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CONTRATS ADMINISTRATIFS IMPRÉVISION - C. E. 30 mars 1916, COMPAGNIE GÉNÉRALE D'ÉCLAIRAGE DE BORDEAUX, Rec. 125, concl. Chardenet (commentaire d'arrêt)

Publié le 20/06/2011

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(S. 1916.3.17, concl. Chardenet, note Hauriou; D. 1916.3.25, concl. Chardenet; R. D..P. 1916.206 et 388, concl. Chardenet, note Jèze)

Sur les fins de non-recevoir opposées par la ville de Bordeaux : Cons. que les conclusions de la Compagnie requérante tendaient devant le conseil de préfecture, comme elles tendent devant le Conseil d'État, à faire condamner la ville de Bordeaux à supporter l'aggravation des charges résultant de la hausse du prix du charbon; que, dès lors, s'agissant d'une difficulté relative à l'exécution du contrat, c'est à bon droit que par application de la loi du 28 pluv. an 8, la Compagnie requérante a porté ces conclusions en première instance devant le conseil de préfecture et en appel devant le Conseil d'État; Au fond : Cons. qu'en principe le contrat de concession règle d'une façon définitive, jusqu'à son expiration, les obligations respectives du concessionnaire et du concédant; que le concessionnaire est tenu d'exécuter le service prévu dans les conditions précisées au traité et se trouve rémunéré par la perception sur les usagers des taxes qui y sont stipulées; que la variation du prix des matières premières à raison des circonstances économiques constitue un aléa du marché qui peut, suivant le cas, être favorable ou défavorable au concessionnaire et demeure à ses risques et périls, chaque partie étant réputée avoir tenu compte de cet aléa dans les calculs et prévisions qu'elle a faits avant de s'engager;

« hausse exceptionnelle et imprévisible des prix : « On se trouve en présence de charges dues à des événements queles parties contractantes ne pouvaient prévoir, et qui sont telles que, temporairement, le contrat ne peut plus êtreexécuté dans les conditions où il est intervenu.

Le service public n'en doit pas moins être assuré — l'intérêt générall'exige — et le contrat doit subsister.

La puissance publique, le concédant, aura à supporter les charges quenécessite le fonctionnement du service public, et qui excèdent le maximum de ce que l'on pouvait admettre commeprévision possible et raisonnable par une saine interprétation du contrat.

»L'arrêt rappelle d'abord qu'en principe le contrat de concession règle de manière définitive les obligations des partiesjusqu'à son expiration et que la variation du prix des matières premières n'est que l'un des aléas du contrat.

Mais,confrontant ensuite la hausse prévisible du charbon — matière première de la fabrication du gaz — au moment de lasignature du contrat (23-28 F) avec la hausse réelle (23-116 F), la Haute assemblée constate que l'augmentation adéjoué les prévisions des parties par son ampleur et qu'il n'y a pas lieu d'appliquer purement et simplement le cahierdes charges comme si l'aléa était ordinaire.

Elle donne alors une solution tenant compte « à la fois de l'intérêtgénéral, lequel exige la continuation du service par la Compagnie à l'aide de tous ses moyens de production, et desconditions spéciales qui ne permettent pas au contrat de recevoir son application normale » : la Compagnie devraassurer le service, mais ne supportera que la part de déficit que l'interprétation raisonnable du contrat permet delaisser à sa charge : la ville lui versera une indemnité d'imprévision couvrant le reste du déficit.

A défaut d'accordentre les parties, l'indemnité sera fixée par le juge. II.

— La concession est, par excellence, le domaine d'application de la théorie de l'imprévision.

Cette théorie acependant une portée générale, et vaut également pour les marchés de transports (C.

E.

21 juill.

1917, Compagniegénérale des automobiles postales, Rec.

586) et de travaux publics (C.

E.

30 oct.

1925, Mas-Gayet, Rec.

836).

Ellea également été appliquée aux marchés de fournitures (C.

E.

8 févr.

1918, Gaz de Poissy, Rec.

122, concl.Corneille), mais les conditions de l'imprévision sont plus rarement réunies pour cette catégorie de marchés, dont lesdélais d'exécution sont généralement courts. A.

— Conditions d'ouverture du droit à indemnitéLa théorie de l'imprévision est fondée sur la nécessité d'assurer la continuité du service public; la jurisprudence enavait tiré la conséquence qu'elle n'est pas applicable à un contrat résilié (C.

E.

28 nov.

1952, Société coopérativedes ouvriers et techniciens du bâtiment, Rec.

542).

Cette solution rigoureuse, qui n'avait pas été toujours retenuepar le juge, a été abandonnée; le Conseil d'État a admis, en effet, que l'indemnité d'imprévision peut être demandéemême après l'expiration de la concession (C.

E.

12 mars 1976, Département des Hautes-Pyrénées c.

Société Sedia,Rec.

153; A.

J.

1976.552, concl.

Labetoulle).Quelle que soit la date de la demande d'indemnité, la jurisprudence de l'imprévision s'applique lorsque le contrat est,en cours d'exécution, bouleversé par un événement exceptionnel qui n'est pas le fait des parties contractantes etne pouvait raisonnablement pas entrer dans leurs prévisions lors de la signature du contrat.L'indemnité d'imprévision n'est due par le concédant que si l'exécution du contrat provoque un déficit réellementimportant, et non un simple manque à gagner.

La notion de déficit important est appréciée par le juge eu égard àl'ensemble des circonstances de la cause : « ...

En admettant que l'exercice 1936 se soit soldé pour la Compagniepar un déficit de 64 863,33 F, il est établi par les pièces du dossier que cette perte, eu égard notamment au chiffred'affaires de ladite société, à l'importance de ses réserves et à l'aisance de sa trésorerie, n'a pas entraîné unbouleversement de l'équilibre financier du contrat » (C.

E.

8 nov.

1944, Compagnie du chemin de fer d'Enghien, Rec.283).

Toutefois, la circonstance que la société ait pu distribuer des dividendes à ses actionnaires n'exclut pasnécessairement l'octroi d'une indemnité d'imprévision (C.

E.

22 févr.

1963, Ville d'Avignon, Rec.

115; R.

D.

P.1963.575, note Waline; A.

J.

1963.210, chr.

Gentot et Fourré).L'événement imprévisible est le plus souvent un événement d'ordre économique, tel qu'une augmentation brutale desprix de revient : la théorie de l'imprévision jouera alors même que l'administration contractante — une commune, parexemple —aura été dans l'impossibilité de relever les tarifs à la suite de la réglementation des prix imposée par l'État(C.

E.

15 juill.

1949, Ville d'Elbeuf Rec.

359; S.

1950.3.61, note Mestre; D.

1950.59, note Blaevoet; — 22 févr.

1967,Société du gaz de Nogent-l'Artaud et extensions c.

Communes de Nogent-l'Artaud et autres, Rec.

87).

Il peut s'agiraussi d'un événement d'ordre naturel, car le Conseil d'État continue à appliquer la vieille notion d'imprévision née enmatière de travaux publics et tenant à des sujétions imprévues (C.

E.

21 avr.

1944, Compagnie française des câblestélégraphiques, Rec.

119).Le juge considère qu'un événement ne peut être regardé comme imprévisible lorsque, notamment, les délaisd'exécution du contrat sont brefs (C.

E.

3 déc.

1920, Fromassol, Rec.

1036; R.

D.

P.

1921.81, concl.

Corneille),lorsque la hausse des prix n'a pas dépassé la hausse due aux variations saisonnières des prix (C.

E.

ler févr.

1939,Leostic, Rec.

53), lorsqu'à l'époque à laquelle a été conclu le marché, la variation des prix était prévisible (C.

E.

10févr.

1943, Aurran, Rec.

36), lorsque dès la conclusion de la convention la cause de bouleversement du contratpouvait être prévue (C.

E.

23 janv.

1959, Commune d'Huez, Rec.

67; A.

J.

1959.1.65, concl.

Braibant : ladésaffection des skieurs pour le remonte-pente reliant Huez et l'Alpe n'était pas imprévisible, du fait du meilleuréquipement hôtelier et de la situation plus favorable de la station de l'Alpe).

Mais une indemnité d'imprévision peutêtre accordée si les parties n'ont pu prévoir les conséquences financières d'un événement par lui-même prévisible oud'une situation déjà existante à la date du contrat ( Ville d'Avignon, précité).L'événement doit être étranger aux parties contractantes.

Si la perte subie par l'entrepreneur est due au fait del'administration contractante, c'est la jurisprudence du « fait du prince » qui s'applique; si elle est due à une fautecommise par l'entrepreneur lui-même, il n' a droit à aucune indemnité :« ...

la prolongation de la durée d'exécution du marché litigieux au-delà du ler déc.

1947 est uniquement imputable àl'entrepreneur qui n'avait pas mis à la disposition du chantier un nombre d'ouvriers suffisant pour que les travaux. »

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