Devoir de Philosophie

l'espace c'est notre puissance, le temps, notre impuissance

Publié le 19/03/2004

Extrait du document

temps
A s'en tenir au donné expérimental, toute notre existence est enclose dans la durée qui sépare ces deux dates. Le temps semble donc bien un élément essentiel de notre être. Mais cet élément marque notre impuissance. Le temps en lui-même. - Si précieux qu'il nous paraisse, il nous échappe quand nous prétendons préciser en quoi il consiste. A le considérer dans ses spécifications concrètes, il est fait du présent, du passé et de l'avenir. Or, n'existant pas encore, l'avenir n'est rien. N'existant plus, le passé a perdu l'être éphémère qu'il eut quand il était présent. Ainsi, le présent seul nous reste. Mais l'impropriété même de ce verbe nous avertit qu'ici encore nous avons affaire à une réalité qui nous échappe : le présent ne reste pas; il ne fait que passer, ou plutôt il se réduit au passage de l'avenir au passé, de ce qui n'est pas encore à ce qui n'est plus, et ce passage n'est qu'une ligne idéale à laquelle on ne peut pas attribuer de durée.
temps

« II.

— COMMENTAIRE. Après notre effort systématique pour entrer en quelque sorte dans la pensée de LAGNEAU et la mieux comprendre, il convient de nous endégager pour observer si son point de vue est le seul possible. Essai d'antithèse.Pour cela, voyons si nous ne pourrions pas prendre l'exact contre-pied de ce qu'il affirme. L'espace, marque de notre impuissance. — Il semble bien que les vues pessimistes sur le temps qui, pour les vivants, aboutit à la mort, sont dues à l'action de la philosophie existentielle.

Si le poète et le bourgeois cultivé qui, dans leur désoeuvrement, se replient sur eux-mêmes, butent à l'obstacle du temps, il n'en est pas de même de la masse des travailleurs dont la peine est due principalement àl'espace.

Peine physique qui résulte des déplacements de diverses sortes : marches épuisantes, transport de matériel...

Peine morale del'éloignement des siens.

Par l'espace, nous sommes en quelque sorte attachés à une petite région d'où il .nous est difficile de nousécarter et dans laquelle nous sommes pratiquement comme prisonniers.

Les techniques modernes ont remporté de grandes victoires surl'espace : le cercle de nos possibilités s'est élargi.

Mais il reste toujours devant nous ces « espaces infinis » qui effrayaient PASCAL etdevant lesquels nous sentons notre ridicule petitesse.Qu'on ne nous objecte pas que l'infinité du temps donnerait lieu à des réflexions analogues.

En effet, si le passé et l'avenir se donnentcomme infinis, ils n'existent pas à la manière de l'espace, puisque le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore.

On ne saurait doncse heurter à eux et leur irréalité même nous donne bien des possibilités à leur égard.Le temps, marque de notre puissance. — Nous pouvons plus que le caillou qui pave la route et même que le chêne dont nous contemplons la haute cime.

Pourquoi ? Parce que, au lieu que la chose matérielle n'est, suivant la célèbre expression de LEIBNIZ, qu'une mens momentanea (un esprit ou une pensée qui n'existe que dans l'instant), nous sommes un espritqui dure, qui se prolonge dans le temps.Nous avons supposé, pour mieux comprendre l'affirmation de LAGNEAU, que nous n'existions etn'agissions qu'au présent.

A l'appui de cette affirmation on peut apporter des raisonnements subtils :elle est contraire aux faits qui nous montrent au contraire que nous utilisons constamment le passé etl'avenir, et que de là vient notre puissance. 1.

Le passé fut ce qu'il fut et nous ne pouvons pas le changer en lui-même.

Mais cela dit, combien estmalléable l'idée que nous nous en faisons et combien précieuse la connaissance que nous en avons !Le même passé objectif est bien différent suivant les perspectives de celui qui l'évoque.

Dans l'imageque nous nous faisons de notre passé personnel lui-même, il se produit des changements plusradicaux que ceux qui résultent d'un dépaysement sur la planète.

Le passé n'est donc pas pour nousce livre achevé d'imprimer auquel on ne saurait ajouter une lettre.

