Devoir de Philosophie

LA CROYANCE RELIGIEUSE IMPLIQUE-T-ELLE UNE DÉMISSION DE LA RAISON ?

Publié le 13/03/2004

Extrait du document

Si la philosophie se prétend discours rationnel, n'est-il pas un peu surprenant que de nombreux philosophes aient cherché à fonder la foi en prouvant (rationnellement de leur point de vue) l'existence de Dieu? Cela doit nous inviter à ne pas répondre trop schématiquement à la question, en prenant des relations entre croyance et raison une vue plus subtile que celle qui affirme brutalement une opposition définitive entre l'irrationnalité de la croyance et la rationalité. Historiquement, la philosophie ne s'est en effet pas privée de vouloir rationaliser la croyance (pour que cette dernière n'apparaisse pas comme un domaine étranger à la pensée normale ou normée). On peut rappeler quelques exemples célèbres. - Saint Anselme (le titre même de son ouvrage en indique bien le projet: Fides quaerens intellectum) entend prouver que seul celui qui affirme « Dieu existe« est bien du côté de la raison; à l'inverse, celui qui affirmerait Dieu n'existe pas« est un véritable «insensé insensé«: il n'a pas le sens commun, est hors de la raison. - Saint Thomas, avec ses cinq «Voies« vers Dieu qui dérivent de l'argumentation d'Aristote à propos du «premier moteur immobile«, élabore des raisonnements, fondés sur différents concepts philosophiques (moteur, cause efficiente, degré dans l'être, etc.) qui veulent établir que Dieu doit nécessairement être admis pour peu que l'on se préoccupe de la cohérence rationnelle de la pensée. - Descartes lui-même cherche à montrer que l'analyse, toujours rationnelle, du concept de Dieu, oblige à constater qu'il existe nécessairement (argument ontologique). Sans doute tous les philosophes n'ont-ils pas eu cette attitude, mais ces trois cas suffisent à indiquer qu'on a pu concevoir une complémentarité entre raison et croyance. De telles tentatives ont été fortement critiquées - par Hume qui montre, de son point de vue empiriste, que les prétendues preuves de Dieu de la « religion naturelle« (celle qui entend précisément se fonder sur l'exercice de la seule raison, indépendamment de toute vérité révélée) ne constituent en fait que des débordements inacceptables des conditions normales de la pensée rationnelle et de ses concepts.

« Analyse du sujet • Etre attentif à cerner correctement le sens de l'expression « croyance religieuse ».

^• Même remarque à propos de la « raison » : ne pas simplifier la question pour obtenir une opposition brutale entre religion irrationnelleet rationalité (de nombreux philosophes ont entrepris de fonder rationnellement la croyance en démontrant l'existence de Dieu).• Sujet assez difficile : il suppose une bonne connaissance de quelques preuves classiques de Dieu (et de leur critique). [Introduction] Alors que la philosophie s'affirme comme un discours rationnel, il peut sembler surprenant que de nombreux philosophes aient cherché àfonder la foi en prouvant (rationnellement dans leur projet) l'existence de Dieu.

Cela doit nous inviter à ne pas répondre tropschématiquement à la question, en ayant des relations entre croyance et raison une conception plus subtile que celle affirmant uneopposition définitive entre l'irrationalité de la croyance et les exigences normales de la raison. [I - Tentatives pour rationaliser la croyance] Historiquement, la philosophie a incontestablement tenté de rationalisai la croyance (ne serait-ce qu'afin que celle-ci n'apparaisse pascomme un domaine étranger à la pensée normale ou normée).

On rappellera quelques exemples :Saint Anselme (et le titre de son ouvrage indique clairement son projet : Fides quaerens intellectum) entend prouver que seul celui (|inaffirme « Dieu existe » est bien du côté de la raison, doté de « bon sins » ; à l'inverse, celui qui croirait pouvoir dire que « Dieu n'existepas » est un véritable « insensé » (c'est ainsi que le qualifie le Livre des Psaumes) : il est privé de sens commun, se situe en dehors de laraison.

