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Dans les nouvelles de Maupassant, le personnage principal vit souvent une situation pénible, dramatique, voire tragique. Selon le critique Henri Vergnes, le personnage chez Maupassant est « d'abord la victime de lui-même, plutôt que d'un destin cruel ou moqueur ». Vous examinerez les causes du malheur des personnages, dans les nouvelles de Maupassant, et vous réfléchirez à ce qui se cache derrière le destin à l'oeuvre dans ces récits.

Publié le 28/09/2010

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maupassant

 

La question du destin, de la fatalité, est un thème central de la tragédie antique ou classique. Mais ce thème littéraire n’est pas réservé au genre théâtral.

Les nouvelles de Maupassant, célèbre écrivain naturaliste de la fin du XIXème siècle, nous confrontent habituellement à des situations humaines difficiles : on a le sentiment que la souffrance et l’échec pèsent comme une fatalité sur les personnages de ses récits. Mais selon le critique Henri Vergnes, si le personnage créé par Maupassant souffre, il doit avant tout s’en prendre à lui-même, car il est, dit-il, « d’abord la victime de lui-même, plutôt que d’un destin cruel ou moqueur «.

Quelle est donc la cause profonde du malheur des hommes selon les nouvelles de Maupassant ?

Nous examinerons d’abord la responsabilité des personnages dans leur propre vie, selon ce que suggère Henri Vergnes ;  puis nous dévoilerons l’existence d’une fatalité dans ces récits ;  enfin nous réfléchirons à la signification  du destin dans l’oeuvre de Maupassant.

 

Les personnages des nouvelles de Maupassant ne peuvent pas toujours être mis hors de cause dans la survenue de leurs malheurs.  Henri Vergne a souvent raison  de souligner leur responsabilité.

Ainsi, dans « La dot «, une naïve provinciale, Jeanne Cordier, vient d’épouser un jeune notaire récemment arrivé dans la région. Eblouie par son mari, Jeanne n’hésite pas à lui confier l’intégralité de sa dot, et celui-ci en profite pour disparaître avec l’argent. Cette nouvelle peut donc être lue comme une dénonciation  de la naïveté stupide des petites bourgeoises provinciales, proies rêvées pour des escrocs sans foi ni loi.

Une autre nouvelle, « La parure «, met en scène une jolie et élégante jeune femme, Mathilde Loisel. Celle-ci se révèle touchante parce que, issue d’un milieu modeste, elle ne peut pas vivre ses rêves de raffinement. Exceptionnellement invitée à un bal mondain, elle ne se satisfait pas de sa jolie robe et emprunte un splendide collier de diamants à une amie fortunée. Malheureusement, elle perd cette parure, et elle décide, par fierté, de ne rien dire à son amie mais remplace le collier par un autre, tout pareil. Pour cela, elle et son mari ont dû s’endetter, et ils passeront dix ans dans la misère pour rembourser le prix du collier, en réalité sans valeur. Les goûts de luxe de Mathilde ainsi que sa fierté orgueilleuse auront donc précipité sa chute. Elle aura été d’une certaine manière « la victime d’elle-même «. 

Avec « Pierrot «, c’est l’avarice crasse des paysans normands qui est mise en lumière : Mme Lefèvre préfère finalement voir mourir son petit chien, Pierrot, dans des conditions atroces, plutôt  que de dépenser un peu d’argent pour le garder près d‘elle. En plus de faire le malheur de son chien, elle s’oblige elle-même à renoncer à son animal de compagnie, elle s’enferme dans sa solitude, elle doit même affronter les cauchemars de la culpabilité causée par sa radinerie. 

On voit donc que Henri Vergnes ne manque pas d’arguments pour soutenir que les personnages de Maupassant peuvent être à l’origine de leur propre malheur. Dans cette perspective, on pourrait considérer que Maupassant est essentiellement un satiriste et un moraliste : son but serait de montrer comment un trait de caractère - naïveté, orgueil, avarice… - peut entraîner de la souffrance pour soi-même comme pour son entourage. Cependant, les protagonistes des nouvelles peuvent-ils être considérés toujours et en tous points comme responsables de leur situation ?

 

Une lecture attentive des nouvelles laisse souvent entrevoir, en effet, comme une sorte de fatalité qui pèse sur les personnages, plus que ceux-ci ne le méritent. 

Dans « Première neige «, une délicate parisienne a le malheur d’avoir été mariée à un rustre hobereau  normand qui ne l’écoute pas, ne la comprend pas, et la laisse mourir de solitude et de froid dans son glacial manoir isolé dans la campagne.  La jeune femme, par désespoir, et voulant attirer la compassion de son mari, va littéralement se jeter dans la maladie et elle finira par mourir d’une pneumonie. Comment ne pas voir ici que le geste désespéré de cette malheureuse n’est que le fruit amer d’une situation implacable et cruelle, incarnée par un époux autoritaire et insensible ?

Dans « Le papa de Simon «, le petit garçon est né hors mariage, d’une jeune femme abandonnée par son amant. Sa situation en fait la victime de moqueries méchantes et d’humiliations de la part de ses camarades d’école. Ici, on voit que, contrairement à ce que dit Henri Vergnes, le petit Simon est totalement innocent du malheur qui l‘atteint, il est la pure victime des circonstances de sa conception, des préjugés de la société et de la cruauté des autres gamins.

Dans ces deux exemples, on voit comment la souffrance qui accable le personnage peut être causée par la méchanceté ou la stupidité d’autres humains, ou bien encore par les défauts de la société. Le personnage est innocent mais il est victime de son environnement relationnel ou social. Ici le « destin « ne serait donc que le masque des défauts de l’humanité. Mais d’autres fois, au-delà des causes humaines, les personnages de Maupassant paraissent l’objet d’une sorte de fatalité méchante et moqueuse qui s’acharne à piéger ses victimes. Ainsi, dans la nouvelle déjà citée, « La parure «, le malheur poursuit la pauvre Mathilde. Déjà sa naissance dans une famille pauvre parait causée, selon le narrateur, « comme par une erreur du destin «. Ainsi, c’est le texte lui-même qui signale l’intervention cachée de quelque chose comme « le destin « . Pourtant Mathilde ne semble entourée que de gens gentils : son mari est brave, sa riche amie est accueillante et généreuse. Mais le destin ne la lâchera pas puisqu’elle va accidentellement perdre la belle parure prêtée par son amie, comme si elle devait payer par dix années de labeur son unique soirée de plaisir. Mais les chose ne s’arrêtent pas là : après avoir perdu dix ans de sa vie à rembourser le bijou, et surtout après avoir perdu sa beauté et sa jeunesse, Mathilde finit par apprendre - et c’est la chute de la nouvelle - que la parure perdue était du toc sans valeur. Elle aura donc tout perdu pour rien !  Ici le destin se montre plus que dur,  il parait moqueur, railleur, ironique, ricanant méchamment du mauvais tour. Même si Mathilde n’est pas sans défaut, même si elle a des responsabilités dans ce qui lui arrive, on a comme le sentiment  que quelqu’un tire moqueusement les fils de son destin, qu’on joue cruellement  avec elle, comme le chat avec la souris.  La chute étonnante de la nouvelle nous le confirme : Mathilde était « attendue « à la fin du récit. La chute de la nouvelle est aussi la chute de Mathilde dans le piège de ce dénouement absurde.

Derrière les causes, accidentelles, humaines ou sociales,  qui rendent compte des malheurs des personnages, on entrevoit maintenant une « fatalité « implacable qui règle le destin des protagonistes des nouvelles ; une « divinité « qui conduit chaque récit là où il doit aller, pour le plus grand malheur des personnages. Ce « dieu « du récit est, bien sûr, l’auteur lui-même, Guy de Maupassant. C’est bien lui qui décide de la conduite du récit et du sort de ses héros. Mais pourquoi donc, Maupassant traite t-il ses personnages  avec ce mélange de cruauté et de moquerie ?

 

On peut lire les nouvelles de Maupassant comme le reflet du profond pessimisme de cet auteur devant l‘existence.

Les historiens de la Littérature nous apprennent  que la vie de Maupassant fut marquée par le malheur, dès son enfance avec le conflit et la séparation de ses parents, jusqu’à la déchéance de la fin de sa brève existence. Sa vie alternera les périodes d’exaltation et celles de profonde dépression. Il mourra fou à l’âge de quarante-trois ans. Les souffrances vécues peuvent ainsi se trouver transposées dans les nouvelles : ainsi les malheurs de son enfances se reflètent dans le petit garçon sans père du « Papa de Simon «. De même, on a pu suggérer que « Le Horla «, l’histoire fantastique de la possession d’un homme par un fantôme, était la transposition du glissement de Maupassant vers la folie.

