Dans quelles mesures l'art, la poésie et la musique nous aident-ils a dévoiler nos sentiments ?
Publié le 15/09/2005
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Jusqu’au dix-huitième siècle, le terme « art « désignait l’ensemble des techniques de production d’artefacts : tel était encore le cas dans le Discours sur les sciences et les arts (1750) de Jean-Jacques Rousseau. Aujourd’hui, par art nous entendons plutôt une activité créatrice gratuite, mais sérieuse, qui représente dans des œuvres un état de la sensibilité et de la pensée d’une époque, en s’opposant à la fois à la disgrâce qui frappe les activités techniques utilitaires, jugées serviles, et à la futilité des activités ludiques vouées au divertissement. Ni labeur, ni distraction, l’œuvre d’art incarne et suggère un sentiment de la vie.
Par « poésie «, nous entendons une forme littéraire qui se distingue de la prose par une exigence touchant a la forme du discours, celle-ci obéissant a des lois précises, formant des unités particulières que l’on nomme « vers «. Plus largement, la poésie est un usage particulier du langage qui consiste a rompre avec l’utilisation commune, et pourquoi pas triviale de la langue, de sorte a créer une expression qui mérite a bon droit le nom de « sacre « au sens étymologique du terme, a savoir de « coupé «, de « séparé «. La poésie est donc plus qu’un simple usage de la langue qui se singularise par rapport a l’usage habituel des locuteurs dans les conversations de tous les jours : elle est bien une langue dans la langue elle-même.
Par musique, on entend l’art de combiner les sons de manière harmonieuse aussi bien que toutes les productions de cet art.
Le verbe dévoiler désigne l’action qui consiste à rendre public ce qui est un vécu intérieur, à faire entrer dans la sphère des autres ce qui est né d’abord en nous-mêmes. Dévoiler un sentiment consiste donc à faire entrer dans le monde extérieur à la sphère de nos vécus individuels ce que nous éprouvons.
Par sentiment, on entend l’action ou la faculté de sentir, de recevoir des impressions. Un sentiment est le contenu de cette faculté que nous avons de connaître, d’apprécier, de percevoir directement certaines choses sans le secours du raisonnement, de l’observation ou de l’expérience.
Lorsque nous posons la question « Dans quelles mesures l'art, la poésie et la musique nous aident-ils à dévoiler nos sentiments ? « nous nous interrogeons sur les moyens employés par ces arts distincts que sont les beaux arts, la poésie et la musique pour faire partager nos sentiments. Cependant, en posant une pareille question, nous acceptons un présupposé qu’une interrogation davantage poussée pourrait nous amener à critiquer, à savoir que la fonction de ces arts, aussi distincts soient-ils, est de dévoiler les sentiments de l’artiste. Nous nous demanderons si ces formes d’art n’ont pas en vérité des fonctions plus diverses que nous pouvons le penser de prime abord, et s’ils n’entretiendraient pas avec les sentiments personnels des artistes des rapports plus ambigus et complexes qu’ils ne le semblent.
La question au centre de notre travail sera donc de considérer si la fonction de l’art, de la poésie et de la musique est de mettre à jour les sentiments de l’artiste ou à représenter ceux de tous les hommes.
«
juste titre pour le moyen privilégié d'exprimer nos sentiments en raison des moyens sémantiques et phoniques quisont les siens.
Car la poésie est un usage singulier du langage qui exploite autant que possible ses ressourcespropres afin d'exprimer de manière optimale les sentiments qui habitent l'auteur du poème, lequel utilise le plussouvent, et de manière significative, le pronom personnel « je ».
Prenons l'exemple de ce poème fameux de PaulVerlaine, tire du recueil Romances sans paroles : « Il pleure dans mon cœurComme il pleut sur la ville,Quelle est cette langueurQui pénètre mon cœur?
O bruit doux de la pluiePar terre et sur les toits!Pour un coeur qui s'ennuieO le chant de la pluie!
Il pleure sans raisonDans ce coeur qui s'écœure.Quoi! Nulle trahison?Ce deuil est sans raison.
C'est bien la pire peineDe ne savoir pourquoi,Sans amour et sans haine,Mon cœur a tant de peine! » Ce texte peut passer à juste titre pour un exemple éloquent de notre thèse.
En effet, la poésie est bien un moyenadéquat de dévoiler nos sentiments, car elle use des ressources phoniques de la langue pour traduire ces derniers,comme le fait Verlaine en modulant de manière mélancolique et quasi hypnotique le son « eu » tout au long de cepoème splendide.
La musique fait de même avec ses propres moyens : pensons à la sonate bien connue deBeethoven surnommée « Pathétique » précisément parce qu'elle exprime au plus haut degré un sentiment detristesse.
Nous dirons donc que l'art, la poésie et la musique nous aident bien à dévoiler nos sentiments, parcequ'elles usent de leurs ressources propres (phoniques, dans le cas de la poésie et de la musique) pour traduire lessentiments effectivement éprouvés par celui qui les manient.
II.
L'art, la musique et la poésie ne dévoilent pas nos sentiments, ils ne font que se constituer à partir des sentiments intimes de l'artiste a.
Au commencement de l'art, une activité émotionnelle violente…
Cependant, ne venons-nous pas d'accepter trop aisément un présupposé contestable ? En effet, il se peut fort bienque la fonction de l'art, de la poésie et de la musique ne soit nullement de nous aider à dévoiler nos sentiments,auquel cas il devient inutile de nous questionner sur leur capacité à remplir cette fonction.
Sans doute faut-il nousinterroger plus rigoureusement sur la relation de ces arts avec l'activité émotionnelle de celui qui les pratique.
Prenons l'exemple de l'artiste qui entreprend une œuvre.
Il faut bien voir qu'au commencement de l'œuvreartistique, il y a chez le sujet une forte activité émotionnelle.
Faire de l'art, pour un être, c'est donc travailler desémotions intenses, un passif émotionnel, une expérience parfois délicate et douloureuse du monde.
Tel est le cas deBlaise Cendrars : dans Moravagine , il met en scène un double de lui-même aux tendances extrêmement perverses. Un ami psychanalyste de cet écrivain (le docteur Ferral) à déclaré à la lecture du texte : « Vous vous êtes libéré de votre double, alors que la plupart des hommes de lettres restent victimes et prisonniersdu leur (…) ».
Cet exemple montre bien qu'au commencement de l'œuvre, il existe une activité émotionnelle violente de l'individupour un thème, une problématique intime et lancinante qu'il est pour lui vitale d'aborder au moyen de l'art.
b.
… qui fournit à l'artiste un matériau qu'il travaille ensuite
Mais il faut bien voir que si les sentiments de l'artiste sont à l'origine de son art, à la racine, la création artistiquepermet précisément de s'en libérer.
Lisons le texte d'Hegel qui touche au problème de l'art :.
»
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