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Y a-t-il des normes naturelles ?

Publié le 11/01/2004

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Le problème des « normes « s'inscrit dans celui, plus vaste, concernant les rapports existant entre la nature et la culture. Avons-nous une « nature « universelle, un « état brut «, ou bien sommes-nous normalisés culturellement ? Et quelle est la valeur de ces normes si elles ne sont que sociales ? Y a-t-il des normes naturelles ? Cette question demeure depuis longtemps sans réponse, malgré toutes les recherches dont elle a fait l'objet. Énigme scientifique, sociologique, philosophique, une question fondamentale pour la compréhension de l'homme. Sans prétendre à une étude exhaustive du problème, nous allons procéder à une confrontation et à une synthèse de diverses opinions et courants de pensée, et dégager si possible une « conclusion «, qui ne pourra d'ailleurs être que subjective.
Avant toute investigation, il convient de s'arrêter à la notion de « norme «. Qu'est-ce qu'une norme? Les normes sont omniprésentes, et interviennent à chaque instant dans l'existence. Elles peuvent concerner des matériaux concrets, ou encore entrer en rapport avec des concepts moraux, sociaux, philosophiques. Dans tous ces domaines, il s'agit de mesures, de limites définies plus ou moins arbitrairement (par la nature ou par la culture?). Ce cadre est tracé pour une majorité, dans lequel elle doit s'inscrire. Nous verrons ultérieurement quels autres facteurs entrent également dans l'institution d'une norme.
 

« Quelle doit donc être une position rationnelle à l'égard de ce problème? L'influence de la culture sur l'homme paraît indéniable, maiselle ne nie pas la possibilité d'une nature.

Il est tout aussi hasardeux et arbitraire d'affirmer la présence de « normes naturelles » qued'en affirmer l'absence, si l'on se place d'un point de vue strictement scientifique et objectif.

Ici donc doit entrer la subjectivité, afin depouvoir poursuivre l'analyse.Le concept d' « inné » et de « naturel » connaît depuis toujours un crédit immense parmi les populations.

L'expression si courante «c'est normal » ou « il est normal », signifie que l'objet en question est en accord avec- sa nature profonde.

Cependant, il fautremarquer qu'un terme qui devrait avoir une signification qualitative, prend le plus souvent une connotation quantitative.

C'est-à-direque par « normal » on entend conforme à une majorité; il entre ici une idée de nombre.

La normale se définit donc davantage parrapport au commun, au général, qu'en fonction d'un concept universel de nature.

Or le « général » devient le « naturel ».

Ce qui estpratiqué ou pensé par la majorité est considéré comme une norme naturelle.

Il existe donc là une substitution fâcheuse, qui fait perdreà la notion de norme une bonne partie de sa valeur.Ce crédit dont bénéficie donc l'idée de nature auprès d'un grand nombre n'est pas sans fondement.

On peut y déceler une influencecertaine de la religion judéo-chrétienne, qui prétend définir et connaître la nature intime de l'homme.

Elle se caractérise surtout par unmanichéisme quasi permanent : l'homme est bon ou mauvais (ou exclusif), dès sa naissance.

Dieu est bon, Satan est le Mal, l'êtrehumain est pêcheur fondamentalement depuis le péché originel, avant quoi il était bon.

Un dogmatisme aussi absolu ne peut, si l'on aun souci d'objectivité, que soulever le doute.

Il a cependant des racines profondes dans les mentalités populaires, et leur impose uneligne de pensée.En fait, nous devons avouer notre ignorance de ce qu'est l'homme à l'état de nature.

Malgré toutes les études, les suppositions, lesactes de foi, la question reste posée.

Aussi l'institution de « normes universelles » n'aurait-elle pas pour rôle (inconsciemment) decombler ce vide, cette lacune? Si l'existence est, comme le prétend l'existentialisme, absurde et dénuée de sens, l'homme moyen abesoin de s'accrocher à certaines valeurs absolues qui transcendent le niveau humain; si elles n'existent pas, il les crée, et vénèrecomme une divinité sa propre création (voir Feuerbach).

Auquel cas, ne s'agit-il pas d'une fuite lâche devant soi-même, devantl'existence et les responsabilités humaines qu'elle demande à l'individu?Le problème de la folie se rattache d'ailleurs à celui-ci, et traduit la même fuite devant le vide et l'inconnu.

Les asiles ont été créés pourisoler les « fous » du reste de la population, parce que dangereux.

