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DESCARTES et la fortune

Publié le 17/04/2005

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descartes
Je sais bien que ce serait être imprudent que de vouloir persuader la joie à une personne, à qui la fortune envoie tous les jours de nouveaux sujets de déplaisir, et je ne suis point de ces philosophes cruels, qui veulent que leur sage soit insensible. Mais il me semble que la différence qui est entre les plus grandes âmes et celles qui sont basses et vulgaires, consiste, principalement, en ce que les âmes vulgaires se laissent aller à leurs passions, et ne sont heureuses ou malheureuses, que selon que les choses qui leur surviennent sont agréables ou déplaisantes ; au lieu que les autres ont des raisonnements si forts et si puissants que, bien qu'elles aient aussi des passions, et même souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure néanmoins toujours la maîtresse, et fait que les afflictions mêmes leur servent et contribuent à la parfaite félicité dont elles jouissent dès cette vie. Car d'une part, se considérant comme immortelles et capables de recevoir de très grands contentements, puis, d'autre part, considérant qu'elles sont jointes à des corps mortels et fragiles, qui sont sujets à beaucoup d'infirmités, et qui ne peuvent manquer de périr dans peu d'années, elle font bien tout ce qui est en leur pouvoir pour se rendre la fortune favorable en cette vie, mais néanmoins elles l'estiment si peu, au regard de l'éternité, qu'elles n'en considèrent quasi les événements que comme nous faisons de ceux des comédies. Et comme les histoires tristes et lamentables, que nous voyons représenter sur un théâtre, nous donnent souvent autant de récréation que les gaies, bien qu'elles tirent des larmes de nos yeux ; ainsi ces plus grandes âmes dont je parle, ont de la satisfaction, en elles-mêmes de toutes les choses qui leur arrivent, même les plus fâcheuses et insupportables. DESCARTES
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« Étude ordonnée et intérêt philosophique La première moitié du texte est occupée par l'exposé de «la différence qui est entre les plus grandes âmeset celles qui sont basses et vulgaires ».On peut noter d'emblée que l'enjeu de cette opposition n'est pas la pure opposition entre raison et passionau sens où les âmes basses ne connaîtraient que les passions et les âmes élevées que la raison.

Aucunecommunication ne serait alors possible ni aucune conversion de l'âme.

Les âmes nobles connaissent aucontraire l'épreuve des passions, et même, dit Descartes, «de plus violentes que celles du commun».Précision qui peut s'expliquer par le fait que les âmes élevées ont une conscience plus aiguë et de leursidées et de leurs sentiments ; on pourrait également éclairer rétrospectivement cette remarque par un textede la Nouvelle Héloïse de Rousseau expliquant que les tempéraments raisonnables sont d'autant plusfortement ébranlés lorsque survient la passion, car ils n'ont à lui opposer que des raisonnements inefficaceset non une contre-passion aussi puissante.

Mais Rousseau y voyait un signe de faiblesse des tempéramentsraisonnables.Descartes au contraire affirme que la différence joue en faveur des hommes « nobles », c'est-à-dire quisavent bien conduire leur raison.

Ils savent en effet demeurer constants quelles que soient les circonstancesextérieures, alors que ce qui rend une âme «basse et vulgaire » c'est le fait de ne pas se gouverner elle-même et de se laisser au contraire ballotter au gré des circonstances.

La conscience vulgaire est laconscience caméléon, dont l'état d'âme prend la cou-leur de la situation extérieure.Comment le sage peut-il alors demeurer constant à travers les caprices de la fortune ? C'est qu'il estcapable, dit Descartes, de «raisonnements forts et puissants ».

Cette affirmation ne désigne pas uneintelligence supérieure : il serait peu plausible de dire que le bonheur et la sérénité sont réservés à une éliteintellectuelle.

Il s'agit plutôt d'une grande force de caractère, qui permet de ne pas se laisser submerger parles sentiments qui accompagnent et expriment les passions.

La raison apparaît ainsi comme une capacité derelativisation du vécu, de prise de distance par rapport à ce qui est immédiatement ressenti.Descartes précise alors ce qui fait la force réelle des raisonnements du sage.

Il ne s'agit pas d'une «méthodeCoué» consistant à se répéter qu'au fond tout va bien : l'optimisme supérieur est fondé sur uneconsidération métaphysique: la distinction réelle entre l'âme et le corps.L'âme et le corps, bien qu'étroitement unis (l'âme ne peut rester totalement indifférente à ce qui arrive aucorps et encore moins l'abandonner à tout moment), constituent en effet deux substances distinctes (la«substance pensante» et la «substance étendue »).

La première seule, parce qu'immatérielle, est égalementimmortelle.

Mais que veut dire Descartes lorsqu'il dit qu'elle est également «capable de recevoir de trèsgrands contentements» ? Il s'agit certainement de rappeler que l'âme, à la différence du corps qui ne peutconnaître que le fugitif plaisir des sens, est capable de la véritable joie.

Alors que le plaisir est limité par lafaiblesse des sens, le contentement de l'âme a une dimension infinie et inaltérable parce que l'âme se réjouitde la contemplation de vérités éternelles.

Le terme de «contentement», souvent utilisé par Descarteslorsqu'il vante les fruits de sa méthode, est particulièrement approprié lorsque l'âme se porte vers laconnaissance de Dieu.

Cependant, alors que Pascal invitera explicitement à passer du divertissement et desfaux plaisirs à la foi religieuse, Descartes se contente d'une formulation plus générale : les «grandscontentements» de l'âme peuvent également provenir de toute l'entreprise de la connaissance rationnelle.La « parfaite félicité » ne vient cependant pas uniquement d'une vie consacrée aux plus hautes méditations: nous savons que Descartes, capable de s'isoler longuement pour mûrir le projet de sa métaphysique, futégalement soldat et voyageur curieux de découvrir le «grand livre du monde ».

La félicité n'est pas unbonheur de philosophe isolé dans sa tour d'ivoire, mais celle de l'homme qui sait être philosophe à traversl'action. L'intérêt philosophique du texte (éclairage différentiel ; quelques références utiles pour une approchecomparative) Il serait trop long de développer ici toutes les implications philosophiques du texte, notamment au niveau desréférences permettant d'aborder les deux thèmes majeurs qui constituent son « horizon »• les arts (techniques, métiers) et la science ;• la science et les sciences (les sciences et la connaissance).La philosophie grecque comporte, sur les thèmes mentionnés, des analyses tout à fait éclairantes(généralement solidaires de problématiques philosophiques spécifiques).

On peut citer, entre autres,quelques passages célèbres : Platon : • Sur le statut des différents « arts » (= techniques, savoir-faire appropriés) à la fois par rapport auxpratiques empiriques routinières et par rapport à la connaissance.On lira le célèbre extrait de l'Apologie de Socrate, où artisans, orateurs et hommes politiques apparaissentmunis d'un savoir-faire empirique(recettes) sans réflexivité propre.

Dans le Gorgias Platon précise d'ailleurs que l'habitude et la routine nepeuvent à elles seules définir une véritable technique (technè : « savoir-faire approprié et conscient de soi»).

Les techniques elles-mêmes, dans leur plein sens, impliquent semble-t-il un véritable savoir (epistemè). »

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