La critique Marie-Claire Bancquart nous apprend que, pour Maupassant, la nature humaine est fondamentalement mauvaise, car marquée par ses origines animales. La biologie, l’instinct, l’archaïsme des pulsions pèseraient irrésistiblement sur l’esprit humain. Une compétition sans répit serait la règle des relations humaines. C’est pourquoi nombre de ses nouvelles montrent un échantillon peu reluisant d’humanité. Avarice, cruauté, égoïsme sont le moteur de nombreux récits. Parfois, cependant, quelque nouvelle vient apporter une lueur dans ce sombre tableau. Ainsi le comportement plein de noblesse des principaux protagonistes du « Papa de Simon « : le forgeron Philippe, plein d’une bonté virile, saura reconnaître la valeur de la « fille tombée «, La Blanchotte, mère célibataire du petit Simon. Il l’épousera et deviendra ainsi « le papa de Simon «. Cette nouvelle aux traits discrètement évangéliques tranche cependant sur la production habituelle de l’écrivain.

Car pour Maupassant, c’est l‘existence elle-même qui n‘a pas de sens : comme l’écrit Marie-Claire Bancquart, pour lui « la vie est un piège dans lequel nous sommes pris «. Ainsi, dans la nouvelle « Aux champs «, les « bons parents « qui ont refusé de vendre leur garçon à de riches bourgeois vont végéter dans la misère, tandis que leurs voisins moins délicats vont retirer un confortable revenu  pour avoir vendu leur progéniture comme une vulgaire volaille. Mais le pire de l’histoire est de voir le garçon devenu grand reprocher leur amour à ses parents et les abandonner, car, dit-il, s’il avait été adopté par ces étrangers, il aurait pu devenir un « monsieur «. Ici, les valeurs d’humanité sont comme contredites par la cruauté ironique de la vie. Maupassant donne à sa nouvelle un narrateur neutre, qui ne prend pas parti, comme pour mieux laisser le lecteur face à ce dilemme.

En revanche, dans de nombreuses nouvelles, le narrateur adopte un ton moqueur et sarcastique qui reflète le « sadisme « de l’écrivain pour ses personnages. En effet, Maupassant partageait beaucoup de la philosophie du marquis de Sade, lequel pensait aussi que la vie, l’existence est méchante et cruelle, et que l‘humanité ne fait que reproduire cette réalité dans son comportement . Comme lui, Maupassant pouvait marquer une grande complaisance à faire souffrir ses personnages. Ainsi, à la fin de « La dot «, la naïve Jeanne tombée dans les griffes de son escroc de mari court se réfugier auprès de son cousin. Mais la fin de la nouvelle, ouverte et ambiguë, semble suggérer que celui-ci compte bien abuser sexuellement de la faiblesse de sa cousine. La tonalité moqueuse de la narration oriente vers cette interprétation. Le destin de Jeanne est programmé par le récit : cette oie blanche doit être croquée !

On peut donc dire que Maupassant cherche, à travers ses récits, à illustrer sa philosophie pessimiste et sa vision désenchantée du monde et de l’humanité. Il n’est donc pas étonnant de constater combien la bêtise, la méchanceté et l’égoïsme sont représentés dans ses nouvelles.  Mais, à travers les défauts ignobles - mais inévitables - des hommes, c’est l’existence elle-même qui se charge souvent de contredire les idéaux humanistes.  L’homme ne peut radicalement changer sa propre nature, et celle-ci est profondément marquée par l’instinct et l’animalité. Pour Maupassant, la vie est un piège où les hommes sont pris : c’est ce que ses nouvelles sont chargées d’illustrer, souvent dans une tonalité à la fois moqueuse et amère.

 

L’examen des nouvelles de Maupassant a donc révélé que le personnage est souvent à l’origine de sa propre souffrance du fait de sa sottise, de son égoïsme, de sa méchanceté ou d’un autre trait de caractère. Mais on a montré également  que les causes du malheur peuvent être indépendantes de la responsabilité du personnage, soit que celles-ci relèvent d’autres humains, soit qu’elles relèvent des structures de la société, soit même qu‘elles relèvent des hasards ou circonstances de la vie.  Mais, d’un point de vue littéraire, on a vu que ce « destin « de souffrance qui accable le personnage, quelle que soit sa cause, intérieure ou extérieure, est très consciemment inscrit dans le récit par l’écrivain qui exprime ainsi sa philosophie pessimiste de l’existence et de la nature humaine.  La signification de la fatalité qui pèse sur ces nouvelles doit donc être recherchée finalement dans le message que l’écrivain cherche à communiquer, à inculquer à son lecteur : « la vie est un piège où nous sommes pris «.  

Quel « usage « le lecteur fera-t-il du message tragique de ces nouvelles ? Il appartient à chacun de répondre à ses propres frais !

 

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