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La défense des intérêts de l'État par le pouvoir politique justifie-t-il le recours à des pratiques immorales ?

Publié le 06/04/2005

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  B/ Pourtant, s'estimer au-delà de toute morale au nom d'une Realpolitik conduit à annihiler toute possibilité d'établir un droit international et ramène tous les Etats à l'état de guerre continuelle (cf. article « Raison d'Etat » dans l'Encyclopédie de Diderot & d'Alembert). Or, comme il n'est pas dans l'intérêt de l'Etat de s'exposer en permanence à la guerre, il en découle que même en termes de politique internationale, la morale s'impose, au moins de manière relative.   C/ Les Encyclopédistes justifient pourtant, en cas de crise, l'usage de la raison d'Etat sur le plan intérieur : si le contrat social établit la supériorité du tout sur la partie, alors on peut, dans certains cas, sacrifier celle-ci à celui-là, et le souverain « gémira de la nécessité qui l'oblige de sacrifier quelques-uns des membres pour le salut réel de toute la société. » (op.cit.)   Seconde partie   A/ Mais comme le montre Zola lors de l'Affaire Dreyfus, sacrifier un Juif innocent sur l'autel de la Patrie (cf. A.-G. Slama, « Maurras ou le mythe d'une droite révolutionnaire » in L'Histoire, 2002), ce n'est pas causer du tort uniquement à un individu-bouc émissaire, mais renier les idéaux de justice et d'humanité aux nom desquels la République a été fondée, dès 1789.

La raison d’Etat, ou l’appel aux intérêts supérieurs de l’Etat, est invoquée par les politiques lorsqu’ils veulent justifier le recours à des pratiques immorales. On fait alors valoir que si la morale garde sa valeur du point de vue des relations interpersonnelles, la défense des intérêts de l’Etat concerne la collectivité toute entière et peut exiger, à ce titre, de sacrifier temporairement celle-ci afin d’assurer la continuité de l’Etat et la survie « de tous «. Pourtant, la raison d’Etat peut précisément aboutir à l’injustice exercée à l’égard d’un individu ou d’un groupe particulier. Alors ce dévoile le mensonge qui sous-tend la raison d’Etat : « L’Etat, c’est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement, et voici le mensonge qui rampe de sa bouche : « Moi, l’Etat, je suis le Peuple. « (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, I, « De la nouvelle idole «). Si la défense des intérêts de l’Etat ne coïncide donc pas avec la protection de tous, peut-on encore l’invoquer pour justifier un acte qui déroge à la morale ?

« I.

En guise d'amorce et de mise au point « Qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner » disait Louis XI (1423-1483).

Nicolas Machiavel est néà Florence en 1469, où il meurt en 1527.

On surnomme d'ailleurs Machiavel « le Florentin ».

Il a laissédans l'histoire une théorie politique : le machiavélisme. • Qu'est-ce que cette théorie ? -> Il faut savoir que Machiavel s'est engagé dans la politique à partir de 1498.

Remarquablenégociateur, il exerce ses talents dans toutes les cours d'Europe.

La destinée de Florence est liée auxMédicis.

C'est à Laurent II, dit le Magnifique, que Machiavel dédicaça le Prince.

Il crée une milicenationale, dont il sera le secrétaire.

En 1512, il perd sa charge, fait un bref séjour en prison, et seconsacre ensuite à sa carrière littéraire.—> Machiavel estime avoir élaboré une nouvelle méthode.

Son originalité tient au fait, qu'au XVesiècle, il fonde son analyse sur le comportement humain et non sur les principes de la moralechrétienne.

Il conçoit la politique en termes de pouvoir et de contrôle du pouvoir : il faut combiner laruse du renard et la force du lion.

Plutôt que d'affirmer « la fin justifie les moyens », il affirme que lesuccès du prince est soumis au verdict populaire et que les moyens employés sni.ni s'ils ont étéefficaces.—> Machiavel pose alors le problème de la vertu politique, et de qui doit gouverner.

La vertu politiqueest faite d'audace, de courage, de souplesse et de capacité d'adaptation vertu morale traditionnelle).—> Contrairement à ce qu'on croit couramment, la pensée de Machiavel est fondamentalementrépublicaine.

Les républiques s'adaptent mieux aux changements de circonstances, et les opportunités de participation è la vie politique et militaire facilitent l'accomplissement personnel.