C'est un livre constamment récrit, etil reste toujours au pouvoir de chacun de donner une nouvelle édition de son histoire.Ces rééditions, il est vrai, se font d'ordinaire sans que nous l'ayons décidé, sous l'influence dessentiments qui dominent en nous, en sorte que ce n'est pas par là que se manifeste notre vraiepuissance.

Celle-ci résulte de la possibilité d'utiliser pour l'action notre connaissance du passé; elle estfaite d'expérience et de savoir.

Or, l'expérience et le savoir qui font, aujourd'hui plus que jamais, lavaleur de ces techniciens qui organisent la planète en attendant d'aller coloniser au-delà, supposentl'existence temporelle qui est l'apanage de l'homme et la capacité de survoler le temps. 2.

Ce survol s'étend aussi à l'avenir qui se présente comme une suite du passé.

Grâce à ce rapport, les constructions de l'esprit relatives à des époques encore éloignées ne sont pas chimériques.

Elles préparent les constructions réelles etle travail dans le présent n'est efficace que grâce à une longue élaboration antérieure.

Quelle serait notre impuissance si nous étionsréduits au présent ! 3.

Enfin, le présent lui-même qu'une analyse mathématique réduit à une ligne dépourvue de toute épaisseur, ne se réduit pas à l'instant: ce n'est pas en juxtaposant des unités de cet ordre que pourrait se constituer le temps.

Tel qu'il se donne à nous, le présent lui-mêmeest une partie du temps; il a une certaine durée.

C'est précisément grâce à cette durée que je puis comprendre une phrase dont leséléments se répartissent sur plusieurs secondes, bien plus, saisir l'armature d'un long raisonnement, ou le plan d'une entreprise dont laréalisation prendra des années.

Ainsi notre puissance tient à ce que nous sommes dans le temps et non dans l'instant.Il semble donc possible d'inverser l'affirmation de LAGNEAU et de considérer l'espace comme la marque de notre impuissance, le tempscomme celle de notre puissance. Essai de synthèse et conclusion.La conclusion, ou plutôt l'impasse, à laquelle aboutit notre examen nous suggère que peut-être nous n'avons pas pris la question par lebon biais ou que la question elle-même est insoluble et vaine parce que mal posée.Notre puissance s'exerce dans le complexe temps-espace qui la limite tout en lui laissant un certain champ d'action.

Mais elle ne vient pasde l'espace et du temps eux-mêmes : LAGNEAU d'ailleurs dit, non pas que l'espace et le temps font notre puissance ou notreimpuissance, mais qu'ils en sont la marque.

Notre puissance vient de notre nature d'êtres pensants qui se souviennent et prévoient.

Elleest limitée par les conditions spatio-temporelles de notre existence; dès lors, la question qui se pose est de savoir si c'est à l'espace ouau temps qu'il faut attribuer cette limitation; lequel des deux, de l'espace ou du temps, lui laisse le champ complètement libre.Mais, même ainsi posée, la question peut donner lieu aux réponses antithétiques déjà faites : l'espace comme le temps nous limitent;l'un comme l'autre conditionnent l'exercice de notre puissance.

Il est impossible, en particulier, d'admettre absolument avec LAGNEAU quele temps est la marque de notre impuissance.C'est donc que la question est insoluble et que c'est peut-être une pseudo-question, plus verbale que réelle.Elle est insoluble parce que pour y répondre il nous faudrait pouvoir au moins par expérience mentale, nous placer successivement dansl'hypothèse d'une existence extraspatiale et d'une existence intemporelle.

Or, inutile de le dire, une telle expérience est radicalementimpossible à l'esprit incarné que nous sommes.C'est peut-être une pseudo-question parce que le temps et l'espace n'ont pas chacun leur réalité propre et qu'il n'y a en fait que l'espace-temps.

Autant vaudrait se demander si la surface de la chambre est due à sa longueur ou à sa largeur.Si vaine soit-elle, la question posée nous a du moins fourni l'occasion de réfléchir sur le mystère de l'espace et du temps et la consciencede son insolubilité a rendu ce mystère un peu plus sensible.

Philosophiquement, le résultat est appréciable.. »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles