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Les créateurs ne doivent-ils leurs inventions qu'à eux seuls ?

Publié le 25/02/2004

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La création ne se fait jamais ex nihilo.] Le progrès scientifique est impersonnel Newton et Leibniz ont découvert en même temps, quoique de manière indépendante, le calcul infinitésimal. Descartes et Galilée ont formulé en même temps le principe d'inertie. Cela montre bien que la plupart des découvertes auraient pu être faites par d'autres aussi bien et qu'il suffit pour cela que les connaissances soient mûres. Sans Einstein, un autre physicien aurait découvert la théorie de la relativité. Sans Christophe Colomb, l'Amérique aurait été malgré tout découverte. Les grands découvreurs ont des prédécesseurs Sans les travaux de Charcot sur l'hypnose, de Schopenhauer voire même de Nietzsche, Freud n'aurait peut-être pas découvert la psychanalyse, ou du moins pas aussi rapidement. Sans les calculs de Galilée, Newton n'aurait pu découvrir la loi de la chute des corps. Chaque découverte bénéficie ainsi du travail des prédécesseurs. Une découverte n'est possible que dans un certain contexte historique.

Lorsqu'on observe une œuvre d'art que l'on trouve réussie, on peut mettre sa réussite sur le seul compte de son auteur, donc de son talent ou de son génie propre, mais on peut aussi remarquer que cette œuvre n'aurait pas vu le jour ou aurait sans doute été différente si son auteur n'avait pas vécu à la même époque ou s'il avait eu d'autres maîtres. Les créateurs ne doivent-ils leurs inventions qu'à eux seuls?  On voit le problème : si les créateurs ont une dette à l'égard d'autres personnes ou d'autres œuvres parce qu'ils s'en sont inspirés, on peut contester qu'ils soient des créateurs, mais si à l'inverse, on leur accorde qu'ils sont les seuls et uniques auteurs de leurs œuvres, on comprend qu'ils soient tenus pour des créateurs, mais on ne voit pas comment soutenir qu'ils n'ont été formés, inspirés ou influencés par personne.

« Le terme « art » a pendant toute l'Antiquité et le Moyen Age,simplement désigné la forme de la production artisanale.Ainsi, Platon oppose la « theôria », connaissance purementcontemplative, au savoir-faire lié à la production matérielle (« technè»).

Cette dernière concerne la production et se définit comme création:« Ce qui, pour quoi que ce soit, est cause de son passage de la non-existence à l'existence, est, dans tous les cas, une création; en sorteque toutes les opérations qui sont du domaine des arts sont descréations, et que sont créateurs tous les ouvriers de ces opérations.»(« LE Banquet »).C'est pourquoi, pour Platon, les artisans sont tous poètes.

En effet,«poésie» signifie étymologiquement «faire», ce qui consisteessentiellement à faire être ce qui n'était pas, c'est-à-dire à créer.Si la technique (ou l'art) est création, elle porte sur le contingent,c'est-à-dire sur ce qui peut aussi bien être que n'être pas.

C'est encela que la technique (ou l'art) s'oppose à la science.

Cette dernièreporte, en effet, sur des essences idéales, c'est-à-dire éternelles etimmuables.

On comprend, dès lors, que Platon, reconnaissant lafonction sociale de la technique, ne lui accorde aucune valeur humaine.Insensible à la beauté de l'Acropole, il ne semble voir de la beauté quedans la nature (les beaux corps des jeunes garçons), dans la morale(les belles actions), dans les sciences (mathématiques et philosophie). C'est à partir du XVIIIE siècle que l'art se distingue aussi bien de l'artisanat que de la technique et acquiertainsi un statut spécifique.

D'où l'apparition de l'esthétique comme théorie des beaux-arts.

Et, dans la Critiquede la faculté de juger (1791), Kant, même s'il ne prétend pas faire une théorie des objets beaux (car, selonlui, le beau n'est pas une qualité des objets : il n'y a pas de règle du beau ni donc de science du beau),affirme qu'il n'existe pas de belles sciences, mais seulement des beaux-arts.

