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Les deux infinis de Pascal

Publié le 22/06/2011

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pascal

Pour mieux faire sentir à l'homme comment se pose le problème redoutable de ses origines et de sa destinée, Pascal lui montre à la fois sa grandeur et sa petitesse. ... Que l'homme contemple donc la nature entière dans sa haute majesté; qu'il éloigne sa vue des objets bas qui l'environnent. Qu'il regarde cette éclatante lumière mise comme une lampe éternelle pour éclairer l'univers, que la terre lui paraisse comme un point, au prix du vaste tour que cet astre décrit, et qu'il s'étonne de ce que ce vaste tour lui-même n'est qu'une pointe très délicate à l'égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s'arrête là, que l'imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir que la nature de fournir. Tout ce monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature. Nulle idée n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au delà des espaces imaginables, nous n'enfantons que des atomes au prix de la réalité des choses. C'est une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part. Enfin, c'est le plus grand caractère sensible de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensée. Que l'homme, étant revenu à soi, considère ce qu'il est au prix de ce qui est ; qu'il se regarde comme égaré dans ce canton détourné de la nature; et que de ce petit cachot où il se trouve logé, j'entends l'univers, il apprenne à estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-même son juste prix. Qu'est-ce qu'un homme dans l'infini ? Mais, pour lui présenter un autre prodige aussi étonnant, qu'il recherche dans ce qu'il connaît les choses les plus délicates. Qu'un ciron lui offre dans la petitesse de son corps des parties incomparablement plus petites, ,des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes; que divisant encore ces dernières choses, il épuise ses forces en ces conceptions, et que le dernier objet où il peut arriver soit maintenant celui de notre discours; il pensera peut-être que c'est là l'extrême petitesse de la nature. Je veux lui peindre non seulement l'univers visible, mais l'immensité qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome. Qu'il y voie une infinité d'univers, dont chacun a son firmament, ses planètes, sa terre, en la même proportion que le monde visible; dans cette terre, des animaux, et enfin des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donné; et, trouvant encore dans les autres la même chose, sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ces merveilles aussi étonnantes par leur petitesse que les autres par leur étendue; car qui n'admirera que notre corps, qui tantôt n'était pas perceptible dans l'univers, imperceptible lui-même dans le sein du tout, soit à présent un colosse, un monde ou plutôt un tout à l'égard du néant où l'on ne peut arriver ? Qui se considérera de la sorte s'effrayera de soi-même, et, se considérant soutenu dans la masse que la nature lui a donnée, entre ces deux abîmes de l'infini et du néant, il tremblera dans la vue de ces merveilles; et je crois que, sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption. Car, enfin, qu'est-ce que l'homme dans la nature? Un néant à l'égard de l'infini, un tout à l'égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable; également incapable de voir le néant dont il est tiré et l'infini où il est englouti.
(Éd. Havet, I, I; éd. Brunschvicg, section II, n° 72.)
QUESTIONS D'EXAMEN
I. — L'ensemble ; — le fond. — Une admirable page des Pensées. Quel redoutable problème essayait de résoudre Pascal en jetant sur le papier les notes qui furent recueillies après sa mort et dont l'ensemble fut publié sous le titre de Pensées? (les origines de l'homme, sa destinée...) ; Devant quel infini place-t-il l'homme, tout d'abord ? — Devant quel autre infini le place-t-il ensuite ? Quelle est l'impression de l'homme en présence de ces deux infinis ? (relever les expressions : il s'enrayera de soi-même... ; il tremblera dans la vue de ces merveilles... ; il sera plus disposé à les contempler en silence qu'à les rechercher avec présomption...) ; Avec quelle netteté saisissante Pascal, en terminant, définit-il l'homme ?
II. — L'analyse du morceau. — Distinguez les différentes parties du morceau (deux parties symétriques, qui s'opposent l'une à l'autre : a) L'infini de grandeur; b) L'infini de petitesse, — puis, la conclusion : Ce qu'est l'homme entre ces deux infinis). — A quelle comparaison a recours Pascal pour montrer l'infini de grandeur? De quel exemple se sert-il pour mettre sous les yeux de l'homme l'infini de petitesse? (dire avec quels instruments on peut étudier les êtres et les corps microscopiques); Que veut montrer Pascal, dans la conclusion? (les deux derniers alinéas).
III. — Le style; — les expressions. — Montrez que la précision est l'une des qualités principales du style de Pascal (insister sur l'emploi d'expressions empruntées à la langue de la géométrie et des sciences, —une sphère, le centre, la circonférence... — un ciron, des jointures, des veines...; dire si Pascal n'était qu'un profond moraliste); Le style de Pascal n'est-il pas aussi remarquable par l'abondance et la richesse des images ? (Un critique contemporain a dit de Pascal qu' « il a de l'imagination comme un peintre «, — et l'on pourrait ajouter : comme un poète; —relever quelques images : (cette éclatante lumière mise comme une lampe éternelle..., le monde visible n'est qu'un trait imperceptible...; l'homme entre ces deux abîmes...); Quelle figure de style a employée Pascal dans la première de ces images? Quel est le sens de l'expression : enfler nos conceptions ? Que signifie ici le mot canton? (est-ce là sa signification habituelle ?) Qu'est-ce qu'un atome? — un raccourci d'atome ?
IV. — La grammaire. — Indiquez la composition des mots infini, imperceptible, impénétrable; Trouvez un synonyme de contempler, — de enfler; Distinguez les propositions contenues dans la première phrase du morceau, et indiquez la nature de chacune d'elles; —(la proposition principale est-elle exprimée?)
Rédaction. — Quels sont les deux infinis dont parle Pascal ? Comment apparaît l'homme, entre ces deux infinis ? Quel était le but de Pascal en fixant sur le papier ses pensées sous forme de notes ? Quel grand ouvrage méditait-il ?

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