Sa référence est la république romaine. 2.

Quelques pistes de réflexion a) « Les intérêts de l'État justifient-ils le recours à des pratiques immorales ? » pose la question du rapport entre politique et morale.

C'estpourquoi Machiavel est ici essentiel.

Revenons sur le vocabulaire :- « les intérêts de l'État » —> ce qui est utile à l'État, ce qui va le préserver, assurer sa sécurité, le rendre fort.- « justifier » —> rendre juste, conforme à la justice, excuser, disculper.

Entre dans le sens de ce mot une connotation morale.- « pratiques immorales » —> actes qui violent les principes de la morale.

=> Comment des actes contraires à la morale, comme lemensonge, la trahison, peuvent-ils être excusés, justifiés, au nom des intérêts de l'État ? Le Bien de l'État implique-t-il de faire abstractionde la morale ? Ne peut-on pas concilier morale et politique ? b) Deux grandes conceptions s'opposent- les utopistes et les réalistes, ceux qui imaginent comment la société devrait être, quelle serait le gouvernement idéal (cf.

L'Utopie de Th.More) et qui voudraient changer la nature humaine ; et ceux qui partent de la réalité concrète, du comportement humain tel qu'il est.Seuls ces derniers ont compris que pour gouverner, il faut laisser toute illusion.

—> En politique, il n'y a pas de place pour la « belle âme »qui voudrait que politique = morale.

Cette « belle âme » devient même criminelle -si elle dirige un État -, lorsqu'elle refuse de prendre,par exemple, des mesures répressives immédiates qui auraient évité un bain de sang, des violences.

Concilier morale et politique est unbeau rêve.

Le moraliste comme le politique ont intérêt à y renoncer.

Telle est la position du réaliste.

Machiavel a fait des émules :Spinoza, Montesquieu, Hegel, Marx, Lénine, etc.

C'est la « Real Politik » qui règne aujourd'hui.

Machiavel a montré que la politique est unrapport de forces.c) Mais attention ! Machiavel ne prône pas l'immoralisme ! Il a séparé morale et politique et refuse de fonder la politique sur le droit.Patrick Dupouey écrit dans son introduction au Prince (Nathan) : « Cette lucidité ne prépare aucune apologie de la force brutale ; elle necreuse pas davantage la tombe de la liberté.

A ce mot : liberté, Machiavel réagit un peu comme le fera toujours Lénine ; en demandant :liberté pour qui ? Cette question est insupportable à une conception « libérale » qui veut la liberté « une et indivisible ».

Mais Machiavel dit: il faut choisir, vous ne pouvez pas gouverner à la fois pour le peuple et pour les grands.

Machiavel s'aperçoit que la société n'est pascomposée d'individus - sujets de droit - mais de groupes aux intérêts opposés.

Lénine parlera de classes.

Le caractère foncièrement «populaire » de la politique machiavélique est aussi une donnée fondamentale pour la situer dans l'histoire de la pensée politique.

Mais cetaspect est également le moins apparent dans Le Prince.

»d) Voyez comment Spinoza et Kant ont résolu le problème du rapport moral/politique—> Spinoza pense qu'essayer de faire coïncider morale et politique est un faux problème.

Il n'y a pas de distance entre le monde du droitet celui de la force : c'est dans la nature qu'il faut chercher les conditions de la liberté politique car il n'y a pas d'opposition entre idéal etréel.

Il y a la Nature, dont nous faisons partie.—> Kant distingue les impératifs hypothétiques utilitaires et l'impératif catégorique du devoir véritable, seule digne de l'homme. Conclusion On ne peut pas justifier des actes immoraux, même commis dans l'intérêt de l'État.

On peut sans doute comprendre que, pour gouvernerefficacement un État, il faut de la lucidité et vouloir la conservation de cet État dont un a la charge.

Et si je veux diriger un État, je doism'en donner les moyens.

Quelle serait la réaction du peuple s'il avait un prince au-dessus de tout soupçon mais dont cette intégritémorale affaiblirait l'État, mettant en péril l'économie, la sécurité militaire, etc.

? On doit regretter cette situation et se comporter dans leprivé en homme juste.

Peut-on espérer qu'un jour tous les hommes seront suffisamment raisonnables pour savoir si bien se gouvernereux-mêmes qu'on n'aura plus besoin d'État.

Il est bien difficile de vivre sans utopie.... »

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