Devoir de Philosophie

Etude De Texte (Rousseau, Confessions, Épisode Des Pommes)

Publié le 19/09/2010

Extrait du document

rousseau

 

Jean-Jacques Rousseau, écrivain du18e siècle, rédigea son œuvre en partie pour se justifier de calomnies répandues à son sujet par Voltaire. Dans cet extrait du Livre premier des Confessions, Rousseau relate l’anecdote suivante : jeune apprenti à Genève chez un graveur dont il subit les mauvais traitements, il tente en vain de lui dérober une pomme. Son maître le surprend et le châtie. Pour raconter cette anecdote apparemment banale, Rousseau met en œuvre des procédés d'écriture qui donnent à son récit à la fois un réalisme saisissant (comme si la scène se déroulait sous nos yeux) et un caractère captivant plein de suspense. La séduction du récit tient également au mélange des registres épiques et parodiques. A ces deux dimensions du récit - il captive tout en amusant – s’ajoute une troisième : la visée didactique et morale qui se dégage du dernier paragraphe.

Le récit commence au passé et se poursuit au présent de narration (§ 3 et 4). Ce changement de rythme correspond à une accélération. Mais parallèlement, Rousseau retarde l'action. La présence de verbes d'actions : allongeais, tirais, menais et l'énumération des actions successives, provoque un rythme soutenu. Il interpelle le lecteur par des réflexions théâtrales : qui dira ma douleur, lecteur pitoyable, partagez mon affliction. Celles-ci sont disproportionnées par rapport à l'action qu'il accomplit. Ce décalage suscite le rire. Le narrateur utilise de nombreux repères spatio-temporels (au fond d’une dépense, jalousie élevée) et plusieurs détails (maie, broche, couteau, latte) qui permettent de faire revivre l'action Le champ lexical de l'effort montre que Rousseau a engagé une stratégie. Son action devient une prouesse (adresse, courage). Ainsi, quand il parle de précieux fruit, la valeur qu'il lui donne ne dépend que de l'effort qu'il a accompli. Cela s'apparente à une quête héroïque, presque mythologique.

a) Le mythe du jardin des Hespérides

Rousseau se compare à un personnage de la mythologie grecque, Héraclès, demi-dieu, fils de Zeus et d'une simple mortelle, soumis à une épreuve en 12 travaux et obligé de voler des pommes d'or au jardin des Hespérides. Ce jardin est en fait un verger d'orangers situé en Espagne, ce qui explique l'inaccessibilité de ces fruits considérés sacrés. Héraclès a dû se battre contre un dragon, ce qui explique le registre épique de ce texte. On voit le champ lexical de ce mythe : jardin des Hespérides et dragon. Ce dernier renvoie au maître qui est considéré comme invincible et méchant, ce qui montre une disproportion entre les capacités de Rousseau et la punition qu'il subit. 

b) Le mythe de l'Éden

L'Éden est le paradis terrestre où sont nés Adam et Eve. Dans ce jardin se trouve l'arbre de la connaissance du Bien et du Mal, dont les fruits (les pommes) sont défendus. Cependant, le serpent, qui représente un "modèle réduit" du dragon, puisqu'ils sont symboliquement classés dans la même espèce, les incite à manger la pomme. Punis pour leur faute, Adam et Eve sont renvoyés de l'Éden. La pomme correspond donc à la tentation, qui conduit à la faute. D'autre part, en latin, "pomme" se dit "mala" qui signifie, dans un de ses sens, "maux". Par un jeu de mots, la pomme est donc devenue le symbole chrétien du Mal, qui deviendra plus tard la base de l'expression : "avoir un pépin". 

c) Mythe de l'âge d'or et de l'âge de fer

Les Grecs et les romains découpaient le temps antérieur en quatre parties : l'âge d'Or, où la terre produisait d'elle-même et où les cultures n'étaient pas nécessaires, l'âge d'Argent, l'âge de Bronze et l'âge de Fer, où il faut travailler pour avoir un minimum vital. C'est aussi le temps des guerres, il faut se battre à tous les niveaux. Ces quatre périodes peuvent être appliquées à l'homme, l'âge d'Or représentant l'enfance, et l'âge de Fer l'autonomie. L'extrait étudié ici se situerait entre ces deux âges symboliques. Rousseau croit qu'il peut se servir lui-même, mais il accomplit en fait de nombreux efforts qui n'aboutissent pas. Ce texte a donc une dimension épique, puisqu'il envisage le rapport entre l'homme et le Mal.

Rousseau, en tant qu'enfant, conclut de cet épisode qu'il peut commettre des fautes tant qu'il est battu pour celles-ci. La punition aboutit à un effet pervers : au lieu d'arrêter de voler, il continue et se sent même autorisé à le faire. On perçoit sa psychologie, il a l'impression qu'on s'acharne sur lui : soit, je suis fait pour l'être. Cela montre une paranoïa, une croyance en la fatalité et annonce un problème social : la disproportion de la punition conduit à la vengeance. L'éducation de cette époque n'est donc pas vraiment adaptée, puisque certaines conséquences sont beaucoup trop importantes pour une cause relativement minime. On peut comparer ce passage à celui du vol du ruban, dans le livre II. Dans cet épisode, Rousseau risque d'être puni, or, on le prend déjà pour mauvais, il sera donc menteur…et voleur. Rousseau évoque son maître et donc l'autorité qu'il ne supporte pas. Le maître n'est mentionné que par des symboles dragon. Lorsque celui-ci lui dit "courage...", Rousseau défit le maître, car il se prend pour Hercule. Il défie l'autorité pour ne pas avoir à la supporter. Il provoque le maître. Ce schéma se répète d'ailleurs plusieurs fois, il se fait licencier par provocation.

On peut comparer ce passage avec un extrait des Confessions de Saint-Augustin, où celui-ci vole des poires par plaisir de franchir l'interdit. Rousseau vole également sans nécessité. Cependant, Saint-Augustin donne un sens chrétien à cet aveu, qui est une confession à Dieu lui-même. La progression est la suivante : accusation, puis description du larcin, puis contrition, pour obtenir le pardon. Rousseau, lui, cherche à faire rire le lecteur, à le mettre de son côté. Il fait aussi une réflexion sur l'éducation des enfants en remettant en cause les châtiments.

 

Liens utiles