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M'engager envers autrui, est-ce renoncer à ma liberté ?

Publié le 19/06/2004

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En aucun cas je ne serai soumis à la volonté d'un autre. Bref, je resterai libre. « Tant que les sujets ne sont soumis qu'à de telles conventions, ils n'obéissent à personne, mais seulement à leur propre volonté. « En obéissant à la loi, qui n'est qu'une déclaration de la « volonté générale «, je perds ma liberté naturelle de faire tout ce que je veux ou plus précisément tout ce que je peux , étant donné la force des autres qui peuvent s'opposer à mes projets. Mais je gagne précisément une liberté politique, qui me permet à la fois de n'obéir qu'à moi-même (puisque je peux me considérer comme l'auteur de la volonté générale, qui est une partie de MA volonté), et ne pas subir la volonté d'un autre (plus fort, plus rusé, plus riche). De plus, il y a fort à parier que les lois seront justes, puisque ceux qui les font doivent les subir ; chaque membre de l'Etat est à la fois et législateur et sujet. Son propre intérêt lui commande donc de faire des lois judicieuses, puisqu'il en subira les conséquences. Ainsi, l'égoïsme naturel se voit servir l'intérêt commun. On comprend alors la fort belle formule de Rousseau : « L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté. « La liberté n'est pas le caprice, mais le respect des lois que l'on se donne à soi-même et qui nous préservent de subir le caprice d'autrui.

« Pour Sartre, liberté, action et engagement sont étroitement liés.

Eneffet, la liberté ne se réalise que dans l'action.

Être libre, c'est être libred'agir.

Celui qui ne fait rien ne préserve pas sa liberté mais, aucontraire, la gaspille.

Par ailleurs, l'action ne se réalise que dansl'engagement envers autrui.

Agir, en effet, ce n'est pas faire n'importequel geste sans conséquence, mais c'est me situer par rapport auxautres, m'impliquer dans un contexte social, bref, m'engager.L'expérience de la guerre et de ses atrocités, la découverte dutotalitarisme, la présence dans le monde dit « libre » de formesouvertes ou dissimulées d'exploitation de l'homme — du prolétaire aussibien que du colonisé —, révèlent la présence massive et incontournabledu mal.

La bonne conscience, la fuite dans l'anonymat du « on » n'estplus possible à moins de se ranger dans la catégorie des « salauds »,ces « gros pleins d'être » qui feignent de trouver l'existence naturelle etqui continuent à vaquer à leurs affaires et à leurs amours.

Certainschoisissent — à titre individuel — de faire le bien : accomplirscrupuleusement leur devoir de père, de citoyen, voire secourir unvoisin dans la détresse, mais cela n'empêche aucunement la mauvaisefoi.

Les hommes ne sont pas placés côte à côte comme des petits poisdans une boîte : ils entretiennent entre eux des relations étroites,même si elles sont masquées par l'idéologie individualiste, même si ellessont exposées à une réification. Sartre reprend ici les analyses du marxisme qui sont focalisées sur la pleine conscience des réseaux multiplesde détermination constitutifs de la trame sociale de l'existence.

Toutefois le marxisme privilégie l'action et laprise de conscience collectives : je ne peux modifier la situation de l'homme dans le monde pour rendrechacun maître de son existence que si je m'engage consciemment dans une action collective (la révolution)qui transformera les bases de la société, par exemple en supprimant la propriété privée des moyens deproduction.

En définitive, je devrais pour réaliser cette fin, utiliser tous les moyens à ma portée, y compris lemensonge et la violence.

Ici éclate le paradoxe de la morale que l'oeuvre littéraire de Sartre, (théâtre,romans, essais) s'attache à exprimer : ou bien je vais traiter (selon l'expression kantienne) quelques-uns demes proches comme des fins et je vais garder les « mains pures », mais je me condamne à accepter tout cequi ne dépend pas de moi ; ou bien je vais m'engager dans un parti strictement révolutionnaire et par-là mêmeje me condamne à traiter tous les hommes en moyens pour une fin (la société sans classe, réconciliée) dontje ne verrai jamais la réalisation effective, et ce faisant j'aurai les « mains sales ». « Celui qui prend conscience en lui de cette contradiction explosive — entre ce qu'il est pour lui-même et cequ'il est aux yeux d'autrui — celui-là connaît la vraie solitude, celle du monstre raté par la Nature et la société; il vit jusqu'à l'extrême, jusqu'à l'impossible, cette solitude latente, larvée qui est la nôtre et que noustentons de passer sous silence ».C'est dans les situations extrêmes lorsqu'aucun modèle ne vient orienter notre choix que l'homme feraauthentiquement acte de liberté.

Sartre revient à plusieurs reprises dans son oeuvre sur l'exemple de laRésistance.

Les résistants, lorsqu'ils étaient pris n'avaient le choix qu'entre le silence (l'héroïsme) et ladénonciation (l'abjection) : entre les deux extrêmes de la condition humaine au-delà desquels il n'y a plus rien.Mais l'existence humaine doit à tout instant être rachetée, sauvée, justifiée contre toutes les tentations del'existence «brute », naturelle, qualifiée (aussi bien dans « l'Être et le Néant » que dans « Les Mouches ») d'«obscène », « fade » et « visqueuse », qui procède par classification, distinctions bien tranchées du bien et dumal, du permis et du défendu.L'existence humaine n'a de sens et de valeur que pour autant qu'elle accepte ou du moins qu'elle tente deréconcilier, dans une action particulière, les deux termes de la dichotomie.

« Ou bien, la morale est unefaribole ou c'est une totalité concrète qui réalise la synthèse du Bien et du Mal...

la séparation abstraiteexprime simplement l'aliénation de l'homme.

Reste que cette synthèse dans la situation historique n'est pasréalisable.

Aussi toute morale qui ne se donne pas explicitement comme impossible aujourd'hui, contribue à lamystification et à l'aliénation des hommes.Le « problème moral » naît de ce que la morale est pour nous en même temps inévitable et impossible.

L'actiondoit se donner des normes éthiques dans ce climat d'indépassable impossibilité.

» (Saint-Genet, comédien etmartyr).Au travers de ces analyses, se dessine en filigrane l'inspiration éthique qui anime cette philosophie : la libertéest l'unique source de la grandeur humaine, mais c'est en prenant parti dans les luttes et les combats de sonépoque que le philosophe peut « finalement rejoindre l'éternel et c'est la tâche de l'écrivain que de faireentrevoir les valeurs d'éternité qui sont impliquées dans les débats sociaux et politiques ».

(Présentation des «Temps Modernes») Engagement politique et libertéDe même qu'on est libre quand on obéit aux lois qu'on se donne soi-même (Rousseau), de même on est librelorsqu'on respecte les promesses que l'on fait librement à autrui.. »

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