La connaissance de soi peut-elle être objective ?
Publié le 25/03/2004
Extrait du document
«
plus vraies que l'illusion des songes ».Mais le doute de Descartes va bien plus loin dans la mesure où il rejette aussi les évidences intellectuelles, lesvérités mathématiques.
« Je rejetai comme fausses toutes les raisons que j'avais prises auparavant pourdémonstrations.
»Nous voilà perdu dans ce que Descartes appelle « l'océan du doute ».
Je dois feindre que tout ce qui m'entouren'est qu'illusion, que mon corps n'existe pas, et que tout ce que je pense, imagine, sens, me remémore estfaux.
Ce doute est radical, total, exorbitant.
Quelque chose peut-il résister ? Vais-je me noyer dans cet océan? Où trouver « le roc ou l'argile » sur quoi tout reconstruire ? On mesure ici les exigences de rigueur et deradicalité de notre auteur, et à quel point il a pris acte de la suspicion que la révolution galiléenne avait jetéesur les sens (qui nous ont assuré que le soleil tournait autour de la Terre) et sur ce que la science avait crupouvoir démontrer.« Mais aussitôt après je pris garde que, cependant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallaitnécessairement que moi, qui pensais, fusse quelque chose.
Et remarquant que cette vérité : je pense donc jesuis, était si ferme et si assurée, que les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pascapables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de laphilosophie que je cherchais.
»Il y a un fait qui échappe au doute ; mon existence comme pensée.
Que ce que je pense soit vrai ou faux, jepense.
Et si je pense, je suis.
Le néant ne peut pas penser.
La première certitude que j'ai est donc celle demon existence, mais comme pure pensée, puisque, en toute rigueur, je n'ai pas encore de preuve de l'existencede mon corps.
Quand bien même je nierais que le monde existe, que mon corps existe, que je puisse pensercorrectement, je ne pourrais remettre en cause ce fait : je pense, et par suite, je suis.
La volonté sceptiquede douter de tout, l'idée qu'aucune vérité n'est accessible à l'homme, se brise sur ce fait : je pense.
Voilà leroc, voilà l'argile.
Voilà le point ferme grâce auquel j'échappe à la noyade dans l'océan du doute, par lequel jeretrouverai la terre ferme de la science vraie.La difficulté provient de l'interprétation à donner à ce « je ».
Il n'est pas l'individu concret.
Ce n'est pasDescartes, homme du XVIIième siècle, c'est tout individu pensant qui peut dire « je pense donc je suis », pourpeu qu'il refasse, pour lui-même, l'expérience entreprise.Ce « je » est, par définition, désincarné ; tout ce que je peux affirmer, à ce moment, de l'itinéraire cartésien,c'est mon existence comme pensée, puisque, répétons-le, je dois encore, temporairement, nier l'existence ducorps.
[Parce que la conscience, c'est ce qui refuse l'inconscient et ne cesse d'en être troublé sans le savoir, ellene peut donner qu'une approche partielle et totalement subjective de la réalité.
«Le moi n'est pas maître dans sa propre maison», nous dit Freud.]
Les illusions de la conscienceSpinoza, au livre III de l'Éthique, stigmatise la conscience comme sourced'illusions: "Les hommes se trompent en ce qu'ils pensent être libres etcette opinion consiste en cela seul qu'ils sont conscients de leursactions, et ignorants des causes par lesquelles ils sont déterminés." Lesentiment, la conscience de notre liberté est illusoire.
Nous n'avons pasconscience des lois qui nous déterminent à agir et, conscientsseulement des désirs dans lesquels nous persévérons, nous pensonschoisir ceux-ci librement.
Le rationalisme cartésien nous montre déjà qu'une volonté infinimentlibre, mais privée de raison, est une volonté perdue.
Plus nousconnaissons, plus notre liberté est grandie et fortifiée.
Si nousdéveloppons notre connaissance au point de saisir dans toute sa clartél'enchaînement rationnel des causes et des effets, nous saisironsd'autant mieux la nécessité qui fait que telle chose arrive et telle autren'arrive pas, que tel phénomène se produit, alors que tel autre neviendra jamais à l'existence.
Pour Spinoza, une chose est libre quand elleexiste par la seule nécessité de sa propre nature, et une chose estcontrainte quand elle est déterminée par une autre à exister et à agir.Au sens absolu, seul Dieu est infiniment libre, puisqu'il a uneconnaissance absolue de la réalité, et qu'il la fait être et exister suivantsa propre nécessité.
Pour Spinoza et à la différence de Descartes, la liberté n'est pas dans un libre décret,mais dans une libre nécessité, celle qui nous fait agir en fonction de notre propre nature.
L'homme n'est pas unempire de liberté dans un empire de nécessité.
Il fait partie du monde, il dispose d'un corps, d'appétits et depassions par lesquelles la puissance de la Nature s'exerce et s'exprime en nous, tant pour sa propre.
»
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