Il accorde même, d'une ..certaine manière, une supériorité à l'art sur les sciences et la technique, puisqu'il considère qu'il n'y a de génieque dans les Beaux-Arts : «Les Beaux-Arts sont les arts du génie.

»Dans la civilisation artisanale, l'artiste, qu'il bâtisse et orne les lieux du culte ou qu'il décore les palais, était auservice de la religion ou des princes.

Le développement de l'industrie permet à l'art de s'émanciper.

Désormaisindépendant, l'artiste découvre qu'il ne tient pas son pouvoir de créer de Dieu, mais que celui-ci lui appartienten propre.

C'est ce pouvoir de créer qui, d'une certaine manière, rend l'artiste égal à Dieu, qu'on appelle legénie.Application de la science, la technique repose sur une méthode scientifique précise dont toutes les démarchessont transmissibles, renouvelables.

Même les techniques les plus complexes peuvent être décomposées,analysées dans leurs moindres détails, et réduites à des gestes simples.

Il suffit généralement de savoir cequ'il faut faire pour réussir.

Quant à l'artisanat, il ne requiert aucune faculté d'invention ou génie particulier.Seul l'art, qui repose sur la fantaisie créatrice de l'artiste, demande autre chose que « l'aptitude à savoir fairece qui peut être appris d'après une règle quelconque ».

Les Beaux-Arts doivent donc nécessairement « êtreconsidérés comme des arts du génie ».Que faut-il entendre par génie sinon « un talent qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucunerègle déterminée » ? Certes, l'art, comme toute production, exige des règles, mais celles-ci ne préexistent pasà l'œuvre.

Aussi le génie peut-il être défini plus précisément comme le talent naturel de « donner des règles àl'art ».

Il n'obéit donc qu'aux règles qu'il se donne à lui-même.

Et puisque « le talent comme facultéproductrice innée de l'artiste, appartient lui-même à la nature, on pourrait également s'exprimer ainsi: le génieest la disposition innée de l'esprit (ingenium) grâce à laquelle la nature donne des règles à l'art ».Sans doute doit-on trouver dans les produits de l'art « toute la ponctualité voulue dans l'accord avec lesrègles, d'après lesquelles seul le produit peut être ce qu'il doit être »; mais cela ne doit cependant pas êtrepénible« Il ne faut pas que le produit laisse transparaître la forme de l'école, c'est-à-dire qu'il porte trace apparenteque l'artiste a eu la règle sous les yeux et que celle-ci a imposé des chaînes aux facultés de son esprit.

» Le génie doit donner l'impression de produire avec la même facilité et spontanéité que la nature.

Cependantl'art, contrairement à la nature, a toujours « l'intention de produire quelque chose ».

Mais si la finalité estintentionnelle dans les produits des Beaux-Arts, elle ne doit pas le paraître, c'est-à-dire que « l'art doit avoirl'apparence dé la nature, bien que l'on ait conscience qu'il s'agit d'art ».Le naturel dans l'art est donc le génie produisant comme la nature, sans règle préétablie.

Il s'ensuit que lapremière qualité du génie doit être l'originalité.

Comme l'absurde ou l'insensé peut aussi passer pour del'originalité, il faut que les produits du génie « soient en même temps des modèles, c'est-à-dire qu'ils soientexemplaires ».

Le génie est donc aussi originaire.

Autrement dit, il doit être à l'origine d'une école à laquelle iltransmet les diverses règles et les procédés de son art.Ainsi, le génie se distingue aussi bien de la simple imitation scolaire (l'élève qui reprend le procédé d'un maîtrepour lui-même, indépendamment de ce qu'il exprimait dans l'œuvre et sans lui donner une nouvellesignification) que du maniérisme, cette «forme de singerie qui consiste à n'être personnel (singularité) quepour tâcher de s'éloigner le plus possible des imitateurs, sans posséder le talent d'être en même temps unmodèle ».Tout artiste, au fond, commence par le pastiche, et s'éveille à son propre génie au contact des œuvres deses prédécesseurs.

De l'imitation scolaire se distingue « la filiation qui se rattache à un prédécesseur sans. »

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