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Je t'écris ô mon Lou - Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou

Publié le 05/09/2006

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apollinaire

 Je t’écris ô mon Lou de la hutte en roseaux Où palpitent d’amour et d’espoir neuf coeurs d’hommes Les canons font partir leurs obus en monômes Et j’écoute gémir la forêt sans oiseaux

Il était une fois en Bohême un poète Qui sanglotait d’amour puis chantait au soleil Il était autrefois la comtesse Alouette Qui sut si bien mentir qu’il en perdit la tête En perdit sa chanson en perdit le sommeil

Un jour elle lui dit Je t’aime ô mon poète Mais il ne la crut pas et sourit tristement Puis s’en fut en chantant Tire-lire Alouette Et se cachait au fond d’un petit bois charmant

Un soir en gazouillant son joli tire-lire La comtesse Alouette arriva dans le bois Je t’aime ô mon poète et je viens te le dire Je t’aime pour toujours Enfin je te revois Et prends-la pour toujours mon âme qui soupire

Ô cruelle Alouette au coeur dur de vautour Vous mentîtes encore au poète crédule J’écoute la forêt gémir au crépuscule La comtesse s’en fut et puis revint un jour Poète adore-moi moi j’aime un autre amour

Il était une fois un poète en Bohême Qui partit à la guerre on ne sait pas pourquoi Voulez-vous être aimé n’aimez pas croyez-moi Il mourut en disant Ma comtesse je t’aime Et j’écoute à travers le petit jour si froid Les obus s’envoler comme l’amour lui-même

10 avril 1915.

Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou (1915) Poème dédié à la Comtesse Louise de Coligny, dite Lou.

 

La préposition de en fait un complément de provenance, et l'article défini la un lieu connu et familier ce qui est surprenant. Elle est dans une forêt hostile, froide, sans oiseaux, alors qu'on est en avril. Ce cadre, encadre effectivement le récit central, et le suscite : ainsi trouvera-t-on, sans surprise, un « bois «, mais il est charmant (vers 13 et 15) et le poète du conte s'y cache pour fuir la comtesse et le soleil. Enfin, ce conte se passe en Bohême, qui semble être moins la région d'Europe centrale, dont la capitale est Prague, que le lieu mythique d'où viennent les exilés, les nomades, qui passent avec leurs roulottes dans « Mai «, et auxquels Baudelaire assimile les artistes en général, « Bohémiens en voyage «, ou Rimbaud dans le fameux « ma Bohême «.

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« une hutte en roseaux contre les obus ? La forêt n'a plus d'oiseaux, habi tuellement si bruyants en avril.

Ils n'ont pas résisté à la folie des hommes.

Et il fait bien froid sur le front, au vers 28.

On ne peut sortir, on se contented'écouter les bruits extérieurs, terribles, puisque ce sont ceux des canons qui envoient leurs obus.

Tout cela estdécrit dans la première strophe. Le poète n'est pas seul : avec lui ses compagnons, réduits à l'attente et à la peur.

Ils ne sont plus que des coeursqui palpitent et espèrent néanmoins.

Ou peut-être est-ce lui qui interprète leur silence comme animé du mêmeamour qu'il crie à Lou. La lettre d'amour Dans ce déluge de feu, le poète écrit à la femme aimée.

Les lettres du front sont devenues un classique de lalittérature de guerre, et un témoignage bouleversant des angoisses et de la vie quotidienne des soldats de 14-18.

Les Poèmes à Lou et les Lettres à Lou seront publiés bien après la mort du poète, en 1947 et en 1969, et ils s'adressent à la femme qu'aimait le poète et qui lui a menti.

Le diminutif Lou, de Louise, déterminé par lepossessif mon, au ter vers, laisse planer l'ambiguïté sur l'identité de la correspondante : homme ou femme ? une comtesse au nom si noble, Louise de Coligny, ou une amie de rencontre ? leur histoire est bien banale : ill'aimait bien plus qu'elle ne l'aimait.

