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Dire et parler

Publié le 13/01/2004

Extrait du document

Nul n'est besoin de savoir ce qu'est la vertu, le courage, pour argumenter et choisir les mots qui montreront que telle action est courageuse devant un tribunal ; il suffira de faire en sorte que la thèse adverse soit réfutée. Si besoin est, on pourra soutenir et démontrer le contraire devant un autre auditoire : il est possible de parler d'une chose sans en rien savoir puisque de toutes façons le discours ne dit que des mots, et non des choses.■ Pourtant, la philosophie consiste à montrer que si on ne mesure pas nos mots à ce qu'ils prétendent dire, si on ne juge pas la vérité d'un discours à partir de la chose même dont il parle, alors il suffira de parler pour dire vrai, et il n'y aura plus de différence entre dire vrai et dire faux. Il faut d'abord savoir en quoi consiste le courage pour en dire quelque chose, savoir ce qui fait l'essence du courage quelles que soient les circonstances. En effet, il est parfois courageux de fuir momentanément, si c'est pour surprendre l'ennemi : définir ce qu'est le courage suppose autre chose que d'utiliser les mots qui s'y rapportent.B - Mots et concepts : noms de choses ou noms d'idées ?■ Le discours est donc vide s'il ne permet pas de révéler quelque chose de ce dont il parle. Mais si nos mots découpent le réel, comment pourraient-ils coïncider avec ce que sont les choses, et en dire quelque chose ? Selon la formule de Bergson, l'intelligence qui découpe un monde de choses dans le continuum du devenir ne coïncide nullement avec ce qu'elles sont : nous parlons du temps en unités de mesures, comme s'il était mathématique, presque aussi découpable que l'espace. Or, quand nous faisons l'expérience de l'attente, nous percevons alors un flot ininterrompu de durée, qui semble parfois long, parfois court : nos « secondes », « minutes », etc.

« tribunal ; il suffira de faire en sorte que la thèse adverse soit réfutée.

Si besoin est, on pourra soutenir et démontrerle contraire devant un autre auditoire : il est possible de parler d'une chose sans en rien savoir puisque de toutesfaçons le discours ne dit que des mots, et non des choses.

Pourtant, la philosophie consiste à montrer que si on ne mesure pas nos mots à ce qu'ils prétendent dire, si on nejuge pas la vérité d'un discours à partir de la chose même dont il parle, alors il suffira de parler pour dire vrai, et iln'y aura plus de différence entre dire vrai et dire faux.

Il faut d'abord savoir en quoi consiste le courage pour en direquelque chose, savoir ce qui fait l'essence du courage quelles que soient les circonstances.

En effet, il est parfoiscourageux de fuir momentanément, si c'est pour surprendre l'ennemi : définir ce qu'est le courage suppose autrechose que d'utiliser les mots qui s'y rapportent. B — Mots et concepts : noms de choses ou noms d'idées ? Le discours est donc vide s'il ne permet pas de révéler quelque chose de ce dont il parle.

Mais si nos motsdécoupent le réel, comment pourraient-ils coïncider avec ce que sont les choses, et en dire quelque chose ? Selonla formule de Bergson, l'intelligence qui découpe un monde de choses dans le continuum du devenir ne coïncidenullement avec ce qu'elles sont : nous parlons du temps en unités de mesures, comme s'il était mathématique,presque aussi découpable que l'espace.

Or, quand nous faisons l'expérience de l'attente, nous percevons alors unflot ininterrompu de durée, qui semble parfois long, parfois court : nos « secondes », « minutes », etc., necorrespondent nullement à la réalité concrète de la durée que notre corps perçoit.

Saisir quelque chose des choses à travers le langage suppose donc de toujours retravailler celui-ci, et c'estsouvent la poésie, la métaphore qui permet de dire au mieux la réalité, en employant pourtant des termes qui nesont apparemment pas appropriés à la chose.

Pour décrire une émotion forte nous parlerons parfois d'une peurbleue, comme si à cet instant notre sang s'était soudain figé en bleuissant notre visage.

C'est sans doute parcequ'aucun mot n'est seulement une étiquette, un calque, qu'il peut justement dire quelque chose : signifier et nonpas montrer du doigt. C — Mots et valeurs Cette caractéristique du langage, qui en fait un système infini et vivant de combinaisons de sens est pourtantaussi ce qui en fait un véhicule privilégié de nos préjugés, de nos jugements; comme le remarquait Nietzsche, lelangage transporte avec lui les valeurs d'une civilisation, et si nous en faisons la généalogie, nous voyons combienles rapports de force entre individus y sont exprimés.

Le terme grec « mélas » (« noir ») qui a servi aux envahisseursceltes à désigner l'autochtone italique s'est progressivement fixé dans les langues, et est peut-être encore présentdans le latin « malus » (« mauvais », « méchant »).

Il n'y a là qu'une hypothèse d'histoire des langues, mais on voit comment les préjugés moraux qui sont si bieninstallés en Europe peuvent se révéler dans le langage.

L'usage de la parole n'est donc jamais usage anodind'étiquettes, les mots portent toujours la trace d'une histoire, c'est-à-dire d'une pensée qu'il faut réanimer etinterroger.

Parler exige au moins la conscience de ce que les mots peuvent dire.

Dans le cas contraire, autantgarder le silence, car parler ne voudrait plus rien dire.La différence entre dire et parler n'est donc pas seulement une différence de contenu, mais signale plutôt unemanière d'user du langage : s'il est à la fois un donné déjà constitué comme un outil, et ce que nous remettonstoujours en jeu dans chaque acte de parole, c'est que le langage est le lieu du sens, et non pas des choses ni de laseule pensée.

Ainsi parler n'est pas plus simple que dire, comme si dans un cas il suffisait d'aligner des mots, et dansl'autre de les animer d'une intention ou d'un contenu.

Le véritable enjeu est de ne pas oublier que la pensée,l'intelligence, animent (au sens de l'anima, (en latin) de l'âme) le langage autant qu'elles sont façonnées par lui.. »

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