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Commentaire: Molière, Tartuffe, Acte I, scène 2

Publié le 15/02/2011

Extrait du document

DORINE. Oh ! vraiment tout cela n'est rien au prix du fils, Et si vous l'aviez vu, vous diriez : «C'est bien pis !« Nos troubles l'avoient mis sur le pied d'homme sage, Et pour servir son prince il montra du courage ; Mais il est devenu comme un homme hébété, Depuis que de Tartuffe on le voit entêté ; Il l'appelle son frère, et l'aime dans son âme Cent fois plus qu'il ne fait mère, fils, fille et femme. C'est de tous ses secrets l'unique confident, Et de ses actions le directeur prudent ; Il le choie, il l'embrasse, et pour une maîtresse On ne sauroit, je pense, avoir plus de tendresse ; A table, au plus haut bout il veut qu'il soit assis ; Avec joie il l'y voit manger autant que six ; Les bons morceaux de tout, il faut qu'on les lui cède ; Et s'il vient à roter, il lui dit : «Dieu vous aide !« [C'est une servante qui parle.] Enfin il en est fou ; c'est son tout, son héros ; Il l'admire à tous coups, le cite à tout propos ; Ses moindres actions lui semblent des miracles, Et tous les mots qu'il dit sont pour lui des oracles. Lui, qui connoît sa dupe et qui veut en jouir, Par cent dehors fardés a l'art de l'éblouir ; Son cagotisme en tire à toute heure des sommes, Et prend droit de gloser sur tous tant que nous sommes. Il n'est pas jusqu'au fat qui lui sert de garçon Qui ne se mêle aussi de nous faire leçon ; Il vient nous sermonner avec des yeux farouches, Et jeter nos rubans, notre rouge et nos mouches. Le traître, l'autre jour, nous rompit de ses mains Un mouchoir qu'il trouva dans une Fleur des Saints, Disant que nous mêlions, par un crime effroyable, Avec la sainteté les parures du diable.

Réplique de Dorine à Gléante :    « Oh tout cela n'est rien au prix du fils    ... jusque au diable. «    Les circonstances :    La famille d'Orgon est en état d'insurrection sourde, qui va bientôt se transformer en guerre ouverte entre les amis et les ennemis de Tartuffe. Mme Pernelle, d'un ton de majestueuse autorité, vient de s'élever hautement contre l'hostilité dont Tartuffe est l'objet, et veut imposer son culte à toute la famille. Confiante en sa perspicacité, elle pense que le raidissement contre la dictature de Tartuffe vient de la complaisance pour le péché, dont Tartuffe veut abolir le règne.    Dorine, qui va prendre la tête de la coalition, répond à Dorante, qui déplore l'aberration de Mme Pernelle, en lui prouvant qu'Orgon la distance en déraison.   

« Mais il est devenu comme un homme hébété, Depuis que de Tartuffe on le voit entêté.» Molière nous laisse, quant à la personnalité première d'Orgon, sur une indécision significative.

Les troubles de laFronde ont été nécessaires pour que sa raison et son courage se manifestent.

Mais peut-être peut-on penserqu'Orgon était, à l'origine, essentiellement borné et, le personnage initial reparaissant après un acte de loyalismeenvers le prince, Tartuffe a trouvé chez Orgon l'être impulsif et crédule qu'il lui a été facile de dominer, à qui il a faitperdre le sens du réel pour l'enfermer dans une sorte de contemplation. « Il l'appelle son frère, et l'aime dans son âme Cent fois plus qu'il ne fait mère, fils, fille et femme. C'est de tous ses secrets l'unique confident, Et de ses actions le directeur prudent; Il le choie, il l'embrasse, et pour une maîtresse On ne saurait je pense, avoir plus de tendresse.

» Cette mainmise de Tartuffe sur Orgon crée chez lui non seulement l'obsession et le quasi-monoïdéisme, mais encorecomme une parenté de chair et d'esprit et un refoulement des affections légitimes.

Dorine note l'aveuglement del'intelligence par lequel Orgon honore d'une confiance illimitée l'homme qui en est le plus indigne, et qui se soumetavec une déférence empressée à des décrets où la prudence de Tartuffe ne concerne que lui-même.

Celle-ciconsiste à prendre les moyens les plus sûrs pour être largement renté, assouvir son appétit robuste et sa sensualitéardente. Avec une audace réaliste qui ne saurait être dépassée chez les classiques, Molière note l'effet tristement grotesquede ces effusions, qui conviendraient à un autre amour, et qui n'est produit que par l'impudique inconscience d'unesorte de névrose. « A table, au plus haut bout il veut qu'il soit assis; Avec joie il l'y voit manger autant que six; Les bons morceaux de tout, il fait qu'on les lui cède; Et s'il vient à roter, il lui dit « Dieu vous aide.

» Orgon établit à sa manière les lois de la préséance, et renverse toutes les hiérarchies au profit de Tartuffe.

L'imagede celui-ci se goinfrant à ses dépens le remplit de béatitude extasiée, et quand les effets de l'appétit robuste deTartuffe deviennent évidents et audibles, Orgon s'épanouit d'aise et implore la protection du ciel en faveur deTartuffe repu, se préparant à la somnolence des digestions heureuses. Dorine, réfractaire à toute mièvrerie, s'exprime ici dans un langage d'un lyrisme amplificateur, qui schématise l'imageet force le trait; cependant, elle montre, sans grossir l'effet, la réaction défensive de chacun s'opposant à ce queTartuffe se serve impudemment et vide le plat de ses meilleurs morceaux. « Enfin il en est fou : c'est son tout, son héros; Il admire à tous coups, le cite à tous propos; Ses moindres actions lui semblent des miracles, Et tous les mots qu'il dit sont pour lui oracles.

» Les paroles de Dorine sont emportées dans un tumultueux bouillonnement...

L'ascendant de Tartuffe sur Orgon est tel que celui-ci, le transposant sur le plan de l'humanité supérieure, letransfigure dans toutes ses attitudes, idéalise ses moindres paroles et ses moindres gestes, et veut imposer à leurégard une respectueuse admiration. « Lui qui connaît sa dupe, et qui veut en jouir,. »

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