Elle l'accepte, lui jure même un amour éternel, « je t'aime pour toujours »,au vers 17, puis en aime un autre, au vers 23.

Il souffre tant qu'il envisage la mort.

La morale est tirée au vers26 : « Vous voulez être aimé n'aimez pas croyez-moi ». L'amour et la mort sont donc liés non seulement par la guerre, mais aussi par l'impossibilité même d'êtreheureux en amour.

Ils sont tous deux des enjeux vitaux, sujet central de toute pensée humaine.

Enfin, commeses camarades, le poète se réfugie dans la déclaration d'amour, pour oublier la mort qui est autour d'eux. 2. Mais l'amour et la mort sont étroitement liés 3. Ainsi, ces thèmes ne sont pas antagonistes.

Les soldats sont sous la menace des obus, alorsqu'ils ne pensent qu'à l'amour, comme à la force de vie qui leur permet de résister à lapanique et à la folie.

Le poète de la chanson meurt d'amour, sans autre cause médicale,comme les grands amoureux.

Pensons à Iseut découvrant Tristan mort : elle se tourna versla muraille et mourut.

Enfin, le scripteur de ce poème lui-même pourrait bien connaître lemême sort, puisqu'il semble être son double. II.

Une chanson : élégie ou comptine ? 1.

Le conte Comme les enfants qui ont peur dans le noir, le poète se transpose dans l'imaginaire : les quatre strophes centraleset le début de la dernière se situent dans le milieu imaginaire des contes de fées : une comtesse se joue de l'amour éperdu d'un poète, sorte detroubadour des romans courtois.

Ainsi la vouvoie-t-il, elle lui dit tu.

Elle doit être inaccessible et trouve normal qu'il l'adore alors qu'elle va voir ailleurs (vers 23).

De même le cadre a le flou des féeries : le temps est « il était une fois», puis « autrefois », très précisé par « un jour, un soir ».

Le lieu est une Bohême plus mythique que géographique.L'expression même imite les fairy-tales avec des passés simples précieux « vous mentîtes », « s'en fut ». L'intrigue est réduite à sa plus simple expression, au chassé-croisé des amours passagères : elle le veut, puis neveut plus, s'en va, revient, en aime un autre, et lui est malheureux.

Simplicité et cruauté d'une femme capricieuseface à un poète fidèle et doué pour la souffrance. 2.

La chanson complainte Le poète du conte chante, pour oublier ses sanglots, au vers 6.

Il semble que ce soit son occupation essentielle, lesigne qu'il est vivant, puisque dès qu'il souffre trop, il perd le sommeil et la chanson simultanément.

C'est unedésignation classique de la poésie, le carmen, ou chant incantatoire. Mais cette activité se développe dans une métaphore longuement filée, suscitée, semble-t-il, par la comparaisonavec les oiseaux : ils ne chantent plus dans la forêt qui environne les soldats.

Or la comtesse Louise de Coligny estsurnommée Lou, et le poète l'appelle Alouette, en soulignant le Lou central par les italiques.

Peut-être est-ce uneallusion à un surnom amoureux.

Et le poète devient oiseau, qui va chantant, « tire-lire », auquel répond le tire-lirede la comtesse.

Elle gazouille, c'est normal pour une Alouette, dans un bois.

Comment ne pas penser à « Alouette,je te plumerai » ? Mais c'est lui qui perd la tête.

Enfin, cette comparaison s'achève sur le coeur de l'alouette qui esten réalité celui d'un vautour, dureté soulignée par l'assonance en u et ou du vers 19, et la répétition de Ô cruelle/au cœur, au début des hémistiches, reprenant le son [k], de même que les dentales, très fréquentes dans ce vers.

La métaphore des oiseaux s'élargit dans le dernier vers, où l'on retrouve ce terrible constat de la première strophe :dans une forêt sans oiseaux, ne s'envolent plus que les obus, mortels « comme l'amour lui-même ». Or la chanson permet d'oublier la tristesse, tout en l'exprimant.

Ainsi, trouvons-nous les éléments constitutifs d'une. »

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