Où réside en fait le danger? Non pas au niveau de l'agressionphysique, mais au niveau psychologique et social.

Le « fou », par sa conduite, dérange et met en cause la normale, le comportementet les idées générales.

La population, se sentant véritablement agressée, préfère nier et refuser la folie, plutôt que de la comprendre etl'intégrer.

Cette négation n'est rien d'autre qu'une fuite devant soi-même.

Les normes sont pour cela un moyen précieux et efficace,avant tout sécurisant.

Enfin, il est à remarquer que la morale et les normes semblent être les produits d'une civilisation.

En effet, les études sociologiques ontmontré l'absence totale de constantes, de valeurs universelles (hormis la prohibition de l'inceste).

Les thèses de Margaret Mead sontassez édifiantes : la femme, par exemple, qui a eu en Europe un rôle bien déterminé, est totalement différente dans certaines tribusprimitives, où elle chasse pendant que l'homme reste au foyer et s'occupe des besognes domestiques.

Les normes sont l'ensemble desmoeurs et coutumes d'un groupe social et ethnique, mais qui sont si anciennes qu'elles sont considérées comme absolues par lesmembres de ce groupe.

« Et n'oubliez jamais que ce qu'il y a d'encombrant dans la morale, c'est que c'est toujours la morale desautres » (La Ferté).Considérant donc que les normes sont plus culturelles que naturelles, la question est de savoir si elles sont nécessaires à la vie d'ungroupe, ou d'un peuple, et pour qui, et en quel sens, elles peuvent être utiles.Un groupe social a certainement besoin d'un fonds commun de repères, ce qu'on peut appeler la « personnalité de base », qui permetune certaine unité ethnique et humaine au sein du groupe.

Les normes seraient donc dans ce cas un facteur important d'intégration.Même si le but commun était un refus total des normes, un groupe, une collectivité, un peuple, pourraient-ils survivre et s'unir sanselles, ne finiraient-elles pas par se créer d'elles-mêmes, inévitablement, puisque des individus de mêmes moeurs et mêmes coutumesformeraient une majorité?L'autre utilité (et utilisation) des normes se situe sur le plan politique : un petit groupe impose des valeurs arbitraires et se voulantabsolues à une majorité, afin de la canaliser dans une voie déterminée et utile aux dirigeants.

Il s'agit d'un moyen de pression habilesur les peuples (Marx n'a-t-il pas parlé de la religion comme d'un opium?).

Citons à ce propos Wilhelm Reich, et ses études tantsociologiques que psychanalytiques : le mariage, par exemple, est considéré par beaucoup comme un « devoir », une fin, uneinstitution inébranlable et presque divine (donc naturelle), alors qu'il se révèle, après analyse, le soutien principal d'une sociétébourgeoise, et maintenu non seulement par ceux qui y ont intérêt, mais en majeure partie (et c'est là le comble) par les victimes decette société : exemple qui montre bien quel peut être le pouvoir des normes.En fait, si les normes sont inévitables (par suite d'un comportement général), ou utiles (sur le plan politique et social), elles doivent selimiter à ces rôles.

C'est-à-dire qu'elles ne doivent pas entraver la recherche personnelle et l'accomplissement de soi.

Les normesétant nées de - et imposées par - la société, c'est à l'individu de les analyser objectivement et de se situer par rapport à elles.L'homme a toujours la possibilité de prendre un certain recul par rapport à l'extérieur.

Mais réfléchir, refuser ou transcender lesnormes demande une certaine intelligence, une prise de conscience; cette remise en cause ne s'adresse donc malheureusementencore qu'à une minorité dans une population.

Lesnormes et leurs contraintes restent nécessaires à une majorité, pour qu'elles représentent la sécurité.

Il est évident que s'écarter d'uneligne de pensée et de conduite commune nécessite des qualités individuelles peu courantes.

Le « salaud » de Sartre n'est-il pas celuiqui se terre dans son être, dans des valeurs sûres qui lui ont été léguées et auxquelles il adhère par peur.

L'inconvénient d'une norme est que, par définition, elle étouffe et rejette celui qui ne se soumet pas.

Tel est le problème des artistes enparticulier, et de tout marginal en général.

La vie sociale est (de plus en plus) faite de normes, et faite pour ceux qui y adhèrent.

Uneminorité se trouve donc lésée en permanence, ce qui repose le problème crucial de la démocratie.... »

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