vSaint Thomas, avec ses cinq « voies » vers Dieu (qui sont cinq variantes sur l'argumentation d'Aristote concernant la nécessité de poser un« premier moteur immobile »), élabore des raisonnements fondés sur différents concepts philosophiques (moteur, cause efficiente, degrédans l'être, possibilité et nécessité, intelligence) qui veulent établir que l'existence de Dieu doit être admise si l'on se préoccupe de lacohérence rationnelle de la pensée.Descartes lui-même, champion du rationalisme, cherche à montrer que l'analyse du concept de Dieu oblige à affirmer son existencenécessaire (argument ontologique).Sans doute tous les philosophes classiques n'ont-ils pas eu cette attitude, mais ces trois cas suffisent pour indiquer qu'unecomplémentarité entre croyance et raison a pu être affirmée. [II - Leur critique] Hume, de son point de vue empiriste, montre que les prétendues preuves de Dieu avancées par la religion ou la théologie « naturelle »(qui entend précisément se fonder sur le seul exercice de la raison, indépendamment de toute vérité révélée) ne constituent en fait quedes débordements inacceptables des conditions normales de la pensée rationnelle et de l'usage de ses concepts.

Exemple : le concept decause n'a de validité que s'il est appliqué à propos de phénomènes récurrents (la causalité suppose une répétition au moins potentielledes causes et des effets) ; dès lors, considérer Dieu comme nécessaire « cause du monde » n'a rigoureusement aucun sens, puisque niDieu ni le monde ne constituent des objets susceptibles de se manifester à plusieurs exemplaires.

Aussi se trouve-t-on, en quelque sortepar définition, entraîné à affirmer que Dieu est bien « unique en son genre », ce qui, du point de vue rationnel ou logique, est uneexpression dénuée de sens, puisqu'il n'y a de genre authentique qu'incluant plusieurs individus. Kant montre ensuite que l'argument ontologique prouve, non pas l'existence de Dieu, mais uniquement sa possibilité, c'est-à-direl'absence de contradiction entre ce qu'implique son concept et les conditions de manifestation (d'inscription dans l'espace et le temps) detout « objet » en général.

Mais nous restons incapables de passer rationnellement de cette possibilité à l'affirmation de l'existencepuisque Dieu, étant pur noumène, ne se manifeste jamais phénoménalement à titre d'objet d'expérience sensible.

L'existence s'éprouveou se constate, elle ne se prouve pas, elle n'est pas un simple prédicat que l'on pourrait a priori isoler d'un concept.Doit-on déduire de ces critiques que la raison démissionne, ou qu'elle transgresse ses propres règles, dès que la croyance s'affirme ? [III - Hétérogénéité des deux domaines] Hume concluait de sa critique la nécessité, pour une philosophie se voulant rationnelle, de ne plus se mêler de théologie : la croyancereste possible, à la condition de ne plus prétendre se fonder sur la raison.Chez Kant, il en va autrement puisque si Dieu n'est pas démontrable, il devient nécessaire d'en postuler l'existence.

Et cette nécessitéémane de la raison pratique elle-même : les trois postulats de cette dernière sont bien des expressions de la raison — même s'ils visentdes concepts qui sont au-delà du strict connaissable.

C'est que la raison n'a pas seulement pour fonction de connaître, elle doit aussipenser (notamment en ce qui concerne la métaphysique).

Et cette tâche n'est pas moins importante que la connaissance, elle supposeseulement d'autres principes. [Conclusion] Nombreux ont été au Moyen Âge les théologiens affirmant la supériorité des vérités révélées sur les vérités rationnelles : pour eux, laraison devait s'incliner devant la foi (et la philosophie ne pouvait pas être autre chose que « la servante de la théologie »).

On admet plusvolontiers aujourd'hui que la croyance n'a rien à voir avec la raison — ce qui n'implique pas nécessairement une démission de cettedernière (cela peut même impliquer, comme le concevait Pasteur — « Quand j'entre dans mon laboratoire, je laisse Dieu au vestiaire » —une cohabitation).

Lorsque Kant postule Dieu, la croyance n'a rien de mécanique ; elle dépend, en dernière analyse, d'une grâce divine.La raison démissionnerait si les contenus de la croyance étaient homogènes à son domaine, or ils ne le sont pas.

Mieux vaut doncconsidérer que le champ d'application de la raison elle-même n'est pas sans limites — et qu'au-delà de celles-ci, elle n'a pas à intervenir.Cela ne signifie pas qu'elle démissionne : il s'agit seulement de reconnaître que l'existence humaine n'est pas intégralement rationnelle.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles