisation -interne; mais la distance du narrateur au «je », distance chronologique de l'adulte à l'enfant, modifie ce point devue.

En réalité, il s'agit d'un faux point de vue interne, puisque le récit n'est pas vraiment le fait de l'enfant, mais del'adulte qu'il est devenu.

C'est donc un récit totalement remodelé, distancié, pris avec humour et recul.

La questionse pose alors de son authenticité.

Puisqu'il s'agit d'une autobiographie, le narrateur-auteur est censé raconter lavérité, ce qui s'est passé réellement; mais dans la mesure où le récit est manifestement modifié, on peut sedemander jusqu'où va cette modification, et si le récit n'est pas totalement fictifDe guerre, il n'yen eut point; y a-t-il eu alors, comme le prétend le narrateur, chute de la petite fille? A la limite,Gesril et Hervine Magon ont-ils seulement existé? Ce problème de la vérité du récit autobiographique mènenécessairement à la question de sa fonction: pourquoi une telle narration? Telle est bien la problématique de tout écrit autobiographique mais tel est bien aussi le problème auquel se trouveconfronté tout auteur autobiographe : reconstituer le passé à partir des bribes qu'il peut en avoir.

Or le récitautobiographique comme le récit biographique se doit d'être fluide et continue à l'image de la vie dont il se faitl'écho.

Le narrateur cherchera donc naturellement non seulement à authentifier le récit mais aussi à trouver desstratégies narratives qui empêcheront le lecteur de se poser la question de la constante réalité de ce qui lui est dit:« Faire vrai, c'est donner l'illusion du vrai.

» écrira Guy de Maupassant dans la « Préface» de Pierre et Jean au sujetdu roman réaliste; cette citation peut aussi s'appliquer à l'écriture du biographique.Tout d'abord, afin d'authentifier son récit, et de lever les doutes que nous venons d'émettre, le narrateur de cetextrait desMémoires d'outre-tombe ancre fortement le récit, ainsi que nous l'avons antérieurement noté, dans une couleurlocale bretonne puisque les noms de lieux - évidemment réels - ne peuvent porter à interrogation.

De même, ladescription de la plage et le jeu inventé par les enfants sont parfaitement vraisemblables.

Même le personnage deGesril, et le nouveau jeu qu'il invente brusquement: faire tomber Hervine Magon, sonnent vrais.

Quel enfant, eneffet, ne s'est jamais amusé à en faire tomber d'autres? Tous ces éléments participent donc d'une entreprised'authentification du récit.

Et si quelques éléments sont vrais, pourquoi ne le seraient-ils pas tous? Tel est donc lepremier dispositif mis en place pour faire croire à la vérité du récit.Le second dispositif est ensuite d'ordre narratif: en rendant son récit haletant, vivant, le narrateur empêche lelecteur de se poser la question de la vérité.

Or plusieurs procédés concourent à cet effet.

D'une part, les trois jeux:le jeu anodin, le jeu de cartes, et le jeu de guerre, sont soigneusement enchaînés.

Le passage du premier au secondse fait autour du personnage deGesril, qui clôt le premier jeu, et devient, bien sûr, l'acteur déterminant du second.

Le passage du second au dernierse fait sur la déclaration d'Hervine, désignant François comme coupable.

Le lecteur passe ainsi d'une aventure àl'autre, immédiatement, sans avoir le temps de s'interroger.

D'autre part, les deux derniers récits sontessentiellement ponctués par des points-virgules, dans un usage consécutif: chaque action semble en entraînernécessairement une autre selon la métaphore fournie par le texte des « moines de cartes ».

Enfin, l'emploi duprésent de narration qui actualise le récit donne aussi l'illusion de voir la scène se dérouler: comment pourrait-onalors concevoir qu'elle puisse être fictive? Cet ensemble de procédés a donc pour but d'authentifier le récit.

Certes,il existe une distance autobiographique, visible par exemple dans l'humour, mais la vitesse du récit et sonactualisation suspendent, ou du moins réduisent, cette distance.

L'humour lui-même participe de cette entreprise:s'il peut mener à mettre en doute la véracité du récit, du fait de la distance entre l'adulte et l'enfant, il fait aussisourire le lecteur, lui donne du plaisir à lire le récit, et de la sorte l'écarte de la question de la vérité.Mais à quoi sert finalement un tel acharnement à authentifier la narration? D'une part, bien sûr, au respect ducontrat autobiographique, qui veut que tout ce qui est raconté soit exact, se soit réellement passé, mais d'autrepart et surtout à masquer le véritable enjeu du texte, qui est de faire, avant l'heure, de l'enfant, personnageprincipal du texte, un héros.

De la sorte, c'est sur l'adulte, c'est-à-dire le narrateur lui-même, que rejaillira leprestige.

Or qu'est cet enfant? D'une part, il est innocent, puisque le vrai coupable est Gesril : c'est dire que lesfautes qu'on lui impute - à lui ou à l'adulte? - ne sont pas fondées.

D'autre part, puisqu'il est le centre d'une guerre,c'est déjà un héros militaire: il préfigure ainsi le courage supposé - ou à supposer - de l'adulte.

Telle est bien lafonction réelle du récit: derrière la pseudo-vérité de l'enfance, le lecteur est invité à lire une vérité cachée, ineffableou inavouable de l'adulte. Le texte pose donc de façon humoristique et vivante le problème même de l'autobiographie: le récit est-ilauthentique, ou plutôt comment faut-il envisager la nécessaire distance du narrateur à ce qu'il fut autrefois? Etquelle est, au-delà de la simple anecdote d'un moment de l'enfance, fût-il ludique ou plus tragique, la véritablefonction du récit autobiographique? Si le narrateur, comme ce ne peut être que le cas, modifie le récit de sonenfance, c'est assurément moins dans un but purement littéraire: - rendre le récit plus vivant, plus captivant -, quedans un but à usage interne et peut-être moins avouable: donner d'un soi présent et contemporain du moment del'écriture une image valorisante.

Car écrire sa propre vie sans autre but que celui-là n'offre a priori guère d'intérêtmême lorsque l'on se nomme Chateaubriand.

En revanche, cet acte littéraire se charge d'une autre valeur sil'écriture se fait non pour l'unique auto-valorisation de soi mais pour la communion avec les autres, qu'ils soientcontemporains du moment de l'écriture ou pas.

Ainsi l'autobiographie est-elle non seulement le moyen pour un auto. »

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